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Marche ou rêve

Dans un monde guidé par la vitesse, les bergers font l’éloge de la lenteur. Anthony Navon appartient à cette tribu des bergers-marcheurs. Parti de Méthamis dans le Vaucluse avec ses 150 brebis au début de l’été, il a rejoint le Vercors en trois semaines. Nous l’avons retrouvé sur son itinéraire bis.

Textes et photos : Anne-Lore Mesnage

À la frontière entre la Drôme et l’Isère, un paysage grandiose se déroule sous nos pieds jusqu’à atteindre à l’horizon le début des Alpes. Voilà dix jours que la transhumance a commencé.

On devine là tous les chemins cabossés qu’Anthony a dû emprunter avec son troupeau. Franchissant le Ventoux par la Combe Obscure, le troupeau a ensuite atteint le col des Lantons et de Soubeyran, pour rejoindre le Vercors. Au sommet, ce n’est plus 150, mais 1800 brebis que le berger garde quotidiennement.

Chaque année, quelques volontaires l’accompagnent sur sa route pour vivre la transhumance à pied. Perrine est originaire de Carpentras. C’est sa première expérience. Avec son âne Capucine, elle a foulé 150 km. Elle dit avoir réalisé une transhumance transitoire, marcher lui a permis de réfléchir à ses envies, et à ses intentions professionnelles.

Anthony n’est pas seulement berger, il est aussi herbassier, un éleveur sans terres qui fait paître son troupeau chez les autres. Il doit constamment anticiper le paysage et trouver des agriculteurs prêts à accueillir ses bêtes sur leurs terres en échange d’une tonte gracieuse de leurs prés.

Ce nomadisme d’altitude l’oblige à changer de cabane deux fois dans la saison. Chaque déménagement, même pénible, reste envisageable car Anthony sait se suffire de peu. En plus de son troupeau, il garde plus de 1000 bêtes que des éleveurs lui confient. Il fait partie des 40 bergers embauchés annuellement dans la Drôme, un statut qui leur assure le SMIC sur quatre mois de l’année.

En altitude, le berger est souvent contraint à une météo capricieuse. Il doit faire preuve d’une bonne capacité d’adaptation aux éléments et d’un moral d’acier. Anthony ne sait s’il pourra assumer son métier jusqu’à un âge avancé. D’autant qu’une vie de famille dans ces conditions demande une bonne dose d’organisation. Quand on évoque l’idée d’un retour à une vie sédentaire, il reste réticent tant il craint de regretter le luxe de la nature qui l’environne.

Anthony préfère garder secret l’adresse de sa cabane : La vie de berger attire beaucoup, mais je n’ai pas envie d’avoir un défilé de touristes sous mes fenêtres, explique-t-il. D’autant qu’il a dû détourner un chemin de grande randonnée qui passait à quelques mètres de son lieu de vie pour sécuriser le passage des randonneurs imprudents qui marchaient trop près des patous, ces chiens qui gardent les troupeaux.

Anthony est un homme connecté à la terre mais pas déconnecté du monde. Berger des temps modernes, il aime prendre des nouvelles de ses pairs dans la vallée.

Des soirées entre bergers s’organisent régulièrement au restaurant du village, des moments précieux, où il se rend à cheval.

Anthony avoue qu’il souffre davantage de la solitude lorsqu’il réside dans son village du Vaucluse : Il y a une entraide naturelle dans cette vallée de la Drôme. Cela dit, si je ne vivais qu’à la montagne, ma vision de la vie et de la société serait biaisée.

En parlant de loups… douze brebis ont disparu du troupeau cette année. On ne sait si le loup en est à l’origine, le doute plane. L’animal reste un vrai problème pour les bergers. Anthony dispose d’une autorisation de tir de défense pour protéger son troupeau, mais il n’emporte jamais la carabine avec lui. L’arme est bien trop lourde pour travailler et la pratique est difficile à mettre en place en milieu boisé.

Le métier de berger nourrit l’imaginaire collectif depuis toujours et l’aventure d’Anthony pourrait être digne d’une fable tant sa carrière a commencé par une histoire peu banale. Un jour qu’il gardait un troupeau pour le compte d’un éleveur, les brebis d’un voisin investissent son pâturage. Après plusieurs jours sans venir chercher ses bêtes, le propriétaire des aventurières propose à Anthony – qui hésitait alors à se lancer dans l’aventure d’une vie de berger – d’en devenir l’heureux acquéreur. Il accepte et devient officiellement berger.

La morale de l’histoire ne dit qui de l’homme ou du troupeau fut adopté en premier…

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