La vente directe serait-elle la clé pour ouvrir le champ d’une nouvelle agriculture plus écologique, sociale et économiquement viable ? Le lien entre circuits courts et agriculture qui prend soin des écosystèmes, des paysans et des consommateurs est-il systématique ? Réflexions.
Enfonçons une porte ouverte : il existe une solidarité profonde entre le mode de distribution de masse qui s’est imposé en France dans la deuxième moitié du XXème siècle et notre modèle agricole intensif. Dès cette époque, les agriculteurs qui souhaitent être en phase avec la modernité sont invités à se consacrer à la monoculture, à produire des denrées standardisées et à s’engager dans une course mortifère à la taille de leur exploitation.
Ainsi, grande distribution et agriculture industrielle sont deux systèmes symétriques. Pour autant, suffit-il de mettre à bas le système de distribution de masse et de généraliser les circuits courts pour embrasser la transition agricole ? Rien n’est moins sûr.
Bien plus qu’une affaire de proximité
Le problème, c’est qu’il existe une confusion courante entre circuits courts et locavorisme. Dans la tête de la plupart des consommateurs soucieux de leur empreinte environnementale, c’est généralement l’argument de la proximité du lieu de production qui détermine le choix de recourir aux circuits courts. Or, si les deux notions sont intimement liées l’une à l’autre, elles ne se recoupent pour autant pas absolument.
Le Ministère de l’Agriculture définit un circuit court comme «un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire». La proximité du lieu de production n’est même pas évoquée ! Faut-il s’en offusquer ? Pas vraiment, parce que le lien entre distances réduites et performance environnementale est tout sauf évident.
L’impact environnemental dépend plus du mode de production que de transport.
Le Commissariat Général au Développement Durable, dans une note parue en 2013, rappelle en effet qu’en la matière, l’impact environnemental dépend plus du mode de production que de transport. Et en théorie, rien n’interdit de vendre des tomates élevées en serre chauffée et/ou gavées de pesticides à 15 kilomètres de son exploitation ! En outre, rares sont les consommateurs qui sont prêts à s’alimenter exclusivement avec des produits locaux : pour la plupart des fruits et légumes, pas de problème, mais on ne fait pas de roquefort à Meaux, et le Pas-de-Calais n’est pas réputé pour la qualité de son foie gras.
Le secteur de la grande distribution – qui n’ignore évidemment rien des nouvelles attentes sociétales en matière d’alimentation – a bien compris le bénéfice qu’il pouvait tirer de cette confusion et n’hésite pas à mettre en avant produits régionaux et locaux sur ses étals, avec même en prime, parfois, une belle photo du producteur pour illustrer le tout ! Dans ces conditions, le modèle agricole dominant et le schéma de distribution qui lui est attaché peuvent dormir tranquille…
Oui, mais…
La moitié des agriculteurs ont gagné moins de 354 euros par mois en 2016. La guerre des prix que se livrent depuis des années les grandes enseignes de distribution et le déséquilibre dans la relation entre producteurs, transformateurs et distributeurs, ont abouti à une situation particulièrement alarmante (cette question sera d’ailleurs au centre des Etats Généraux de l’Alimentation au cours de l’automne).
Vendre en circuit court c'est plus dur mais c'est plus juste et c'est finalement ça qui compte.
Dans les faits, un agriculteur qui choisit de se lancer dans le circuit court le fait souvent pour diversifier ses débouchés et réduire sa dépendance à l’égard de la grande distribution. Et ce, même au prix d’un surcroît de charge de travail. Mickaël Robert, qui dirige une exploitation maraîchère familiale et membre du réseau de la Ruche qui dit Oui ! le reconnaît : vendre en circuit court, c’est plus de travail. En moyenne, je consacre chaque semaine deux journées et demi à la commercialisation de mes produits. Pour autant, il ne se voyait pas travailler avec les grandes surfaces comme le faisaient autrefois son père et son grand-père : c’est plus dur, mais c’est aussi plus juste, et c’est finalement ça qui importe le plus.
Le circuit court n’est pas qu’une question de diversification des débouchés, mais également de diversification de la production elle-même. À l’échelle d’un territoire, le circuit court de proximité est évidemment incompatible avec l’hyperspécialisation qui s’est imposée au cours des dernières décennies (sauf à penser que les Normands se nourriront exclusivement de pommes, et les Beaucerons de céréales !). Rompre avec la monoculture, pour un agriculteur, permet de mieux se protéger contre les aléas climatiques et économiques.
Selon le directeur du Pôle Alimentation Risques et Santé au CNRS, Gilles Fumey : il est essentiel de prendre en compte la question du réchauffement climatique. Or, la sensibilité au climat est liée à un certain type d’agriculture : la monoculture. À l’inverse, la polyculture, qui était la norme jusqu’aux années 50, constitue une bien meilleure protection contre les risques environnementaux qui vont immanquablement se multiplier dans les prochaines années.
Reconnecter villes et campagnes
L’influence de la distribution en circuit court sur le modèle agricole est donc réelle, mais plus complexe qu’il n’y paraît à première vue. Il est cependant un effet qu’il est difficile de remettre en question : le circuit court tend à recréer du lien social entre agriculteurs et citadins. Vous trouvez l’argument quelque peu fumeux ? Réfléchissez-y : plus des trois quarts de la population française vit aujourd’hui en ville. Dans ce monde, l’agriculteur est devenu invisible. Pourtant, dans leur écrasante majorité, les arrière-grands-parents de tous ces urbains avaient de bonnes chances d’être eux-mêmes paysans, ou a minima, d’en côtoyer quotidiennement ! Il faut aujourd’hui réintégrer le paysan dans la Cité, à tous les sens du terme.
Le circuit court est un outil au service de cette prise de conscience. Car du côté du producteur, la vente directe, par le dialogue qu’elle rend possible, est une façon de rester au fait des attentes des consommateurs. Côté consommateurs, habitués à traiter les denrées alimentaires comme des marchandises comme les autres par les géants de la distribution, mettre un visage sur celui qui les produit et comprendre les contraintes liées à son métier est un préalable au changement des mentalités.
Le terme même de consommateurs me gêne : on devrait parler de mangeurs !
Le terme même de consommateurs me gêne : on devrait parler de mangeurs ! Il faut absolument en finir avec ce dogme du prix bas. Dans certains cas, le renchérissement relatif de certains produits peut même être vu de façon positive. Nous savons par exemple que nous devrons diminuer notre consommation de viande dans les prochaines années. Le fait que de plus en plus d’éleveurs fassent le choix de la qualité – qui a bien sûr un coût – pourrait bien servir cet objectif environnemental de premier plan, déclare encore Gilles Fumey.
Il ne peut y avoir de véritable démocratie sans une agora animée. La démocratie alimentaire ne fait pas exception. La transformation du modèle agricole implique tout d’abord de réinstaurer un dialogue. Et si les circuits courts, c’était – déjà – ça ?
Bonjour,
Pouvez-vous citer vos sources svp ? (pour les 354€ / mois notamment)