Laisse béton le béton. Voilà le mot d’ordre derrière lequel pourraient se ranger les militants du collectif de défense des jardins ouvriers d’Aubervilliers. Dans une réécriture contemporaine de David contre Goliath, ils luttent contre la destruction de terres nourricières menacées par de gros projets urbains, dont ceux des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Une lutte locale à impact global.
Sortir de la ligne du 7 métro à l’arrêt Fort d’Aubervilliers et atterrir dans une vaste zone grise et bétonnée. Le temps est encore lourd, en ces derniers jours de canicule. Ouvrir l’œil et apercevoir, sur un abribus délabré, une inscription griffonnée : Il faut cultiver notre jardin. Tout autour, un grand chantier, des grues, le sol mis à nu. Marcher quelques pas vers l’ouest, et tomber sur une oasis de biodiversité encore préservée : les jardins d’Aubervilliers. Respirer.
Les jardins des Vertus (ou jardins ouvriers d’Aubervilliers) sont situés en face des Courtillières, cité emblématique de Seine-Saint-Denis. Souvent photographié, ce lot d’immeubles remarquables a marqué l’histoire comme étant le premier grand ensemble d’habitation construit au sortir de la Seconde Guerre mondiale, d’après les plans de l’architecte Émile Aillaud. L’origine du nom des Courtillières ne trompe pas sur un passé nourricier local : Le courtil, en ancien français, désignait un espace clos de maraîchage en zone urbaine, explique notre guide Viviane Griveau-Genest, historienne médiéviste et membre du collectif de défense des Jardins d’Aubervilliers. Ces petits carrés de maraîchage nourrissaient la ville.
Bêche contre pelleteuse
Viviane Griveau-Genest habite Aubervilliers. Elle fait partie des personnes ayant connu la destruction de sa parcelle potagère sous les coups des pelleteuses, en 2021. 6000 m² de terres ont ainsi été détruits, dans le cadre de projets d’aménagement du territoire en vue des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.
On nous a attribué une nouvelle parcelle. On a préservé notre droit à jardiner, mais il n’y a pas eu de compensation écologique : nous avons été relogés sur des espaces déjà verts, et on a donc perdu en biodiversité, raconte l’historienne avec une émotion teintée de colère. Quid des arbres centenaires abattus, des colonies de coccinelles ou des habitats pour les hérissons, espèce en voie de disparition ?
Depuis, la jeune femme a décidé d’entrer en résistance au sein du collectif de défense des jardins d’Aubervilliers. Au fil des mois de mobilisation contre la destruction, cette JAD (Jardins à défendre) est devenue un étendard de la lutte contre l’artificialisation.
Quelques mois plus tôt, les travaux de construction d’une piscine d’entraînement et d’un solarium destinés aux athlètes olympiques ont été interrompus. Le 10 février, la Cour administrative d’appel de Paris avait trouvé une irrégularité dans le Plui (Plan local d’urbanisme intercommunal) permettant cette décision. La mairie n’en a pris acte qu’un mois plus tard, le 9 mars, et a été forcée de suspendre les travaux.
Pour le collectif de défense des jardins, cette belle victoire ne remplace pas les parcelles déjà détruites, et ne doit pas faire oublier les luttes à venir. Parmi elles, faire barrage à une nouvelle destruction de 5000 m² de jardins à Aubervilliers, prévue dans le cadre de la création d’une gare et d’une galerie marchande pour le futur Grand Paris Express.
Seine-Saint-Denis, terre nourricière
Pourquoi s’évertuer à sauver les jardins des Vertus ? Si l’OMS préconise un accès à 10 m² d’espace vert par habitant, ceux de Seine-Saint-Denis ne bénéficient que de 1,4 m². C’est aussi le département le plus pauvre de France, et l’un des plus touchés par le changement climatique.
Par temps de canicule, la différence entre la température constatée sur le parking jouxtant le métro du Fort d’Aubervilliers et celle ressentie au cœur des jardins peut monter jusqu’à 23 °C. En offrant un îlot de fraîcheur, en apportant un complément nourricier sain et frais dans les assiettes des familles cultivatrices et en faisant renaître de la biodiversité, les jardins ouvriers apportent une réponse à ces problématiques.
200 m², c’est la surface idéale pour nourrir convenablement un foyer de trois ou quatre personnes, détaille Viviane. Si son jardin ne lui permet pas encore d’être autonome, il lui offre une plus grande diversité végétale, et lui évite d’acheter des produits qu’elle ne pourrait pas toujours s’offrir, comme les figues, les pommes de terre vitelotte ou les framboises. En échange d’une centaine d’euros d’adhésion par an, Viviane comme les autres jardiniers peuvent mettre des épinards dans leur beurre.
Rappelons qu’avant de connaître une vague d’artificialisation dans les années 1950 pour répondre à un besoin croissant de logement, la Seine-Saint-Denis était un haut lieu du maraîchage. En 1929, les registres font état de 249 maraîchers sur tout le département. Murs à pêches à Montreuil, salades Gotte et Reine de mai à Bobigny ou choux « gros des vertus » à Pantin, aussitôt récoltés, les victuailles légumières étaient vendues aux Halles de Paris, fermées en 1969. La bien nommée plaine des Vertus nourrissait alors Paris et toute l’île-de-France. Aujourd’hui, l’artificialisation menace d’autant plus un territoire qui ne peut plus compter sur sa ceinture maraîchère pour gagner en autonomie. Laisser pousser les jardins, c’est aussi redonner de l’espoir à des habitants en mal de vert.
Courage à vous tous ! Sûr que les jardins partagés sont essentiels tant pour les humains que pour la biodiversité. sans cesse, on entend un tas de bla bla, mais aucune action intelligente, tout au contraire. Protéger la nature en bétonnant à tout va …… En pleine schizophrénie nos décideurs
Bonjour,
comment peut-on s’engager de loin pour sauver ces bouts de jardin ?
Merci
Je félicite et admire ces combattants et combattantes. David contre Goliath? Battez-vous, même pour un seul mètre carré à défendre. On glorifie ces JO, mais on ne parlera jamais assez des dégâts collatéraux qu’ils laisseront derrière eux.