Au cœur du massif volcanique du Cézallier en Auvergne, Matthieu Gouzel a repris le flambeau de la ferme familiale Saint-Herem. En se lançant il y a quatorze ans dans la production de fromages emblématiques de la région, le passionné a réussi à sauver la ferme.
Dans les années 1980, lorsque mon père s’est installé ici à Allanche, il a choisi de travailler avec deux troupeaux : un troupeau allaitant avec les salers et un troupeau laitier avec des montbéliardes, raconte Matthieu. Comme beaucoup d’éleveurs de cette époque, il vendait tout son lait à la coopérative.
Mais dans les années 2000 le métier est devenu très difficile. Le lait était acheté bien en dessous du coût de production. Si je n’avais pas monté la fromagerie, notre ferme n’aurait jamais survécu. Matthieu, avec deux T comme il aime le souligner, appartient à la cinquième génération de fermiers qui, à Allanche, à 1100 mètres d’altitude, font paître leur troupeau. Ce matin à deux jours du mois de mai, il a encore gelé, rappelle l’éleveur qui, chaque jour, profite de la vue imprenable sur les monts d’Auvergne.
De père en fils
Être éleveur a toujours été une évidence pour le désormais trentenaire qui, enfant, passionné par les vaches et la traite, suivait son père partout. À 14 ans, l’adolescent intègre une école d’agriculture et, par la suite, apprend le métier de fromager dans l’une des laiteries du village d’Allanche. En 2004, année de son installation dans la ferme familiale, il apporte sa touche personnelle en construisant la fromagerie. Notre ferme se trouvant dans la zone AOP du Salers, Saint-Nectaire et Cantal, je me suis dit qu’il serait intéressant de fabriquer et de bien valoriser ces fromages.
Matthieu se lance donc. Il agrandit le troupeau, passe de 31 vaches à 60 aujourd’hui, installe un laboratoire de transformation, un gros investissement, près de 300 000 euros, et se laisse porter par le cahier des charges des appellations protégées. Pour moi c’était facile, mes parents étaient en bio, je n’avais rien à changer de leurs pratiques. Ses vaches profitent des 90 hectares de prairie naturelle et ont la chance de se nourrir d’une flore de montagne très variée, qui donne du bon lait facile à transformer. Chaque année, la ferme transforme 500 000 litres de lait en fromages fermiers.
Salers bien aimé
Le lait est emprésuré à chaud, après chaque traite, matin et soir, ce qui fait donc deux fabrications de fromage par jour, explique Matthieu. Nous produisons l’AOP Salers du 25 avril au 1er novembre, et le reste de l’année le lait est transformé en AOP Saint-Nectaire fermier. Ses fromages sont bien entendu au lait cru mais ne portent plus les deux lettres AB du label bio même si les pratiques de Saint-Herem n’ont pas changé. En 2005, il n’y avait pas de débouchés pour les AOP bio. À partir du moment où l’on a enlevé la pancarte bio sur la ferme, nos ventes ont décollé.
La fabrication du Salers ne peut s’effectuer que du 15 avril au 15 novembre.
Lorsque l’on demande à Matthieu quel est son fromage préféré, il répond sans hésiter : le salers car il est passionnant à fabriquer. En effet, le fromage ne peut être réalisé qu’avec le lait de vaches originaires d’une zone de montagne aux sols d’origine volcanique. Ensuite, sa fabrication ne peut s’effectuer que du 15 avril au 15 novembre, à condition que la ration de base des vaches laitières soit composée de 100 % d’herbe pâturée. Enfin, le lait doit être emprésuré dans une gerle en bois (iroko ou châtaignier) sitôt après la traite. La gerle permet l’ensemencement naturel du lait et confère ainsi au fromage un goût unique, différent d’un atelier de fabrication à l’autre. Cette AOP est la seule 100 % fermière du fait même de l’utilisation de cet outil, le bois étant impossible à utiliser en industrie, conclut fièrement Matthieu.
Le Salers tout un poème quand il joue sur nos papilles. Moi je le prononce en appuyant sur le S final. Il paraîtrait que l’on ne doit pas le dire, quelle tristesse cela ôte le label au fromage