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Technologie de pointe

Highland, la vache au poil pour désherber en douceur

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Enfin une débroussailleuse qui ne tombe jamais en panne. Des paysagistes lorrains se sont lancés dans l’éco-pâturage grâce à une race rustique qui broute même les ronciers.

Une paire de cornes émerge d’un buisson. La bête rousse qui en sort d’un pas tranquille, museau au vent, frappe par son look préhistorique : une toison dense et longue qui lui recouvre les yeux et pend le long de ses flancs, un corps petit et massif, et ces deux pointes démesurées qui s’étirent de chaque côté de la tête avant de s’élancer vers le ciel gris. La vache Highland Cattle, originaire d’Écosse, est en Lorraine comme chez elle. Les pieds dans l’eau.

Ici il y avait trop de roseaux : ils ferment le milieu, empêchent les autres plantes de pousser, et même les oiseaux ne pouvaient pas y aller, pointe André Masson, en bordure de la Zone humide du Moulin, à Teterchen (Moselle). Trois de ses protégées se sont donc chargées de nettoyer les lieux, missionnées par le Conservatoire d’espaces naturels de Lorraine, qui faisait autrefois débroussailler la zone par des tracteurs à chenilles. Mais ça, c’était avant l’arrivée de la providentielle brouteuse.

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Pas gênée par le sol détrempé de la zone humide, cette génisse est occupée à traquer les pousses de roseaux. Une journée classique au boulot. ©Thomas Louapre

Potes à franges

Il n’y a rien à faire, on les met au printemps, on les récupère en automne, assure André, cofondateur de la société Highlands du Warndt. Mais il y a quand même le côté social : il faut aller les voir régulièrement et leur parler pour les habituer à nous. Pas farouches, les quatre génisses s’approchent de leur propriétaire, poussées par la perspective d’un morceau de pain sec, et indifférentes à la pluie fine qui s’abat sur elles. Ancien professeur de technologie, André fait l’inventaire consciencieux des avantages de la bête : Son sabot est aussi gros que celui des autres races de vache, mais elle est deux fois moins grande ; c’est parfait pour les zones humides. Et malgré ses cornes, elle manœuvre sans soucis dans les fourrés.

Loin de boucher la vue, la frange trop longue évite d’avoir des mouches dans les yeux en été (un point non négligeable dans cette zone marécageuse). Mais l’atout numéro un de la highland, c’est sa capacité à manger tout ce que les autres herbivores dédaignent. Roseaux, mais aussi ronciers, chardons et pousses d’arbres sont indifféremment engloutis, mâchés, ruminés. L’an dernier, le Conservatoire avait fixé un objectif et on l’a rempli à plus de 90 %, raconte André. Ils étaient ravis !

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Étrangement, les longues cornes ne s’accrochent pas dans le sous-bois et les highlands naviguent avec aisance entre les troncs. ©Thomas Louapre

Avant d’arriver sur une réserve naturelle, les highlands d’André avaient fait leurs preuves… en ville. Montigny-lès-Metz m’a contacté pour un parc de 2 hectares en bord de ville, ça a eu un impact formidable ! Après les prairies Jean-Marie Pelt en 2016, de nouvelles pensionnaires sont venues prendre leurs quartiers au stade Ney en 2017, ravissant les services techniques autant que les passants — qui ont vu naître un veau à même le parc au printemps 2019. En échange de cet entretien garanti zéro phyto, la Ville paye le transport et les frais vétérinaires des bovins. La commune de Metz a embrayé, mettant deux zones à disposition, et proposant à André d’assurer des animations avec les écoles pour faire découvrir les avantages de l’éco-pâturage. La bouille hirsute de la douce Écossaise fait fureur. Et l’éleveur sait jouer de ces charmes : Là où il y a du passage, on met les vaches avec les plus belles cornes ; là où personne ne passe, on met des bœufs ; et ici, sur la zone humide, on met des génisses, parce qu’il faut bien les mettre quelque part !

Montigny-lès-Metz m’a contacté pour un parc de 2 hectares en bord de ville, ça a eu un impact formidable !

Avantages en nature

Une partie du troupeau de débroussailleuses finit aussi dans l’assiette. Car pour André et ses associés, qui travaillaient déjà dans le paysagisme et avaient chacun un salaire, l’élevage s’est avant tout présenté comme un complément de revenu en nature : Mon idée était de prendre des highlands pour défricher, et qu’au final chacun de nous ait de la viande gratuite. Au lancement de la SARL Highlands du Warndt, chacun des cinq compères —  les frères Friderich (Arnaud, Pierre et Matthieu), Dominique Leist et André —  a acheté une bête. Une poignée de parrains a fait de même, contre la promesse de colis de viande réguliers.

Au menu : du bœuf, les femelles étant gardées pour la reproduction et les veaux étant trop petits pour être valorisés en boucherie. C’est moi qui m’occupe de les vendre, explique André. Mais c’est les jeunes qui leur courent après pour les attraper ! La highland, vache à croissance lente, n’est pas bien potelée mais sa chair s’avère extrêmement fine (4,5 % de gras contre 15 % pour d’autres races) et très réputée. C’est une viande extraordinaire ! Pour la vente, c’est pas compliqué. L’équipe livre à domicile, pour moins de 20 euros le kilo, à partir de deux steaks. Mais les clients préfèrent les parties à bouillir, en pot-au-feu ou bourguignon.

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Spécialistes des espaces verts, André Masson, Pierre et Arnaud Friderich se sont associés pour s’acheter des débroussailleuses comestibles. ©Thomas Louapre

Le troupeau s’élève maintenant à une cinquantaine de têtes, et le petit complément d’activité est devenu une passion pour les cinq associés. Dans la gadoue de leur terrain de Merten, à quelques centaines de mètres de la forêt du Warndt, où commence l’Allemagne, Arnaud Friderich siffle et crie pour rassembler les bêtes. Des mots de patois lorrain se mêlent au français. Arrivent deux vaches blondes et un petit qui court pour tenir la cadence des aînées. C’est bientôt toute une file qui se forme, dans un défilé de poils et de cornes. On a acheté des brunes, des noires, des blanches et des jaunes, raconte Arnaud. Il ne manque que du gris ! On distingue un taureau dans le lot. C’est Turbo. On reconnaît bien les mâles aux cornes qui vont vers le bas, alors que celles des femelles sont en forme de lyre, explique le jeune éleveur. Il y a aussi Justine, Lily et Gisela. Elles ont toutes un nom ! La plus blonde, c’est Perla. Ensuite les deux petits c’est Pepito et Pedro. C’est ma conjointe qui choisit les noms, confie-t-il, amusé. Avant de concéder que cette complicité est à double tranchant : Je ne dis pas que ça ne me fait rien quand j’en mène une à l’abattoir. À une dizaine de mètres, une grande peluche rousse tente de se cacher maladroitement derrière sa mère. Ce petit, il est peut-être de ce matin. Ils ne font que 15 kilos à la naissance, ça fait le poids d’un mouton ! 

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Les petits naissent dehors, même en plein hiver, et ne nécessitent généralement aucun soin. Mignons mais costauds. ©Thomas Louapre

Broute épaisse

La balle de foin déballée aujourd’hui n’a pas beaucoup de succès. Tant qu’elles auront de l’herbe, elles ne toucheront pas au fourrage. J’ai vu des veaux bouffer des ronciers ! raconte Arnaud, constamment surpris par la rusticité de la race. Nul besoin de traitement, de vermifuge, ni de répulsif à tiques. Ni même d’abri : le hangar mis à disposition est toujours vide, les vaches préférant rester sous la pluie ou la neige, dans laquelle elles mettent bas sans broncher. Aurait-on trouvé la perle rare de l’élevage français ? S’il y avait de l’argent à se faire avec la highland, les éleveurs intensifs en auraient ! évacue Pierre, le frère. On a calculé, il nous en faudrait une centaine pour dégager un Smic. André abonde : Ce n’est pas rentable, comme bête, mais c’est formidable, on n’a pas de revenus à dégager. Puis l’ancien prof de concéder : On a commencé à les vendre pas assez cher. On pourrait en vivre, mais en développant le commercial, en allant dans des restaurants à Paris par exemple. Après la zone humide et les faubourgs de Metz, les rustiques highlands pointeraient-elles leurs cornes dans la capitale ? Ça ne manquerait pas de piquant.

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© Thomas Louapre

3 commentaires

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  1. merci de nous faire partager cette aventure exemplaire et bravo pour les photos de ces bêtes aussi sympathiques et encore plus rustiques que le baudet du Poitou; je suis tombé sous le charme !

  2. Y a t’il des éleveurs en Bretagne côtes d’armor? J’ai des moutons d’ouessant animaux rustique très sympa qui nous nettoient nos terrains mais qui se font attaquer par des chiens… je réfléchie à une autre solution

    1. Il y a un troupeau à Assérac -44- qui éco-pature en Brière et vers les marais salants. De toutes les couleurs, ces vachettes sont magnifiques

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