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La petite musique des alpages

Ils ne sont plus que deux artisans en France à fabriquer ces jolies cloches qui résonnent dans les alpages. Nous avons rencontré l’un d’entre eux à Chamonix : la Maison Devouassoud, qui depuis 1829, fournit de nombreux troupeaux montagnards.

Textes : Lucie de la Héronnière
Photos : Thomas Louapre

C’est une histoire de famille. En 1829, à Chamonix, Pierre Devouassoud commence à fabriquer des sonnettes pour les vaches. Presque deux siècles plus tard, Thomas, l’un de ses descendants, perpétue ce savoir-faire : depuis six générations, la famille Devouassoud produit ces instruments de musique des alpages. L’atelier est d’ailleurs aujourd’hui labellisé « Entreprise du Patrimoine Vivant ».

Attention, il ne faut pas confondre les cloches et les sonnettes… Privilégiées par les éleveurs du Massif Central, les cloches sont rondes. Elles sont un peu plus rapides à fabriquer, en plus grosses séries.

Les sonnettes, plus utilisées dans les Alpes, ont une bouche ovale. En fonction des patois, elles sont appelées sonnailles, s’nailles, clarines, carons… L’atelier Devouassoud produit 21 tailles de sonnettes (le terme utilisé à Chamonix !), de la toute petite pour les touristes à l’énorme pour les éleveurs collectionneurs. Pour une grosse sonnette, je donne à peu près 3000 coups de marteau !, raconte Thomas.

En effet, fabriquer une sonnette demande énormément de temps et de travail. Au total, il y a 51 étapes. En résumé, à partir d’une plaque d’acier découpée, la sonnette est travaillée à chaud, emboutie, forgée, fermée et rivetée. La colombette (l’anse) est aussi forgée. La sonnette, qui a donc pris forme, est ensuite enfermée hermétiquement dans une « enveloppe » en métal, avec quelques grammes de laiton et de cuivre.

Après un passage au four à 1080°C, cette enveloppe est sortie, puis tournée pour bien répartir l’alliage fondu sur toute la sonnette. Cette étape, le « brasage », est essentielle pour la bonne sonorité de l’instrument.

Pour les cloches et les sonnettes, l’une des dernières étapes, c’est le polissage. Pour cela, Thomas utilise une sorte de grosse « machine à laver », dans laquelle les futurs carillons des vaches tournent avec de l’eau de pluie récupérée et des cailloux. Ultimes opérations : nettoyer, sécher, passer une couche de vernis, puis terminer en fixant le battant… Et vérifier que l’instrument sonne bien !

Les cloches et les sonnettes Devouassoud sont reconnaissables : elles ont été estampillées du sceau de la maison ! Mais au fait, à quoi servent ces ornements et instruments alpins ? Martine, la mère et associée de Thomas, explique : elles servent à retrouver les vaches, dans les alpages. De plus, quand il fait chaud, les vibrations éloignent les vipères. Mais elles sont aussi parfois utilisées comme objets de décoration, ou pour animer des compétitions sportives.

Forge, chaudronnerie, soudure… Thomas exerce un métier rare, mêlant diverses compétences. Il a tout appris avec son père. Dès l’âge de 13 ans, il passe ses vacances à l’atelier, avant de rejoindre l’entreprise en 2001. Aujourd’hui, ce passionné assure tout seul la fabrication, tandis que Martine s’occupe de l’étape du vernis, des expéditions, de l’accueil dans la boutique et de la comptabilité.

Thomas utilise les mêmes gestes que ses aïeux. Il a cependant modernisé certaines étapes, notamment pour gagner du temps. Par exemple, une entreprise externe s’occupe de la découpe des plaques de tôle, au laser. Il améliore aussi les méthodes pour limiter l’exposition aux substances toxiques et au bruit. Les « anciens » n’utilisaient ni masque ni bouchons d’oreille ! L’artisan a également rendu la fabrication plus écologique : avant, le four fonctionnait avec de grosses quantités de fioul. Le nouveau four est électrique, moins gourmand en énergie et très bien isolé.

Les sonnettes sont des objets précieux (à tel point qu’il y a parfois des vols, dans les champs), qui se transmettent de génération en génération. Les sonnettes ont une valeur sentimentale pour les éleveurs, souligne Martine. Chacune peut durer plus de 100 ans. Alors Thomas propose aussi des réparations. Par exemple, si le battant d’un carillon forgé par son grand-père est un peu usé… Un petit passage à l’atelier, et c’est reparti.

Les éleveurs connaisseurs, voire collectionneurs, ne s’y trompent pas. Ils viennent choisir une tonalité particulière. En fonction de leurs préférences, ils penchent pour des sonnettes aux notes plus graves ou plus aigües… Cet artisanat est un travail de recherche du beau son. Celui-ci dépend d’un savoir-faire pointu, de la qualité de l’acier choisi, de son épaisseur précise, de la forme de la « bouche » et d’un brasage réussi. D’ailleurs, Thomas est musicien : Je me suis dis, je fabrique des instruments, et je ne connais pas la musique ! Alors je m’y suis mis. Aujourd’hui, je joue de la batterie. 

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