Ils sont près de 300 000 chaque année. 300 000 vendangeurs saisonniers à couper les grappes, à noircir leurs mains et leurs ongles. Cette année, Domitille était aussi de la partie. Les mains tailladées, elle a repris son clavier pour nous raconter son expérience au domaine du Mouton noir en Ardèche.
Il est 7 h ce matin de la fin du mois d’août quand j’arrive sur la parcelle du Mouton noir. C’est une amie qui m’a parlé d’Arthur, ce jeune paysan vigneron. Il a 25 ans, une formation au lycée agricole d’Aubenas épinglée sur son CV, un voyage au Chili dans les pattes, et une véritable passion pour le vin. Depuis quatre ans, il loue des parcelles de vigne dans le village de Chazeaux où il a plus ou moins grandi. Arthur cultive du gamay, un peu de merlot qu’il fait en « vin nature » et des chatus, un cépage typique des Cévennes ardéchoises.
On est une petite dizaine de volontaires ce matin pour ces premiers jours de vendanges. Arthur semble inquiet. Les raisins ne sont pas beaux, les grappes sont toutes petites et il y en a très peu. En une heure à peine, on finit déjà la parcelle et je ne suis même pas fatiguée. Les caisses ne sont pas bien lourdes tant les grappes sont petites. On aura ramassé ce matin 37 caisses quand il en aurait fallu 85 à Arthur pour être tranquille. Cette année en Ardèche, tous les vignerons et viticulteurs enregistrent une récoltent en baisse de 40 % par rapport à une année normale. La faute à une mauvaise floraison, à la grêle au début de l’été puis à la sécheresse.
« Vous ne ramassez pas les petits grapillons »
Arthur me rappelle pour vendanger des merlots deux jours plus tard. J’arrive à 10 h. Cette fois-ci, Arthur et Quentin, son associé, sont en train de presser du raisin dans la cave avec un vieux pressoir manuel qu’on leur a prêté. Les copains arrivent, aujourd’hui c’est un nouveau groupe de vendangeurs qui vient prêter main forte : Charlie, un copain paysan castanéiculteur du village voisin. Avec lui, un wwoofer qu’il accueille, une Italienne, un Parisien et un Suisse aussi de passage chez lui. Vous ne ramassez pas les petits grapillons et vous laissez les raisins sur les pieds de vigne qui ont les feuilles rouges, elles sont malades celles-là. Et nous voilà partis pour deux bonnes heures de vendange.
Nous sommes à environ 400 mètres d’altitude sur une parcelle de faïsses, des terrasses séparées par des murs de pierres, façonnées par la main de l’homme il y a plusieurs centaines d’années, pour rendre ces terres pentues cultivables. Les vignes suivent les courbes de la montagne, on ne voit pas le bout de la rangée. Surtout n’oubliez pas vos caisses entre les vignes, prévient Arthur. Un hiver, je me promenais dans le vignoble et j’ai retrouvé une caisse pleine de raisin tout sec, j’avais les boules !
Entre chaque rangée, il faut ramener les caisses à la cave, en contrebas.
Me voilà presque en mode automatique. Je coupe, je jette le raisin dans ma caisse, je la remplie, je l’attrape, je marche vers la cave pour la ramener et ainsi de suite. Après la pause de midi, retour aux mêmes automatismes, à la même bande de copains et toujours à ces mêmes grappes de raisin tous les dix centimètres dont je rêverai cette nuit.
« On est tombé sur quelqu’un qui faisait pas semblant de bosser »
Deux semaines plus tard, pour ce dernier jour de vendange, je retourne au domaine du Monton noir au petit matin. Arthur et Quentin sont à la cave depuis plus d’une heure déjà pour nettoyer les cuves et préparer la cave qui recevra bientôt les 2,5 tonnes de raisin vendangé dans la journée.
Après le café, partagé dans 3-4 gobelets, l’équipe de vendangeurs est prête. Nous sommes une quinzaine, plus ou moins réveillés. Sur les parcelles d’Arthur, il ne reste plus qu’à vendanger le chatus, un des plus anciens cépages français, très tannique, que l’on ne trouve plus que dans la région.
Le ballet des caisses de raisin et des vendangeurs commence. Il faut fouiller parmi les feuilles de vigne pour attraper les grappes, couper la petite tige qui retient parfois un gros amas de raisin au pied, jeter la grappe dans la caisse et avancer jusqu’à la prochaine. Plus j’avance et plus je suis efficace. On est tombés sur quelqu’un qui ne faisait pas semblant de bosser, plaisante un ami d’Arthur qui revient des vendanges en Bourgogne. Mais plus j’avance et plus les caisses me semblent lourdes. Contrairement, aux premiers jours de vendange, on a devant nous de bonnes grosses grappes qui parfois ne tiennent même pas dans ma petite main.
Au loin, l’égrappoir se met en route. Par manque de matériel du fait des gros investissements que cela demande, Arthur et Quentin doivent rentrer le raisin dans les cuves au fur et à mesure pour décharger les caisses au plus vite et éviter que les vendangeurs ne se retrouvent au chômage technique, sans caisse à remplir.
La cadence est bonne, l’équipe efficace. Midi approche, le soleil commence à chauffer et les tee-shirts à tomber. J’essaye de rester concentrée malgré les rires et les conversations autour de moi me remémorant de précédentes vendanges où mon index était passé entre les deux lames du sécateur par manque d’attention… Ça y est, j’ai mal au dos et mes mains collent, heureusement, c’est l’heure de la pause.
« Qui veut fouler du raisin ? Domitille, tu ne l’as pas encore fait ! »
J’avoue être soulagée par cette proposition. Je n’ai plus de force dans les doigts pour soulever ma caisse de raisin. Direction la cave. J’enlève mon pantalon, nettoie mes pieds et mes jambes dans un mélange d’eau et de produits désinfectants, rince le tout à grand jet d’eau et plonge dans la cuve. C’est frais, le raisin est déjà bien écrasé et je sens entre mes oreilles les petites peaux et les pépins. Une drôle de sensation, moins désagréable que j’imaginais.
On devrait ouvrir une salle de fitness dans la cave, entre les vendanges et le fouloir, tu vas ressortir super musclée, lance Arthur avant de plonger un verre dans la cuve pour la goûter. Puis le jeune homme repart sur les vignes. Je me retrouve seule dans la cave à écraser du raisin au pied en tournant en rond dans la cuve… Un genre de danse méditative qui me fait oublier que, dans quelques semaines, c’est déjà la fin de l’été.
oui, dans ma jeunesse, j’ai connu les vendanges ainsi, un travail éreintant, surtout qu’on faisait plusieurs viticulteurs et cela durait un mois !
j’adorais être dans le vignes, j’aurai plein de choses à raconter mais ce serait trop longtemps !
un temps où les villages vivaient au rythme des saison !