Depuis trente ans, les Gannac sont agrumiculteurs. N’y voyez là aucune faute ou lettre chipée par une bouche pleine : ils cultivent dans les hauteurs des Alpes-Maritimes citrons, clémentines, pomelos et autres « agru-m-es », dans l’espoir de relancer ces trésors français couleur d’or.
Le paysage ressemble à un décor de carte postale : montagnes se jetant dans la mer turquoise, collines tachetées d’or entre mimosas et citronniers, soleil insolent et imperturbable, hiver comme été… Voilà Menton, capitale nationale du citron. Avec son climat unique, la région est l’une des rares en France à pouvoir produire des agrumes. Malgré l’annulation pour la deuxième année consécutive de la fête de l’agrume, événement phare qui réunit habituellement près de 300 000 visiteurs, l’activité est à son comble à la Maison du Citron, dans les hauteurs de la ville. C’est la pleine saison de la récolte chez Laurent et Adrien Gannac, agrumiculteurs de père en fils.
Ici, tout est bio, de la graine au fruit, expose Adrien, le fils, qui a repris la gestion commerciale de l’exploitation depuis cinq ans. Notre démarche est d’accompagner la plante plutôt que de la maîtriser. Engrais organiques, désherbage manuel, zéro pesticides ou conservateurs pour bichonner ces arbres délicats. Mon père n’imaginait pas cultiver autrement, confie son fils, ce n’est pas le plus simple mais le plus juste. Pas le plus simple ? Eh oui, le seul fait de désherber manuellement par exemple engendre quarante journées de travail, contre deux et demi avec du Roundup. La particularité du citron, c’est qu’il ne tombe pas quand il est mûr. Toute la récolte est donc effectuée à la main. En contrepartie, cela permet de l’échelonner à notre guise.
L’agrume est un fruit d’hiver. Certains comme la clémentine ou le citron vert sont plus précoces, d’autres plus tardifs comme le kumquat ou le pomelo. Le citron, lui, est un fruit quatre saisons, détaille Adrien. La culture de ce dernier est unique : en « restanques », des terrasses très escarpées. Cela permet ainsi d’exploiter la pente, d’en limiter l’érosion et de capter toute la chaleur du soleil, restituée à la plante durant la nuit grâce aux pierres. Les parcelles sont petites et bénéficient d’une grande biodiversité. Une excursion dans l’exploitation le confirme : bananiers et palmiers avoisinent les citronniers qui poussent à leur gré, nez au soleil et dos à la montagne. Cela crée un équilibre naturel et une résistance aux maladies, analyse le fils Gannac. Nous avons des petits problèmes gérables qui ne se répandent pas.
Un héritage de plusieurs siècles
L’histoire du citron de Menton ne date pas d’hier. Avec 300 jours de soleil par an, cette ville de la Côte d’Azur, frontalière de l’Italie, est protégée du froid par les Alpes, et la Méditerranée apporte une douceur tempérée en hiver : un microclimat particulièrement favorable pour les agrumes qui ne supportent pas le gel. Cultivé depuis le XVIᵉ siècle, le citron y est alors la première ressource de la région, exporté vers l’Angleterre, l’Allemagne, la Russie et même l’Amérique du Nord.
Mais dès la seconde moitié du XIXᵉ siècle, la (trop) petite taille des exploitations, l’exode rural et le développement de l’urbanisme font décliner l’agrumiculture mentonnaise. Aujourd’hui, sur les 500 tonnes de citrons vendus chaque jour en France, moins de 5 % sont produits en France. La grande majorité provient de monocultures espagnoles : 80 % de leurs citrons sont non bio (et contiennent jusqu’à 50 fois plus de pesticides qu’une pomme).
En 1991, Laurent Gannac, jardinier paysagiste originaire du Lot, a un coup de cœur pour la région. Menton est connue pour être « la ville des jardins », pour son climat exceptionnel qui permet la culture d’essences végétales très diverses. Il s’installe alors avec l’objectif de faire revivre cet héritage culturel du citron mentonnais, et plante une première parcelle qui sera décimée par la maladie du mal secco, fatale pour les citronniers. Mais il lui en faut plus pour baisser les bras : ce passionné du végétal, comme le décrit son fils, continue de planter jusqu’à 300 arbres produisant non seulement citrons mais aussi pomelos, clémentines, oranges, mandarines ou cédrats.
Adrien, qui grandit au milieu des agrumes, voit son père travailler avec acharnement, sans arriver à se dégager un SMIC. En 2016, diplômé d’une école de commerce, ce dernier débarque avec un business plan qu’il souhaite mettre au service de l’exploitation familiale. J’avais un fort intérêt pour l’entreprenariat, les citrons étaient là : c’était le lieu, se souvient le trentenaire. Entre temps, le marché a aussi évolué : la Maison du Citron a obtenu un label bio en 2013 et le fruit d’or de Menton bénéficie désormais d’une Indication géographique protégée (IGP). De quoi redorer son blason jaune.
Redynamiser le tissu économique local
Il faut planter davantage, annonce alors Adrien à son père. 400 arbres supplémentaires ont déjà rejoint l’exploitation. L’objectif : Atteindre 1 000 arbres en 2023. Et pouvoir ainsi verser un salaire à chacun, pour lui et pour son père. C’est grâce à deux financements participatifs en 2017 et 2018 que le nouveau verger a été planté. Deux salariés ont été embauchés pour épauler Laurent dans l’entretien des plantations, et une dizaine d’autres se consacrent désormais à la transformation, la logistique ou la communication.
En parallèle, le jeune chef d’entreprise a développé toute une gamme de produits transformés à base d’agrumes. Un tiers de la production est vendue aux particuliers, un tiers aux professionnels et le dernier tiers est dédié à cette activité. L’acidité modérée du citron de Menton, son écorce épaisse sans amertume et donc comestible permettent d’exploiter sa pelure et ses zestes dans des confitures, sirops ou encore bières ou tapenades. La diversification permet de mieux gérer les risques : ça reste de l’agriculture, souligne Adrien. Le citron n’est pas à l’abri des aléas de la production (comme un gel exceptionnel en 2018) ou de l’actualité. La crise sanitaire n’a pas épargné l’exploitation, une partie de la récolte étant destinée aux restaurateurs, sans parler de l’annulation de la fête de l’agrume. Pour palier ce genre de gros pépins : grandir et diversifier, donc.
Aujourd’hui, les Gannac produisent une vingtaine de tonnes d’agrumes bio par an, dont une quinzaine de citrons de Menton IGP. Avant, la consommation restait très départementale. Nous avons désormais les moyens de vendre au niveau national, revendique fièrement Adrien. Membres fondateurs de l’APCM (Association pour la promotion du citron de Menton), père et fils souhaitent contribuer au renouveau de l’agrumiculture locale, en mettant ainsi des zestes d’idées dans les citrons locaux… Si 2000 arbres lumineux peuplent la région, le même nombre est actuellement en cours de plantation.
comment savoir où cette production est vendue à Paris ou comment commander? ma grand-mère s’était installée à Menton après la guerre et je garde un souvenir ébloui de la fête des citrons habillée en mentonaise et des mimosas en fleurs sur le chemin de Sainte-Agnès…
Bonjour,
Les produits de la Maison du Citron ne sont actuellement pas vendus à Paris mais il est possible de les commander via leur site internet ou par l’intermédiaire de La Ruche Qui Dit Oui!:
https://www.lamaisonducitron.com/
https://laruchequiditoui.fr/fr-FR/producers/26180