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Very good tripes

Éleveur-charcutier, dans les règles de lard

Pour sauver l’exploitation familiale, Pierre-Louis a tout appris, de l’élevage bio à la vente, en passant par la préparation des spécialités lorraines. Rencontre avec un champion du cochon.

Une énorme truie passe en trottant derrière un caillou qu’elle pousse avec son groin. Une autre approche ses 200 kilos de Pierre-Louis Peltre, en remuant la queue, l’œil joueur. Ce sont des mangalitza, une race laineuse et rustique, réputée pour sa croissance lente et la finesse de son lard. Depuis mes quinze ans, je voulais des cochons comme ça, et j’ai réussi à me les payer ! jubile Pierre-Louis, 26 ans, béret vissé sur la tête et lunettes sérieuses sur le nez. Et cette semaine je vais faire ma première transfo en mangalitza : des jambons et de la viande fraîche. Les clients les plus fidèles attendent ça depuis un moment. Car le jeune homme maîtrise toute la filière : éleveur, boucher, charcutier, livreur et vendeur, on a trouvé le super-héros du terroir lorrain.

Par ici la bonne viande ! Cette truie de race Mangalitza, à croissance lente, est la perle de l’élevage de Pierre-Louis. © Thomas Louapre

Porcs chéris

Il n’en fallait pas moins pour reprendre la ferme familiale, à Assenoncourt. Voici les ruines de mon château, un élevage conventionnel qui a fait faillite, explique Pierre-Louis, en faisant visiter ses bâtiments défraîchis, sous une pluie continue. Mes parents, ils ont travaillé pour presque rien… Pour sauver l’exploitation, il a fallu passer de 75 truies élevées pour des industriels de la charcuterie à une dizaine de bêtes, en bio, transformées par Pierre-Louis et vendues en circuit court.

Un changement complet de paradigme que notre homme a mûri tout au long de son parcours de formation, notamment dans le master européen Food Identity suivi à l’université d’Angers. Miser sur la sauvegarde du patrimoine alimentaire local (dont l’inévitable saucisse lorraine) a permis à Pierre-Louis de lever des fonds sur une plateforme en ligne pour s’équiper d’un utilitaire frigorifique, se constituer un fonds de roulement et sérieusement lancer l’activité, en 2018.

À quelques mètres du parc ouvert où s’ébrouent les espiègles mangalitza, quatre mères sont entourées de leurs cochonnets dans des boxes séparés, à lumière de lampes rouges. Chacune veille sur une bonne douzaine de marmots qui agitent frénétiquement leur queue en cherchant à téter. Un porcelet boit 75 centilitres par jour, c’est l’équivalent d’une bouteille de vin ! s’amuse l’éleveur. Ceux-là font déjà deux kilos et demi, ils ont doublé de poids depuis qu’ils sont nés il y a deux semaines.

Dans le bâtiment suivant, trois autres mères nourrissent leurs petits tachetés. C’est un peu la légion étrangère, il y a toutes les couleurs ! Mes parents avaient des cochons de race purs et je suis reparti de croisés : plus il y a de couleurs, mieux c’est pour la viande. Landrace, large white, duroc, mangalitza et pietrain cohabitent donc dans un joyeux mélange de gènes. Seules les mangalitza font aussi l’objet d’une lignée pure. Ça c’est de la viande de caractère, s’exclame l’éleveur en désignant une de ses truies préférées, Monalitza. Elles sont plus petites mais elles tapent les autres !

Arrêt aux stands. En bio, les jeunes cochons sont sevrés au bout de six semaines, contre trois seulement en conventionnel. © Thomas Louapre

L’amour vache

Soudain, la lumière s’éteint, plongeant les truies dans la pénombre. Les fenêtres laissent péniblement entrer la faible lumière du ciel gris lorrain. Ah, mon père a fait sauter le courant ! La lumière revient vite, et avec elle un bruit sourd de machine émanant du bâtiment voisin, un hangar haut de plafond. Aux manettes, Francis, le père, est couvert de poudre blanche des bottes jusqu’aux lunettes. Casque anti-bruit sur les oreilles, il prépare l’aliment bio des cochons en broyant ensemble des céréales et légumineuses achetées à une coopérative lorraine : orge, tritical, petits pois, féverole. Le son de blé vient d’un paysan-boulanger. On fait des aliments différents selon le stade physiologique des cochons, explique Francis. Au début, ils ont besoin de beaucoup de protéines, puis en fin d’engraissement ils ont surtout besoin d’énergie. L’aliment est un gros poste de dépense, aussi les Peltre cherchent-ils à récupérer 15 hectares de terres loués à un cousin, afin de relocaliser la production.

On emmène nous-mêmes les cochons à l’abattoir, à Sarrebourg, à 5h du mat’.
Ici pas de discrimination. Les mangalitza, duroc et landrance sont croisées pour produire des animaux plus rustiques et une viande plus goûteuse. © Thomas Louapre

Une fois la ration du jour préparée, Pierre-Louis attrape une souffleuse pour débarrasser son père de la farine qui s’introduit dans chaque pli. Dans l’encadrement de la porte, Martine observe le ballet de ses deux hommes. Entre deux tâches, comme à table, les Peltre s’envoient des petites piques, des conseils, des reproches, toujours à la recherche d’un bon mot pour taquiner l’autre. Les éleveurs porcins ont l’amour vache. Mon père m’aide grandement au niveau de l’élevage, et l’un des objectifs c’est de le salarier, assure Pierre-Louis. C’est pas toujours facile de travailler en famille, confie-t-il. Mais je fais tellement de choses à côté que je peux pas toujours lui dire quoi faire, je suis obligé de lâcher du lest.

Franco de porc

Les journées sont déjà bien chargées. Et des travaux se profilent, que notre touche-à-tout hyperactif prévoit évidemment de faire lui-même. Dans six mois j’aimerais bien avoir un atelier boucherie à la ferme pour optimiser la découpe, explique Pierre-Louis, qui fait plus d’une heure et demi de route par jour. On emmène nous-mêmes les cochons à l’abattoir, à Sarrebourg, à 5 h du mat’. Puis de l’abattoir je les emmène au lycée agricole de Bar-le-Duc, où je découpe et, de là, je les ramène ici. Pour ajouter quelques kilomètres, notre éleveur habite en ville, à Sarrebourg. C’est sur la route de l’Alsace, où je vends, précise-t-il. Je vais livrer trois Ruches ce soir.

Pierre-Louis, qui profite de l’aide de son père dans la préparation de l’aliment, espère dégager assez de revenus pour le salarier. ©Thomas Louapre

La préparation de la commande est un grand moment de pédagogie charcutière : on y voit tout le cochon. Jambon sans nitrite, rôti dans l’épaule, saucisse lorraine, rillettes, fromage de tête… Dans la diversification, t’as un produit pour un client, assure Pierre-Louis, qui farfouille dans un réfrigérateur. J’avais pas un jambonneau quelque part ?! Les grandes mains du charcutier, qui arrivent à gagner entre un mi-temps et un temps plein, voient passer un cochon par semaine, vendu en moyenne 4 euros du kilo. Je trouve que, globalement, je ne suis pas assez cher, confie-t-il. En bio, l’alimentation est deux fois et demi plus cher, on a des phénomènes aléatoires, des bâtiments moins performants. Dans un mangalitza, tu as mille balles d’aliment ! Il faut que je valorise sa viande au moins trois fois plus que les autres, qui eux me coûtent 250 euros à nourrir. Pour le moment, la débauche de travail compense la faiblesse des prix, au grand bonheur des clients.

La nourriture des cochons est préparée sur place à partir de grains d’une coopérative lorraine. © Thomas Louapre

Le véhicule frigorifique est chargé, Pierre-Louis peut s’envoyer une terrine pour midi, en famille, avant de reprendre la route. Sur les étiquettes des pots de rillettes, entre une silhouette de porc et la mention « produit fermier », on trouve le nom de la petite entreprise du fils Peltre : Le Wéré. C’est le nom dont on affublait autrefois les habitants d’Assenoncourt, et qui désigne, en patois lorrain, l’incontournable cochon. Et dans celui-ci, pas de doute : tout est bon.

4 commentaires

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  1. « Par ici la bonne viande «  !!Comment peut on faire de l humour sur un sujet ( la mort d un être vivant) aussi tragique ?!

  2. C’est génial !!! Vivement les envoies en chronos fresch !!!
    A quand une participation des clients par un abonnement mensuel comme poiscaille ou d’autres sites super !!!
    BRAVO ET NE LÂCHEZ RIEN

  3. Bonjour,

    je ne suis pas sur Facebook mais ce producteur bio de cochons m’interesse beaucoup, comment le contacter? Peut-on acheter ses produits?
    Suis en Moselle, mais à l’autre bout du département,
    Merci

    1. Bonjour,
      Nos produits sont disponibles sur les ruches de Sainte-Marie aux Chênes, Thionville, Manom ensuite sur Metz ou encore Coopéthique à Woippy.
      Bonne réception à vous,
      Le wéré

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