Le théâtre se mettrait-il au vert ? C’est du moins le mot d’ordre de la compagnie Zygomatic. Cet été au festival d’Avignon, son spectacle comique a pointé du doigt l’inaction politique face au réchauffement climatique.
Le festival d’Avignon a lieu du 7 au 31 juillet et devinez où ? À Avignon. Et devinez quoi ? Il y a fait chaud. Paradoxalement, cette chaleur étouffante a incité les festivaliers à se réfugier dans les salles climatisées alors même que celles-ci contribuent à l’îlot de chaleur insoutenable qu’est devenue la cité des papes.
Ce soir-là, je me rends au Théâtre des Lucioles pour (re)voir le spectacle Climax (à prononcer comme vous le sentez) de la compagnie Zygomatik. Dans la file d’attente, sur la crinière des spectateurs se dépose une délicate pluie de cendres provoquée par un feu de forêt survenu à quelques kilomètres de là. Le ciel est gris-jaune. L’odeur âcre. Autant dire que l’ambiance a quelque chose d’apocalyptique. Promotion idéale pour un spectacle qui traite du réchauffement climatique, vous me direz.
Dans cette création burlesque et musicale, on assiste à un puzzle de scènes aussi loufoques que tragiques, comme les épreuves de patinage artistique sur banquise fondante pour les JO, ou une COP du futur imaginant la réunion des plus grands chefs d’État en pleine mer (because la montée des eaux). Ou encore… un battement de cil. Un quoi ? oui, oui, un battement de cil. Si l’on condense l’histoire de l’Univers depuis sa création sur une année, celle de l’humanité ne représenterait pas plus d’un battement de cil à 23 h 59 le 31 décembre. C’est à l’astrophysicien Carl Sagan que l’on doit ce calendrier cosmique. La troupe des Zygo reprend à son compte cette échelle de valeur dans une scène ingénieusement chorégraphiée et dont la puissance anxiogène contrebalance avec la légèreté (apparente) du reste du spectacle. De telle façon qu’on finit sur une claque dans la gueule, bien utile pour sortir de là gonflés à bloc.
Sujet lourd, ton comique
Rencontre avec Ludovic Pitorin, directeur artistique de la compagnie, acteur, auteur, metteur en scène et chapeauteur en chef du projet, qui a fait de l’écologie son fer de lance théâtral : La compagnie est née de cette envie de parler de problématiques écologiques avec un traitement qui démocratise ces sujets-là. C’est pour cette raison qu’on a choisi la forme du music hall, très populaire et donc plus accessible.
En effet, les Zygomatic n’en sont pas à leurs débuts. Il y a quinze ans déjà, ils abordaient ces questions dans le spectacle Le grand jeu de la faim dans le monde en se demandant comment un milliard d’humains pouvait en souffrir alors même qu’un autre milliard souffrait d’obésité. Après 600 représentations, la troupe explore davantage l’alimentation en passant au microscope le contenu de notre assiette dans le spectacle Manger. Là encore, succès et plus de 400 représentations au compteur.
Climax s’inscrit dans la suite logique de ces premières créations : parler d’un sujet aussi lourd et complexe que le climat dans une forme comique et musicale. Si Ludovic est à l’origine du projet, cela reste un travail collectif : On travaille de manière très empirique, on écrit, on joue, on voit si ça marche, sinon on ne garde pas et on propose autre chose.
Celui qui n’avait pas prévu de venir
Force est de constater que le sujet a de plus en plus le vent en poupe comme en témoigne la sévère canicule qui frappe plusieurs régions d’Europe au moment de notre rencontre. Pour Ludovic, le public a lui aussi beaucoup évolué en quinze ans Sur les précédents spectacles on sentait encore des légères réticences ou du moins des clivages sur certaines thématiques comme le bio. Aujourd’hui, on sent que c’est davantage rentré dans les mentalités.
Toutefois, le réel objectif n’est pas tant de prêcher des convaincus que de faire venir un public moins averti sur toutes ces questions Notre premier public, c’est celui qui n’avait pas prévu de venir. Cela est rendu possible grâce aux actions culturelles menées par la compagnie dans le milieu associatif militant et scolaire. On ne joue pas directement dans les établissements mais on trouve des lieux partenaires afin de proposer le spectacle à moindre coût et le rendre accessible au plus grand nombre. Après chaque représentation, on fait un bord de scène.
Une mini conférence ludique de 15 minutes permet ainsi aux spectateurs de repartir avec un bagage culturel dédié au climat. On leur explique que l’empreinte carbone d’un Français moyen c’est 12 tonnes par an, donc comment fait-on pour réduire cette empreinte à 2 tonnes afin de respecter les Accords de Paris ? Par ailleurs, dans le cadre des scolaires, on insiste aussi pour que les profs en parlent davantage car en réalité ils le font très peu et plutôt mal, on a même remarqué que le sujet ne les passionnait pas vraiment…
Représentation bas carbone
Et qu’en est-il de la conception même du spectacle ? À l’heure où tout le monde a un rôle à jouer dans la diminution de notre empreinte carbone, les arts vivants bien qu’ils soient de moindre impact ne méritent pas pour autant d’être oubliés. La compagnie des Zygomatic l’a bien compris. Climax (comme les précédents spectacles) a été conçu de manière à limiter son empreinte au maximum. Les décors sont réduits au strict nécessaire (l’écran en fond de scène remplit ce rôle à merveille). Et ce n’est pas tout, en passant tout le matos lumière aux ampoules LED, ils divisent par 5 leur consommation d’énergie pour chaque représentation.
Quant au reste, la compagnie exige des lieux qui les accueille qu’ils soient en accord avec les valeurs qu’ils défendent, et donc respectueux de l’environnement. On a des fiches techniques qui font que les programmateurs nous trouvent parfois chiants mais dans l’ensemble ils jouent plutôt bien le jeu. On essaie bien sûr d’être à la hauteur de nos idées même si parfois on est obligé de craquer sur certains accessoires clairement pas fabriqués en France.
En dehors de Climax, quelques autres spectacles présentés à Avignon se sont emparés de sujets similaires parmi lesquels l’incontournable Coupures (bande-annonce ci-dessous), un spectacle politique qui illustre les difficultés auxquelles se trouve confronté le maire écolo d’un petit village quand on lui impose des antennes 5G et qui nous interroge sur l’impact de l’action écologique quand celle-ci reste minoritaire. Radio Bistan, autre spectacle musical, s’amuse dans un autre genre à nous montrer un pays imaginaire dans lequel le nouveau président élu est un chanteur écolo et surtout éco-anxieux qui craint d’être pris pour un khmer vert narcissique.
Lentement mais sûrement, on peut espérer que le théâtre prenne le chemin d’un art plus écoresponsable. Et tant pis si la couleur verte sur scène porte malheur !
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Pour consulter les prochaines dates de la tournée, c’est par ici : www.compagniezygomatic.com
Bravo à cette troupe, et merci pour votre couverture 🙂