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Voyage dans le monde pastoral

Berger, le chemin vers la liberté

Il était une fois, Barracuda, de son vrai prénom Pierre. Il était une fois, un berger, son chien et un troupeau de brebis. L’histoire d’un besoin existentiel de liberté plus que d’un attachement à un métier. L’histoire d’un cayolar perché sur les sommets, au seuil desquels on assiste avec ravissement aux changements de marées des nuages. Nous y voilà… au 7e ciel avec Barracuda.

©Olivier Cochard

Il est 11h. La brume reste en bas. Seuls les cris des vautours et sonnailles des brebis résonnent alentour. À grands coups de rafales, le vent couche herbes tendres et fleurs sauvages des estives. Le bois coupé sèche en attendant son heure. Après la courte visite des lieux (autrefois composés d’une pièce unique spartiate, le cayolar compte désormais cuisine avec poêle, chambre à plusieurs lits et cabinet de toilette) et parce que les estomacs crient famine, chacun s’affaire à préparer le déjeuner, sur fond de chants basques provenant d’une radio postée près de la gazinière.

Au menu du jour : salade de tomates aux fameux piments doux relevée de piment d’Espelette, xingar (tranches de porc conservé par salaison) et œufs de ferme frits à la poêle, le tout “maison” et arrosé de vin rouge. On dresse la table tandis que Beltza (comprendre “noir” en basque), chien fidèle du berger, étendu de tout son long dans l’entrebâillement de la porte, imperturbable, attend la récompense quotidienne promise pour son travail accompli du matin.

©Olivier Cochard

Déni de retraite

“Le bonheur, c’est ici.” Bombance faite, les mains dans les poches, par la fenêtre grande ouverte, Pierre regarde avec émotion en direction des sommets. Détournant ensuite les yeux, la voix chaude, il se remémore les transhumances d’autrefois. Petit-fils d’agriculteur, à l’âge de dix ans il fut emmené par son père pour dormir pour la première fois avec lui “en haut” et, tout seul, seulement deux ans plus tard. “C’était en 1961. À l’époque, ni bétaillère, ni pick-up ! On montait à pied depuis la vallée de Larrau”. Le père du petit Pierre s’en fut peu de temps après. Alors, le jeune garçon dut continuer à travailler à la ferme en la quittant chaque printemps pour monter en altitude, au rythme des animaux. Avec 66 brebis de race du pays, 9 vaches, 5 génisses, 1 âne et quelques cochons, le travail ne manquait pas et Pierre avait foi en son exploitation.

Du haut de ses 65 ans et après 50 années à assumer une charge de travail dantesque, Pierre a finalement confié exploitation et troupeau au fiston.

L’avenir lui a donné raison puisque son cheptel compte aujourd’hui pas moins de 300 brebis de race Lacaune, 55 vaches et une dizaine de cochons. Du haut de ses 65 ans et après 50 années à assumer une charge de travail dantesque, Pierre a finalement confié exploitation et troupeau “au fiston” sans pour autant parvenir à raccrocher le makhila (bâton de berger basque en néflier).

Toutefois, parce qu’un cayolar, pierre angulaire d’un système agropastoral ancestral toujours de rigueur dans le pays basque, est la copropriété de plusieurs éleveurs autour du principe du Txotx qui se transmet de génération en génération, ses membres se relaient pour assurer garde et soin des bêtes. Soir compter, trier, isoler les malades, tailler des ongles, tarir les brebis afin d’éviter les mammites, retirer les éventuels barbelés positionnés le long du GR pris dans la laine, soigner les pattes abîmées par le dénivelé ou encore effectuer la tonte à raison d’une à deux fois par an, sur une période définie (de trois à six fois entre les mois de mai et de septembre).

Pour faire simple, plus on a de brebis, plus le txotx est important (demi ou quart) et plus on a de jours de surveillance du troupeau.

©Olivier Cochard

“Quand un grand ami, l’un des 5 bergers de notre cayolar nous a quitté l’an dernier, j’ai décidé d’assurer ses périodes de surveillance du troupeau (qui compte 880 brebis), sans quoi son épouse aurait été contrainte de cesser son activité. De nouveau, je monte ainsi quatre fois dans la saison pour quatre jours à chaque fois. Loin d’être une punition, j’exulte à l’idée de me retrouver ici. J’ai toujours cette impression de faire l’école buissonnière ! Quand on a connu les montagnes tout petit, c’est un besoin vital que de se retrouver dans cette nature ! Voyez Martin, berger du cayolar qui se situe juste en dessous, à 81 ans, il continue d’assurer ses tours de garde !”

©Olivier Cochard

Cayolar tout confort

Comme son père avant lui, l’enfant du pays a emmené ses enfants dormir au cayolar, à tour de rôle. Et, nous a-t-il confié, “Par bonheur, l’un d’eux a été piqué par le virus mais, croyez-moi, c’est loin d’être le cas pour toutes les familles, loin s’en faut”. Aujourd’hui, enfants et petits-enfants passent le voir aussi souvent qu’il le réclame. Autrefois interdite, l’euskara (la langue basque), enseignée dès le plus jeune âge, est ici monnaie courante. Pierre a connu la vie pastorale, la vraie ; les sabots, les besaces de farine dans lesquelles on glissait les œufs, ingrédients nécessaires à la fabrication de la pastetx (galette de blé grillée dans la cheminée typique en Soule), la coupe, à la hache, du bois et des bardeaux (qui composent la toiture), l’allumage du feu pour faire chauffer le café, les lampes à huile.

 

Certains s’accrochent à la tradition en montant toujours à pied avec les brebis.

“Les choses ont bien évolué et aujourd’hui la vie des éleveurs en est facilitée. Cela dit, certains s’accrochent à la tradition en montant toujours à pied avec les brebis, accompagnés par de nombreux volontaires curieux d’expérimenter la transhumance.” Nombre de cayolars ont été modernisés et adaptés aux besoins des bergers et de leur famille pour offrir plus de confort (eau, utilisation de l’énergie solaire pour alimenter éclairage et réfrigérateur), les cayolars de Pierre et de Martin font partie de ceux-là : toutefois, certains tombent en ruine, faute de repreneurs, au grand dam des anciens !

©Olivier Cochard

Laisser des plumes

Après cette première nuit passée entre la terre et le ciel, vient le moment pour Pierre de sonner l’heure du départ. Il est 6 h 30. Le ciel est rose poudré. Le silence absolu. Dans la douceur du petit matin, sillonner les chemins tracés par les caprins afin de rassembler le troupeau… on comprend aisément le bonheur ressenti par les éleveurs qui troquent encore, sans hésiter, leur quotidien fermier pour un quotidien de berger ! En chemin, toujours précédé de Beltza, Pierre s’arrête. Il saisit ses jumelles, guette, marmonne, repart, avant de lâcher : “Vous voyez les quelques vautours là, d’ici une heure, ils seront plus de 200”.

©Olivier Cochard

“Ils ont commencé à décharner une brebis et dans deux heures, seuls les os resteront !” Lorsqu’il aborde le sujet de l’invasion des vautours fauves qui nichent ici en colonies, Pierre ne mâche pas ses mots : ”Dans les années 70, au bord de l’extinction, les rapaces ont bien failli disparaître des Pyrénées mais c’était sans compter sur la restauration de l’espèce, via des opérations de nourrissage avec des déchets industriels porcins sur le versant espagnol. Imaginez-vous, leur population au sud des Pyrénées est passée de 2 000 à 20 000 couples !”

La crise de la vache folle a mis fin à l’Eldorado espagnol, laissant la colonie de vautours crier famine. Affamés et toujours plus nombreux, ils s’attaquent aujourd’hui aux brebis, vaches, chevaux… et sont devenus l’une des plus grandes inquiétudes des éleveurs ! D’autant que les dégâts dus à ces attaques ne sont pas pris en compte par les assurances ! “Faute d’indemnisation, nous ne déclarons même plus nos pertes !”. En attendant des stations d’équarrissage, solution sur laquelle l’état se penche, les vautours continuent de faire des ravages !

©Olivier Cochard

Tel maître, tel chien

Marqué au signe de la ferme afin d’être identifié, le lainage des têtes blanches, long, ondulé, teinté de rouge, bleu, jaune et vert, prend bientôt une couleur mordorée. Le gardien du troupeau et son fidèle compagnon, aussitôt après s’être octroyés une courte pause pour admirer le paysage grandiose qui les entoure, redémarrent, suivis du troupeau impatient de se ruer sur les blocs de sel à lécher, gorgés de minéraux, dont il raffole. Suivre du regard les allers-retours de Beltza, qui n’a d’oreilles que pour servir son maître et protéger les brebis, est un véritable spectacle !

“Éduquer un chien prend environ 2 ans. L’idéal étant de faire travailler le jeune chien avec l’ancien, car la jalousie l’incitera à faire mieux que son aîné ! Belza est un chien extrêmement intelligent et naturellement doué ! La passion du troupeau est l’un de nos nombreux points communs ! Regardez-le faire ! Il sait très bien qu’une fois le travail terminé, je rentre pour boire le café, casser une petite croûte et lui donner ses deux carrés de sucre. On pourrait me poser 20 000 € sur la table que je ne donnerais pas mon chien !”

©Olivier Cochard
Seule une poignée d’irréductibles trait à l’ancienne, filtre et purifie le lait aux orties, transforme le lait au chaudron, sale au gros sel trois jours durant, affine le fromage sur des planches en bois.

Brebis dans la brume

La brume gagne la cabane. Émerge alors la question des conditions météorologiques. Comment Pierre et les autres parviennent-ils à s’orienter par temps de brouillard ? Pierre dit connaître les lieux sur le bout des doigts, pouvoir retrouver “ses têtes” à l’oreille, pouvoir conduire les yeux fermés à flanc de montagne. Comme tout berger, Pierre lit le temps à ciel ouvert. Cependant, il l’avoue : “l’activité a changé ! Il fut une époque où la traite se faisait à la main, dans les estives, pour beaucoup d’entre nous. Faute de personnel, nous livrons désormais le lait à une coopérative. Comment voulez-vous embaucher un jeune avec un contrat de 35 h avec une première traite à 6 h et une autre à 20 h ? C’est désolant, mais pardi, c’est comme cela !”. Seule une poignée d’irréductibles trait à l’ancienne, filtre et purifie le lait aux orties, transforme le lait au chaudron, sale au gros sel trois jours durant, affine le fromage sur des planches en bois…”

©Olivier Cochard

Folies bergères

Pierre nous présente aussi l’une des dernières éleveuses qui pratiquent les gestes et méthodes ancestrales pour faire du fromage dit “de montagne” et dont la relève est assurée par le fils. “Évidemment, confesse Pierre, la saveur de ces fromages, au goût unique faisant ressortir les saveurs du terroir, est incomparable à celle d’une production plus industrielle”. À la question : “Pourquoi alors ne pas continuer à transformer soi-même le lait en fromage ?” Pierre rétorque que “ce travail manuel a inévitablement un impact sur le prix et que peu de gens le réalisent”. Cela dit, l’homme reste optimiste quant à la sauvegarde de l’activité pastorale.

“Il n’y a qu’à voir l’entrain de certains bergers en herbe, fils ou fille d’éleveurs ou jeunes diplômés de l’école de bergers du Pays basque comme Elijeabet, 26 ans, qui s’est installée comme aide familiale il y a 2 ans et demi et veille seule sur un troupeau de 900 brebis !”. Plus consciencieuses, plus pugnaces et plus maternantes avec les bêtes que leurs homologues masculins, les nouvelles bergères sont, effectivement, de plus en plus nombreuses à embrasser une carrière pastorale.

À nos yeux, en tous cas, nul doute qu’elle exige passion, courage, humilité et conviction, voila bien l’un des plus beaux métiers du monde ! Reste à souhaiter la félicité à ces anciens et nouveaux bergers.

12 commentaires

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  1. Bonjour, reportage très intéressant. Pour revenir sur les vautours, je pensais qu ils ne s attaquaient qu aux bêtes mortes ou très affaiblies , faux alors ?

    1. Bonjour, d’après ce que m’expliquait un ami, les vautours s’attaquent aux bêtes vivantes depuis que des normes européennes obligent les éleveurs à envoyer les animaux morts à l’équarrissage plutôt que de laisser les charognards et la nature agir…

    2. Tout a fait juste ! Si l’homme rompt la chaîne alimentaire, l’animal cherche un autre moyen de s’alimenter. Les preneurs de décision n’étant pas sur le terrain…

  2. Enfin des articles qui font du bien… Du bien de voir qu’il existe encore des « vrais gens » … et pas pour montrer à la télé hein !
    Une bouffée d’optimisme et de bonheur.
    Un grand merci d’une gardoise, plus que désabusée par le monde qui l’entoure et sur ce qu’il devient.

    Bravo et surtout MERCI

    1. Bonjour Cathy,
      Oui ! Il existe de très belles personnes, il suffit de prendre le temps de les rencontrer et elles vous accueillent à bras ouverts ! Ces personnes se font un plaisir de vous inviter à découvrir leur univers. Ces moments de parenthèses enchantées sont, en effet, d’une incroyable richesse ! Sans doute, avez-vous des personnages hauts en couleurs et à l’incroyable savoir-faire autour de chez vous, n’hésitez pas à leur proposer une petite rencontre… rares sont ceux qui ne souhaitent pas échanger à propos de leur activité ! 😉

  3. Bonjour Khalkhal,
    En effet, ce genre de sujet est souvent étouffé !
    Précisons que les randonneurs eux-mêmes doivent rester vigilants en prenant quelques précautions d’usage : ne pas partir seul, s’équiper d’un téléphone portable et d’une trousse de secours, calculer le temps de trajet, se renseigner sur les conditions météorologiques…
    Un ou deux drames passés prouvent que les vautours n’hésitent plus à s’en prendre aux humains si ceux-ci sont « fragilisés »(blessés, inconscients…). Heureusement ces cas restent très rares.

    Pour ce qui est des paysages,l’émotion est extrêmement forte du haut de ces majestueux sommets où le silence est d’or.

  4. ça fait rêver!
    Je ne savais pas que les vautours
    représentaient un tel fléau, en tous
    les cas les images des nuages sont
    impressionnantes cela ressemble à l’océan.
    Merci pour ce beau et instructif reportage!
    Malika

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