À l’automne, le promeneur curieux ne manquera pas les champs fleuris de l’éleveur Cédric Boivineau. Mais ce n’est que le pétale qui cache la forêt. Bienvenue au royaume de l’agriculture de conservation des sols !
Tournesol, phacélie, sarrasin ou moha… Autour de l’éleveur de bovins Cédric Boivineau les fleurs jaunes, rouges et blanches dansent dans la fraîcheur automnale d’un matin d’octobre vendéen. Dans la parcelle voisine, ses vaches pâturent paisiblement pendant que les veaux gambadent tout autour. Le lieu-dit la Grande Vallée sur lequel se situe l’exploitation prend un air bucolique, presque merveilleux. Mais que font ces fleurs au milieu des champs, là où se trouvent habituellement blé et maïs ?
Soudain tout s’explique. L’éleveur ouvre la clôture et les vaches prises de frénésie se ruent avec force et meuglement sur les fleurs. Les tournesols sont les premiers à être gobés goulûment. Les autres fleurs subiront rapidement le même sort. Trois heures plus tard, il ne reste que quelques morceaux de tiges au milieu desquels les vaches ont retrouvé leur calme et ruminent tranquillement. Je leur avance la clôture de 30 mètres deux fois par jour. Ainsi elles ne gâchent pas en piétinant toute la parcelle, explique Cédric Boivineau.
Le fait que les vaches en raffolent n’explique pas en soi la présence de champs de fleurs sur la ferme. Il s’agit en réalité de ce que l’on appelle dans le jargon agricole un couvert végétal. L’agriculteur le sème en juin juste après avoir moissonné son orge ou son blé. Ces végétaux limitent alors l’érosion que peut connaître un sol nu. Le réseau de racines donne de la cohésion au terrain et évite qu’il se ne disperse en cas de fortes pluies. Sur mon exploitation je ne laisse jamais un sol sans végétaux, été comme hiver, s’enorgueillit le Vendéen.
Le rôle le plus important des couverts végétaux se joue sous terre. Les racines fissurent naturellement le sol et le décompactent. Résultat, elles peuvent plonger plus facilement en profondeur pour puiser leurs réserves, cela draine l’eau et amène de l’oxygène, de quoi intensifier la pousse. Le plus étonnant, c’est que cette culture n’est pas destinée à être récoltée. Certains agriculteurs la décomposent, puis l’enfouissent comme engrais dans le sol. Mais Cédric a trouvé encore mieux. Il en nourrit ses vaches !
On aurait tendance à les oublier depuis qu’elles ont mangé les tournesols au début de cette histoire, pourtant les vaches et leurs progénitures sont le pivot central de la ferme de Cédric. Toutes les cultures qu’il produit sont destinées à les alimenter. Ses couverts végétaux de trèfle et de luzerne n’auraient pas de raison d’être sans bovin. Je produis moi-même 97 % de ce que je leur donne à manger. Les 3 % restants sont du colza français. Pas question de leur donner du soja sud-américain, indique-t-il avec une moue explicite. En retour, ces dames apportent leur bouse pour fertiliser les parcelles. À terme, Cédric vise de se passer d’engrais sur ses prairies et se contenter de cet apport naturel (patience, la résilience du sol prend du temps…). En plus je n’ai rien à faire, si ce n’est les guider de champs en champs, s’amuse l’éleveur.
Sainte agriculture durable
Ne jamais laisser un sol nu est l’un des piliers de l’agriculture de conservation des sols que mène Cédric sur son exploitation. Cette pratique est presque une religion pour les initiés. En plus des couverts végétaux qui aèrent naturellement le sol et le protègent des intempéries, elle repose sur deux autres piliers que sont le non-travail du sol et la diversité des espèces cultivées. Autant vous dire qu’il ne fait pas bon être une charrue dans ce genre de ferme… En respectant ces trois piliers, Cédric a obtenu le label Au cœur des sols délivré par l’Association pour la promotion d’une agriculture durable (Apad).
Selon les chiffres édités par cette structure, l’agriculture de conservation des sols permet de diviser par trois l’érosion des sols et de stocker entre 0,2 et 1 tonne de carbone par hectare et par an. Le non-travail du sol permet également de réduire de 50 % la consommation de carburant d’une exploitation agricole. Les couverts végétaux sont, eux, un nid à biodiversité comme en témoignent les papillons et abeilles qui butinent les fleurs de la Grande Vallée. Sans parler des vers de terre et de tous les micro-organismes du sol qui sont bien plus tranquilles lorsque ce dernier n’est pas retourné une fois par an.
Pour l’instant, seuls 4 % des agriculteurs ont franchi le pas. C’est peu, mais l’arrêt du labour n’est pas une mince affaire. Là où l’agriculture classique repose sur des machines qui ont un impact immédiat sur la structure du sol, l’agriculture de conservation des sols délègue ce travail aux racines des plantes. Ce qui prend plus de temps. Dans les premiers temps d’utilisation des engrais, la récolte s’en retrouvait doublée, alors tout le monde s’y est mis. Là, les bénéfices arrivent petit à petit. Par exemple, il faut compter quinze ans avant que l’eau s’accumule progressivement dans le sol et qu’il y ait un vrai impact en cas de sécheresse, illustre l’agriculteur.
Pour lui, la motivation principale pour passer en agriculture de conservation des sols a été la résilience de son système. Comme je ne travaille plus mon sol, sa structure s’est améliorée. Je peux rentrer dans mes champs avec un tracteur même en hiver alors que mes voisins s’embourberaient inévitablement. Ça me permet d’être plus opportuniste. Si je n’ai pas les bonnes conditions pour semer mon blé à l’automne, je ferai des petits pois en février. Et si ce n’est toujours pas bon, je planterai du maïs au printemps. Mon voisin sera lui coincé dans ses prévisions de culture classique, compliquées à modifier puisqu’il ne peut pas entrer dans son champ l’hiver.
Nous ne sommes pas des scientifiques. Il n’y a pas de données chiffrées sur ce que nous faisons. Par contre, nous passons beaucoup de temps à observer.
Fous d’expérimentation
En allant à rebours de l’omniprésent système labour, les pratiquants de l’agriculture de conservation des sols réinventent depuis vingt ans les méthodes de culture. Chacun y va de sa petite expérimentation sur sa ferme. Nous ne sommes pas des scientifiques. Il n’y a pas de données chiffrées sur ce que nous faisons. Par contre, avec les collègues, nous passons beaucoup de temps à observer car les résultats de l’agriculture de conservation des sols sont très visuels. Il suffit de donner un coup de bêche pour voir la structure du sol et les vers de terre, commente Cédric Boivineau.
Forcément, parfois il y a des ratés. Ça a été le cas pour l’éleveur qui a voulu cette année semer de la luzerne dans son champ de blé avant la moisson. Le but était que cette plante pousse doucement sous les épis de céréales. Si l’objectif avait été atteint, elle aurait pu prendre le relais directement après la récolte, ainsi la couverture du sol était assurée sans interruption. Mais il a fait trop sec au printemps, la luzerne n’a pas poussé. J’ai perdu pour plus de 2000 € de semence de luzerne, constate-t-il. Qu’à cela ne tienne, il réfléchit déjà à ses futures expérimentations.
C’est aussi tout l’enjeu du label Au cœur des sols. Le département de Vendée verse une aide aux agriculteurs labellisés qui sèment des plantes mellifères dans leur couvert. Pour Cédric Bovineau, ce coup de pouce le sécurise pour tester toujours plus de nouvelles solutions et ouvrir la voie par son expérience à de nouveaux pratiquants de l’agriculture de conservation des sols. D’autres mécènes devraient bientôt rejoindre le mouvement.
Le glyphosate, c'est une saloperie mais aujourd’hui je n’ai pas d’autre choix.
S’il est bien un écueil sur lequel butent les pratiquants de l’agriculture de conservation des sols, c’est le désherbage. Sans travail du sol, pour détruire les mauvaises herbes, ils n’ont pas d’autre voie que le recours à des solutions chimiques. En effet, la culture de céréales se fait sur de grandes surfaces qui seraient bien trop pénibles à désherber à la main, sans parler du coût inimaginable en main d’œuvre que cela représenterait. La principale d’entre elles se nomme bien sûr glyphosate. C’est une saloperie mais aujourd’hui je n’ai pas d’autre choix, reconnaît-il.
À titre de comparaison, il utilise la molécule à raison d’un litre par hectare, soit l’équivalent d’un bidon en jardinerie lorsque la vente en était encore autorisée aux particuliers. Les expériences comme celle que j’ai ratée cette année sont justement destinées à réduire encore plus les quantités de glyphosate. Si la luzerne avait poussé rapidement, elle aurait empêché les mauvaises herbes de se développer et je n’aurais pas eu besoin de désherber. Mais ce n’est pas un échec qui arrêtera Cédric. Il continuera de chercher la combinaison de culture parfaite pour son sol qui lui permette d’intervenir le moins possible. D’ici une poignée de floraisons, sans doute.
Bravo! Des personnes comme ça me redonne fois en l’être humain…. Cela me fait du bien d’avoir des articles positifs dans ce flots de nouvelles anxiogènes!
Merci d’avoir précisé les contraintes qu’impose cette technique, j’ai eu peur que l’article ne soit qu’un manifeste partial; je crois qu’il y a aussi d’autres effets négatifs à gérer (les rongeurs qui prolifèrent dans ces champs me semble t’il). Aussi l’aspect intéressant aurait été de préciser la quantité de glyphosate utilisée en agriculture conventionnelle, afin de comparer, et de comprendre que la quantité utilisée ici ressemble presque à la posologie micro-dosée d’un médicament – ainsi nos jugements ne sont plus binaires, mais nuancés, et nous pouvons nous défaire des dogmes. Une agriculture très faiblement consommatrice de chimie, (et de gazoil), qui préserve les sols et les pérennise vs. une agriculture bio qui elle n’empêche pas son érosion et émet plus de GES, perso je penche pour la 1ère.