Par Benjamin Vincent, 1 juin 2014

Anne : « Mon parcours il est lointain. Difficile de résumer, j’ai tellement fait des trucs et des machins… J’ai commencé ma vie professionnelle par la mise en pages, tu vois c’était encore la mise en pages, avec découpage, cutter, colle, et petite gomme. Je travaillais pour une maison d’édition. A l’époque on appelait ça desktop publishing. Ensuite, j’ai recommencé une formation HTML et j’ai créé des sites Internet : c’était misérable, je te parle de 1998 ! J’ai aussi travaillé dans le cinéma, je faisais de la déco-plateau. Après j’ai suivi des photographes à l’étranger, en tant que retoucheuse. J’ai toujours été un peu bohème, je ne voulais pas faire comme les autres, avoir un employeur… Et puis les enfants font que tu réfléchis plus à ton alimentation. J’en avais marre des supermarchés. On est cernés par les supermarchés en fait ! Je voulais changer les choses… »

Aurélie : « A la naissance de mon fils j’étais partie pour monter un truc similaire à la Ruche. Mais pendant longtemps j’ai pas eu les couilles… Et puis j’ai gagné un appel à projet organisé par la région, en proposant un système similaire. Je suis allé jusqu’au bout, j’ai créé une coopérative, j’ai ouvert le site Internet, j’ai rassemblé 150 familles du quartier et j’ai organisé des ventes. Mais du point de vue du travail, ce que j’avais monté était très lourd. Mon associé a fini par me planter et j’ai perdu toutes mes économies. Alors j’ai contacté La Ruche qui dit Oui ! et j’ai appris qu’elle cherchait des porteurs de projets en Belgique. C’était un soulagement, si tu savais ! »

Aurélie : « L’équipe de La Ruche qui dit Oui ! m’a donné les coordonnées des Responsables de Ruches du coin, et c’est comme ça que j’ai contacté Anne. »

Anne : « C’est plus dur, toute seule, tu pédales dans la semoule. »

Aurélie : « On s’est rencontrées chez moi la première fois. Anne a fait ça super bien, elle est venue avec son petit fichiers de producteurs. On s’est mis d’accord sur une stratégie : elle prenait les premiers contacts, et moi je faisais la seconde couche ! Elle allait sur place, et moi j’appelais avec du concret, pour conclure ! »

Anne : « Mais toi tu es sortie d’une école de commerce, ça veut tout dire ! »

Aurélie : « On s’est soutenues à mort ! On a échangé beaucoup d’e-mails. Parfois c’était dix par jour. Dès qu’on raccrochait le téléphone on s’écrivait. En Belgique, on a fait un sacré boulot ! »

Anne : « On se prenait des claques.  Il y a des producteurs qui ne voulaient pas nous écouter, qui avaient un avis bien arrêté. »

Anne : « On en a bouffé… Certains producteurs nous envoyaient chier… Ils avaient peur de l’inconnu. C’était pas gagné. »

Aurélie : « Certains disaient : c’est les parisiens qui vont gagner du fric sur notre dos ».

Anne : « Le .fr joue beaucoup ! On a fait Thelma et Louise pour aller dans les fermes pour les inscrire sur le site, créer les offres… »

Aurélie : « Anne était aux photos et moi j’étais aux descriptions ! Main dans la main ! »

Aurélie : « Et puis cet été-là, Carrefour démarchait les producteurs en même temps que nous, mais ça on l’a compris après seulement. Les commerciaux préparaient des linéaires de produits locaux. »

Anne : « Les conditions de leur contrat étaient idylliques. C’était sponsorisé par les régions. »

Aurélie : « Carrefour venait sans négocier. Ils revendaient ces produits à marge-zéro. On chialait pas ! On est des grandes filles ! Mais on s’est épaulées. »

Nos deux interlocutrices sont sur le point de se séparer. Anne doit honorer une obligation familiale, tandis qu’Aurélie est attendue dans une réunion avec les Producteurs de sa Ruche. En nous quittant, cette dernière nous livre quelques mots en guise de conclusion : « Pour moi, dans 10 ans, la consommation alimentaire aura une toute autre allure. En 1985, on n’avait pas les hypermarchés ! En 2015 ce sera un modèle dépassé et en 2025 ils trépasseront… Ma Ruche évolue exactement comme dans mes rêves ! Sauf que mes rêves ne m’avaient pas laissé envisager à quel point ces familles qui viennent toutes les semaines deviendraient une famille, ma famille ! »