Qu’est-ce qu’elle prendra, la petite dame ? Dans un village occitan en quête d’un nouveau souffle, une mairie dégourdie et quelques producteurs ont relancé l’indispensable petit marché. Bienvenue à Fa.
Le café vient à peine d’ouvrir lorsque la camionnette de Christophe passe en un éclair vert, franchissant le pont sur le Faby avant de s’arrêter devant le foyer municipal. Il est 8 h 15, il s’agit d’installer le stand en un quart d’heure. Marie, la boulangère, est déjà là. Une fois la porte du petit local ouverte, les véhicules sont déchargés en un instant, et les deux stands se garnissent de viennoiseries et de pains pour l’un, de fruits et légumes pour l’autre.
La salle est baignée d’un rayon de soleil matinal, l’été indien s’étire au-delà du raisonnable. Déjà, les premiers clients arrivent, la mine réjouie. Le miracle a lieu deux fois par semaine depuis six mois : Fa, petit village occitan niché entre les Corbières et les Pyrénées, a retrouvé son marché. Et couvert, s’il-vous-plaît.
Un local à dix balles
Tout a commencé quand le commerce ambulant de pain a arrêté son activité, par manque de clients, raconte Anthony Chanaud, le maire du village, qui a fusionné avec la commune voisine de Rouvenac en début d’année. Les habitants des deux bourgs, qui comptent pour seuls commerces un café, une auberge et un salon de thé, étaient déjà condamnés à prendre la voiture pour faire leurs courses à Esperaza, la ville la plus proche. La fin des croissants frais a été le coup de trop. Des personnes âgées sont alors venues me voir et je me suis creusé la tête pour trouver une solution, poursuit Anthony, 30 ans, plus jeune maire du département. On a donc mis à disposition les deux foyers municipaux. Comme légalement, il faut une participation, on demande 10 euros par mois par foyer municipal, ce qui paye le chauffage en hiver.
Une boulangerie d’Esperaza a accepté de jouer le jeu et d’apporter une sélection de pains et viennoiseries lors d’une permanence d’une heure dans chaque village, les mardi et vendredi matin. Très vite, Pierre et Christophe, deux jeunes maraîchers du village, se sont greffés à la distribution, proposant leurs produits et le miel d’un apiculteur local. Une éleveuse de vaches Galloway a suivi, avec ses colis de viande et son jus de pomme.
Ça commence maintenant à faire un vrai petit marché, commente Anthony, tout sourire, en assurant qu’il n’a même pas trouvé trace, dans les archives municipales, de la date d’extinction de l’ancien marché. Et il se trouve que ça marche super bien : le fait qu’il y ait des maraîchers ça fait venir du monde, le pain est plus rentable. Comme nous concentrons le marché sur une heure de temps, ça crée un lieu de vie toujours plein. Et pour les producteurs, une heure deux fois par semaine, c’est moins lourd qu’un gros marché car ils ne grillent pas leur matinée.
Service social et croissants au beurre
L’église qui jouxte le foyer municipal sonne neuf coups, recouvrant un instant les conversations de la file d’attente qui s’étire devant le stand de Marie. Le stock de croissants a déjà sérieusement pris un coup mais les baguettes tiennent bon. C’est un vrai service social pour les petits vieux qui ne conduisent plus et pour les mamans avec bébés, c’est super pratique pour eux, assure Christophe. Pour le trentenaire maraîcher, qui a installé son jardin l’an dernier sur les hauteurs de Rouvenac, c’est aussi un moyen de rencontrer des clients et de tester son activité, avant de lancer une Amap la saison prochaine. On est dans un des quartiers les plus pauvres de France, il faut se créer nos taf, lance-t-il avec une joyeuse détermination.
Il n’y a que 30 gamins à l’école, mais avec une cantine, on pourrait aussi livrer les personnes âgées.
Christophe a consacré cette première année à la mise en place du potager : J’ai testé plein d’associations et j’ai serré toutes les cultures. D’ailleurs j’ai bien fait, avec la canicule. Et il y a eu zéro traitement sur les tomates. Son jardin, un peu foutraque, plein de fleurs et de verdure exubérante, est incroyablement productif malgré la terre pauvre du plateau de Bouichet. La plupart des terres fertiles de fond de vallée, en bordure du Faby, ont été réservées à la vigne ou pire, artificialisées pour accueillir des pavillons. Anthony Chanaud s’est mis en tête d’en racheter pour les mettre à disposition des maraîchers du village, et ainsi approvisionner une cantine municipale. Il n’y a que 30 gamins à l’école, mais avec une cantine, on pourrait aussi livrer les personnes âgées, explique le maire.
Roquette man
Il est 9 h 15, Christophe et Pierre expliquent en anglais le concept du pesto à l’ail des ours à une audience conquise. Va pour un grand pot, avec une bouteille d’« apple juice ». Thank you very much, bye, bye ! lance Pierre au petit groupe qui enchaîne derechef avec les viennoiseries. La vallée compte beaucoup de résidences secondaires de Britanniques, ravis du service de proximité. Marie commence à remballer son stand presque vide, direction le deuxième foyer municipal, à Rouvenac : On va se faire assassiner. Quand on arrive, il y a toujours quinze personnes qui attendent.
Sauvés ! À Rouvenac, Kris, un troisième maraîcher, a apporté ses cagettes de butternut, potimarron, laitues, bettes et haricots. Les stands sont remontés, et garnis de nouveau. Le pain vient vite à manquer mais les légumes frais font un malheur. Le ballet des clients, pour la plupart armés d’une canne et d’un cabas à roulette, est incessant. En anglais, et avec son accent américain, Kris explique à un Christophe incrédule que sa salade est bien de la roquette : J’ai sélectionné les graines sur plusieurs années pour que les feuilles soient larges, pleines et non découpées. Ce genre d’heureuses surprises prendra bientôt fin : la saison froide approchant, c’est le dernier marché de l’année pour les trois compères. Mais le galop d’essai leur a donné l’élan et les fonds pour commencer plus tôt l’an prochain et pour lancer des légumes d’hiver. En attendant, la mairie recherche un producteur de fromage pour étoffer le marché, et pour garnir les baguettes de Marie.
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