Inutile de dire combien nous étions impatients de découvrir la mythique Foire au boudin de Mortagne-Au-Perche. D’autant que la municipalité jouait avec nos nerfs, diffusant les informations goutte à goutte, tout au long d’une campagne de communication savamment orchestrée : d’abord une affiche officielle particulièrement léchée, puis l’annonce du Championnat mondial du meilleur boudin et, clou du spectacle, un concours du plus gros mangeur de boudin. Tandis que le maire nous invitait à « célébrer la richesse d’un terroir », la presse locale vantait un événement « incontournable pour les amateurs de boudin ». Mais les organisateurs n’ont-ils pas pris le risque d’en promettre un peu trop ?
En arrivant, la première chose qu’on fait c’est de manger des churros au chocolat. Il faut dire que la fête foraine couvre une bonne partie de la ville et qu’on se perd vite dans le labyrinthe des tentations. Entre le tir à la carabine, la maison fantôme, ou encore l’incroyable technologie du « Cinéma 7D », la tête nous tourne.
On demande notre route au camion tombola, où, semble-t-il, on peut gagner une moto Suzuki ou des iPhones flambant neufs :
– On cherche le boudin, c’est par où ?
– Attendez, je vais vous confier un secret : si vous allez retirer cent euros au distributeur, et que vous me les donnez, je fais en sorte que vous soyez les gagnants de la tombola. Quel lot vous ferait plaisir ?
– Euh non, merci… Il est où le boudin ?
– C’est par là.
On arrive enfin sur la foire, que dis-je, le sanctuaire, la Mecque du boudin noir. On ne s’en rend pas compte immédiatement. À l’entrée, sont garées des dizaines de voitures, utilitaires et monospaces à vendre. Sous la grisaille et le vent froid, la foule nous emporte entre les stands de nougats, de saucissons, de graviers, de toitures, de rillettes de poisson, de marbreries funéraires, de râpes à légumes et de pinces à linge « de fabrication française ».
Partout, des bonimenteurs s’époumonent – il y en a même qui trichent avec des mégaphones. Quelques spécialités étonnantes sont représentées, par exemple sur le stand des « apéritifs humoristiques » qui propose des bouteilles d’alcool aux noms truculents tels que Coucougnettes, Reste tranquille Biloute ou La turlutte du Patron. On trouve même des tracteurs et des pelleteuses. Bref, en terme de diversité de l’offre, rien à dire, la Foire au boudin c’est LA référence.
Dans la salle polyvalente, la petite patinoire est pleine et le cours de zumba, animé par une danseuse affublée d’un masque de cochon, remporte l’adhésion des enfants. La file d’attente est longue également sur le stand McDonald’s qui propose de tourner une « roue de la fortune » pour gagner des hamburgers, des frites ou des desserts. Mais ça ne nous fait pas tellement envie. Le restaurant officiel non plus. De toute façon, leur plat du jour, c’est la queue de veau.
Quand on ressort, on ne sait plus ce qu’on fait là ni ce qu’on est venu voir. « Ah, si, le boudin noir ! » s’écrie l’un de nous. On cherche donc les stands de charcutiers. Il n’y en a que cinq, amassés au centre de l’esplanade, et les dégustations proposées ne sont pas nombreuses. Notre sandwich est sobre, épuré, probablement pour retrouver les saveurs du produit d’origine : une demi-baguette fourrée d’un boudin tiède, de la moutarde, et c’est tout. Pour fêter ça, on décide de faire des photos sur Instagram et des selfies avec la bouche en cul-de-poule, car on reste jeune et connecté. Génération Y représente.
Un murmure se répand dans les allées. « Vite, vite, le concours du plus gros mangeur va commencer. » On se met tous en marche vers l’hippodrome où doit se jouer la grande compétition. Pour la route, on s’équipe quand même d’une barquette de frites à la mayonnaise. En même temps, comment résister à l’appel d’une grosse frite sur laquelle est inscrit « Frites » ?
Autour du stade, les gradins se remplissent et l’animateur, avec son micro, fait de son mieux pour nous réchauffer, nous proposant même d’improviser une chorégraphie puis d’applaudir les gendarmes « qui sont là pour veiller à notre sécurité ». Nous, on refuse de leur rendre hommage car ils viennent de nous mettre une prune pour stationnement gênant.
Les huit candidats s’approchent et se présentent au public. Raymond, le favori de cette année, prend la parole en premier : « En septembre, j’ai participé au concours du plus gros mangeur de fromage blanc, et j’en ai mangé trois kilos. » Le spectacle sera donc assuré par des cadors de la discipline. Interrogé sur ce qui le motive à participer, un autre candidat donne une réponse laconique : « Oh, pas grand chose, c’est pour le fun. »
Les règles de la compétition nous sont scrupuleusement détaillées. Il faudra manger le plus de boudin possible, froid, en quinze minutes, avec un gobelet de vingt centilitres d’eau comme seule adjuvant. Vomir est éliminatoire. Trois, deux, un…
Les sportifs se goinfrent, poussent avec les doigts le boudin dans le fond de la gorge. On sent que ça glisse mal. Tony, encouragé par sa femme, manque de tout rendre. On arrive au bout du temps réglementaire. La cloche sonne. Michel, 63 ans, remporte la médaille d’or grâce à une performance honnête : 1,20 m de boudin (soit 1,200 kg). On est loin du record établi les années précédentes à 2,2 m.
Sur le chemin du retour, on voulait acheter le meilleur boudin du monde pour le rapporter à nos familles, mais la confrérie du goûte-boudin (une sorte de franc-maçonnerie charcutière) a remis pas moins de 74 médailles d’or et 18 premiers prix lors du grand championnat qu’elle organisait la veille. Bref, on ne peut pas dire que le palmarès fut trop discriminant. On rentre mains dans les poches, n’emportant avec nous que notre déception.
Baisse de qualité passagère sur l’année 2016, ou bien signe d’un déclin plus profond ? Maintenant que les villes de Saint-Quentin (dans l’Aisne) et de Monthureux (dans les Vosges) lancent leurs propres foires au boudin, la concurrence s’annonce rude et Mortagne-au-Perche ne pourra pas se reposer sur ses acquis si elle veut prouver qu’elle reste la capitale mondiale de cette spécialité.
La Mecque du boudin, le terme ne serait-il pas mal choisi quand même ? Le boudin noir est constitué uniquement de viande et de sang de porc. Sans rancune, je mange du porc mais je n’en propose à des amis musulmans qui respecte cette règle. Sans rancune.
Si vous vouliez goûter le meilleur boudin, il s’agit certainement de la boucherie charcuterie Merel qui a remporté le prix d’excellence il y a 3 ans il me semble. Dommage que vous n’ayez pas trouvé votre bonheur
Drôle!
Désolant. Pourquoi ne pas appeler cela « foire à tout » ?
beurk !!!!!!!!!