C’est moi qui l’ai fait ! Une petite délégation de Ruches parisiennes est allée rendre visite à son plus jeune maraîcher : Thomas Boonen pour quelques jours de wwoofing dans le Pas-de-Calais. Votre scribouillarde de service a suivi et testé le maraîchage biologique pour de vrai. Leçon numéro : le désherbage en pleine cagne.
« Il faut le vivre, disait ma grand-mère, sinon on ne sait pas ce que c’est ». L’agriculture biologique ça se ressent jusqu’au bout des ongles. Me voilà donc ouvrière agricole à la Ferme du Hérisson, tout là haut dans le Pas-de-Calais où 70% de l’espace départemental est dédié à l’agriculture. Cette semaine, il fait beau. Très chaud, même. Pour un peu on entendrait les cigales chanter. Thomas, le maître des lieux a d’ailleurs l’accent de Marseille.
Evaluation de la tâche
On commence par un tour du propriétaire qui en vrai est locataire pour découvrir les 4 serres puis les belles bandes de terre plus ou moins vertes, toutes d’une longueur de 100 mètres, de la largeur des roues d’un tracteur ou d’un grand pas lorsqu’on mesure plus d’1,80 mètres (moi, il faut que je fasse un petit saut de cabri très élégant). Certaines sont recouvertes d’un voile blanc et font penser à ces fines vagues de la plage de Bercq qui grignotent le rivage. A 13h, sous le cagnard, la scène frôle parfois le mirage. D’autres rangs laissent apercevoir leurs cultures, ici des courgettes, plus loin des choux, encore plus loin… Difficile à dire, on dirait un champ de mauvaises herbes.
Chercher Charlie
C’est là que l’on s’arrête pour le bizutage : le désherbage à la main, pratique incontournable des maraîchers bio. Mais on va désherber quoi ? Le champ est si touffu qu’on ne voit même pas ce qu’il faut préserver. A y regarder de plus près, on aperçoit des tiges plus claires qui pointent vers le ciel. L’opération consiste donc à sauver l’oignon rouge de l’envahisseur. Ennemi numéro 1 : le rumex qui n’a rien à voir avec le pschitt nasal de votre pharmacien. La bête est grande, jusqu’à 1 mètre de haut, colore les doigts comme des gitanes sans filtre et demande une certaine dextérité pour être arrachée. Ennemi numéro 2 : le sale chardon-sa-mère qui flingue les mains et pique les genoux. Ennemi numéro 3 : le chénopode de la famille du quinoa, plutôt sympa à l’arrachage. Il y a aussi des plants sournois d’orties, de l’élégante stellaire et quelques autres indésirables non identifiés. « A trois, on désherbe la planche en 45 minutes, » frime Thomas. Le 100 mètres n’ayant jamais été mon fort, je prévois de faire baisser la moyenne.
Gant ou pas gant ?
J’opte pour l’option naturiste. Sans gant donc comme tout le monde. Je commence l’opération pliée en deux, dos bien droit comme pour une révérence. Le sang monte à la tête. Je poursuis sur les genoux. Essaie la position du lotus, celle allongée sur le ventre, change de main. Génuflexions, ventre rentré, bassin en avant, décidément, il n’y a rien de confortable. Les maîtres Yogi ne se sont pas penchés sur les postures de désherbage.
Chapeau de paille vissé sur la tête, j’avance dans mon rang. Comme la randonnée, la pratique fait divaguer. Au début, on se repasse la semaine, on se refait son entretien d’évaluation (quand il m’a dit ci j’aurais dû lui répondre ça…) et puis le temps suspend son vol. On avance sans ne plus penser à rien, traquant les mauvaises herbes, tirant sur leurs pieds pour les extraire de la terre, les rejetant dans l’allée. Au premier tiers me vient une question : « et en agriculture raisonnée ça se passe comment ? » « En agriculture raisonnée, on verse raisonnablement un produit chimique qui éradique ces mauvaises herbes, rappelle Thomas. Il ne faut pas 45 minutes à 3 (1h30 avec un boulet comme moi) pour nettoyer 100 mètres de cultures mais un seul passage en tracteur.» Ah ouais, c’est donc ça.
Il fait de plus en plus chaud, mes mains sont de plus en plus noires, je me pète les ongles un à un, j’avale un peu de terre. Je franchis la ligne d’arrivée en 1h23 et regarde fièrement derrière moi. Les oignons ont retrouvé leur liberté. Tiges au vent, ils semblent me remercier. « De rien, les gars. Tout le plaisir est pour moi ! » On se retrouve en septembre avec tomates et féta.
Le désherbage ! Tout un poème effectivement.
Une activité mal-aimée, mal considérée et pourtant si indispensable.
On aura beau utiliser la gamme des stratégies et des outils disponibles, le passage d’ouvriers reste souvent une étape qualitative incontournable.
Le « low tech » l’emporte à un moment du cycle cultural. Du non délocalisable, non mécanisable !
Je dirige une structure qui commmercialise une solution inclusive de main-d’oeuvre agricole… Donc notre saison de désherbage a commencé !!!
Bonne continuation à tou.te.s, au plaisir de lire vos réactions qui m’intéressent bcp sur ce sujet !
Je croyais que le plastique noir c’était déjà pour priver de lumière les éventuelles mauvaises herbes qui auraient eu la mauvaise intention de venir se mêler de nos oignons, c’est donc moche et inefficace ou ça serait bien pire sans?
Par ailleurs, il existe des outils pour ne pas se baisser pour désherber tels que celui-ci par Fiskars:
https://www.leroymerlin.fr/v3/p/produits/desherbeur-manuel-fiskars-l-100-cm-e1401590719
et pour ramasser ce qu’on a retiré sans se baisser il y a aussi, par exemple chez Jardins Animes, des pinces ou rouleaux ramasse – feuilles et + (je n’ai d’action ni chez l’un ni chez l’autre).
L’humour ne gâche pas ce récit, au contraire! bravo
Pourquoi une photo en gros plan d’un arrière-train pour illustrer cet article ?
Parce que c’est une photo prise en situation de désherbage intense.
Bravo pour la persévérence!
Perso, je désherbe à genoux , sur une planche de piscine si le sol est dur (ou mouillé), armée de mon fidèle couteau à désherber. Cette position à genoux épargne le dos, et muscle bien les cuisses: on le sent le lendemain dans les escaliers! C’est vrai qu’elle demande un peu plus de place au sol, pour ne pas écraser les plants fragiles, qu’un 38 fillette. Je ne mets pas de gants non plus, et me nettoie les ongles (très courts) à l’eau oxygénée . Là aussi, il faut de la patience !
Trop drôle et trop juste, ce petit article fort sympa 🙂
Merci !
[…] dans le Pas-de-Calais. Le premier jour, elles ont testé les mille et une positions pour désherber les rangs d’oignons sans se briser le dos. Sauront-elles planter 3000 betteraves sans se casser un ongle ? Vous le […]
bravo pour votre courage et votre humour ! A continuer sans modération.
En plus des orties pour une soupe ou une quiche, les chénopodes sont aussi d’excellents légumes « sauvages », dommage de ne pas les valoriser. Mais je suppose qu’ils sont partis au compost. Bel article et bel humour.
Qu’est que j’ai ri en lisant votre article ! Merci et bravo Hélène ! On était avec vous!
Si vous êtes de ma région, pour le mal de dos, je suis un « pro » !
<région = hérault
A bon entendeur,
Jean-Claude
Pour désherber sans se flinguer le dos, plier le dos bien droit au niveau des hanches, reposer son ventre sur les cuisses, se relever toutes les 15 minutes pour une courte pause.
Cf. le travail de posturologie d’Esther Gokhale montrant comment les mamies du Burkina Faso nous mettent physiquement la misère à ramasser des châtaignes d’eau 9 heures d’affilée pliées en deux fingers in the nose.
Pour ce qui est de votre plumologie, c’est quasiment parfait,
Bravo Hélène.
Quand je pense que mon jardin ne fait que 3 x 10 mère, je te dis bravo.
Cependant, à ce travail, tu risques un syndrome dit « de la queue de cheval ».. Nous, pas sur la tête, plus bas.
La prochaine fois, garde les orties pour mettre dans la soupe.
Pierre
Comme tout cela est vrai ! je suis productrice de safran en Provence, bientôt dans 2 ruches, et en ce moment, …. je desherbe ! à la main et comme vous, sans gants avec un couteau à désherber. Mon safran est cultivé sans engrais, sans pesticide, juste avec mes petites mains et beaucoup d’amour. Merci pour votre témoignage !
Laurence Olivier, Le Safran du Cativel, GARDANNE
Bonjour,
Pourquoi ne pas pratiquer la permaculture qui donne de bons résultats semble-t-il?
Voir le site de milkwood permaculture en Nouvelle Zélande.
Je cherche le site et revient vers vous
Également les Paniers Verts en Belgique qui testent la méthode…
Yvonne
Très bon article et bravo pour l’humour 😉 Un vrai plaisir à lire !
J’ai adoré le style et le contenu m’a rappelé certaines postures que je prenais pour limiter les maux qui pointent rapidement, quand ado, j’allais faire quelques petits boulots chez les maraîchers…
C’est du vécu et on voit tout le mérite des professionnels de la terre !
Bravo !
Monumental article Hélène !
Bravo et merci pour ces belles lignes d’oignons et de lettres.
bon ! eh bien ! maintenant on fait comment ! ………..
Beaucoup mieux la nouvelle présentation éditoriale !
Bravo & bonne continuation
Je note le mot « raisonnablement » en gras. Apparemment, cela veut dire qu’il est important d’être raisonnable, mais ce qui est raisonnable pour l’un ne l’est pas toujours pour l’autre. Pourriez-vous expliciter svp ?
Je crois que ce « gras » est ironique, l’agriculture raisonnée est une agriculture conventionnelle juste un peu moins aidée par la chimie, tandis qu’en agriculture biologique, les procédés autorisés pour éliminer les mauvaises herbes sont plutôt thermiques : vapeur d’eau ou flammes qu’on applique à la terre avant le semis de légumes pour tuer les graines d’adventices. Cela stérilise très momentanément le sol, qui reprend vite vie et les graines de plantes « sauvages » sont robustes et finissent par renaître, ce qui oblige à un désherbage manuel attentif, surtout lorsqu’il a beaucoup plu comme ce printemps. Bravo pour ce récit enjoué, dont beaucoup de nos amapiens qui veulent montrer leur soutien à l’agriculture paysanne devraient prendre…de la graine !
Je suis agricultrice et productrice d’oignons en raisonné. Cette année fantastique en termes de mauvaises herbes, j’ai mis un désherbant à la sortie de terre des oignons et depuis, la desherbage se fait aussi à la main! 2 desherbages manuels sur 6 hectares d’oignons, j’ai aussi eu droit à mon lumbago!
Merci de la précision.
A propos par curiosité combien de pesticide répandez vous pour 1 Hectare ? Et si vous connaissez les chiffres combien les agriculteurs « non raisonnables » répandent ?
Car on nous parle toujours des pesticides et autres cochonneries chimiques mais ce serait bien d’avoir une idée de la quantité répandue 🙂