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Ferme de l’Estive, munster et compagnie

Le munster fermier exige une attention de tous les instants. À la ferme de l’Estive de Sondernach, chaque jour, Pierre et Sarah s’adonnent à une course de fond sans jamais perdre leur souffle.

Textes : Hélène Binet

Photos : Thomas Louapre

En ville, lorsque l’on doit vivre à 2 dans 18 mètres carré, on s’organise. Le lit monte au plafond, la table se replie, le frigidaire s’installe sur le rebord de la fenêtre… Ici à la ferme de l’Estive, c’est un peu pareil. Quand on n’a pas beaucoup de place, on rationalise, explique le très jeune Pierre Deybach déjà père de deux enfants. Sa ferme blottie au cœur du village, entre deux maisons d’habitation, est un concentré d’ingénieuses inventions.

Il est 7 h, Pierre nous a donné rendez-vous pour la traite. On cherche la salle… qui n’existe pas. La traite se tient dans l’étable directement. L’éleveur déplace la trayeuse de vache en vache dans un ballet quasi silencieux. Les vingt vosgiennes, dont la queue est accrochée en hauteur pour garantir en toutes positions un fessier immaculé, se laissent faire sans même battre leurs cils noirs qu’on dirait maquillés.

Il faut dire que les vosgiennes sont bien traitées ici. Rien à voir avec leur existence pendant les deux guerres mondiales qui ont ravagé la région, explique l’éleveur. Bombardées, réquisitionnées pour participer à l’effort de guerre, les belles noir et blanc ont bien failli y passer. Elles n’étaient d’ailleurs plus que 3000 en 1977 jusqu’à ce qu’une poignée d’éleveurs réussissent enfin à les réhabiliter.

Le temps passe vite. Le lait tout juste récolté et mis à cailler avec des ferments est déjà prêt. Pierre a juste eu le temps de donner à manger aux vaches le foin de la ferme, de nettoyer un peu l’étable et de se prendre un petit café avec sa femme Sarah, également son associée depuis 2016. Sur une chaise haute, Damien, 11 mois, prend part à la discussion en suçotant un quignon de pain. Chez nous, ce sont les enfants qui s’adaptent à la vie de la ferme, confie Sarah, pas l’inverse.

De retour dans le laboratoire de la ferme, dans la cuve montée sur un système à bascule pour ne pas se briser le dos, Pierre coupe le futur fromage en petits cubes de deux centimètres carrés avec une belle lyre ancienne. Le petit lait s’écoule sur le sol et file dans la rigole vers les eaux usées, là encore grâce à un système maison particulièrement malin.

Pendant ce temps, Sarah a couché Damien et est descendue à la cave pour s’occuper des fromages. Trois fois par semaine, dans cette grotte où la température varie entre 10 et 14 °C (en été), la jeune femme mouille les fromages avec un geste proche de la caresse. Parfois, je mets Damien dans un parc à côté de moi, parfois, je le prends sur mon dos. Je ne peux pas zapper cette étape, si on ne lave pas les fromages, ils se dessèchent. Précision, quand tu nous tiens.

Pas de temps mort, il est 10 h 31, les vaches doivent sortir prendre l’air. Le champ est juste derrière la ferme, il suffit d’ouvrir une barrière pour que les belles grimpent une jolie pente et se retrouvent en cinq minutes avec une belle vue sur les montagnes. L’été, pendant quatre mois, tout ça est bien plus compliqué, raconte Sarah.

En effet, durant la belle saison de la mi-mai à octobre, les vaches s’en vont pâturer sur les versants ensoleillés du Hohneck qui culmine à 1363 mètres d’altitude. La petite famille les rejoint tous les soirs. On monte pour la traite du soir (mobile), on dort sur place et on redescend après la traite du matin, témoigne l’éleveuse.  Avec nos deux petits, c’est un peu chaud, mais c’est la période de l’année que l’on préfère, renchérit Pierre.

Là-haut, sur les 50 hectares de pâturage traversés par de nombreux sentiers de randonnée, les 21 vosgiennes ont leur propre cloche, soigneusement choisie selon le rôle qu’elles occupent dans le troupeau. Avant, on avait une vache complètement fêlée, raconte Pierre, pendant la transhumance, on lui mettait une cloche de 16 kilos autour du cou, ça la calmait.

À propos de cloche, celle de la boutique vient tout juste de sonner. Il est 11 h 30, les habitants du village viennent acheter leurs fromages bio mais aussi les spécialités charcutières du frère de Sarah. Un voisin a naturellement récupéré Damien qui se carapatait pour rejoindre son frère Lucas de retour de l’école pour déjeuner.

Il est midi. Sarah sert les clients, Pierre égoutte les munsters du jour, les enfants passent de bras en bras, les vaches broutent à deux pas. Chacun semble naturellement à sa place dans cette chorégraphie fromagère qui jamais ne s’emballe. Être éleveuse, ça demande beaucoup de sacrifices, on n’est pas souvent disponibles, c’est parfois difficile à faire comprendre aux copains, témoigne Sarah. Mais si je devais travailler ailleurs, je serais vraiment malheureuse.

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14 commentaires

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  1. Bonjour, est ce possible de livrer ces bons fromages ? Ou existe-t-il un point de vente en région parisienne ? Peut-on en acheter via notre ruche ?

  2. Ce mini reportage est très touchant, avec de belles captures!bonne continuation à cette petite famille qui a l’air très heureuse!cela fait plaisir à voir.

  3. Le petit lait part-il vraiment avec les eaux usées?
    Si oui, quel dommage! Et quel gâchis!
    Le petit lait est très réputé pour l’alimentation humaine comme pour l’alimentation animale , surtout les porcs et les veaux.
    Je n’arrive pas à croire que ces jeunes qui se donnent tant de mal pour réussir leur défi jettent un tel trésor.

  4. Bravo félicitations à cette belle famille courageuse et impliquée, j’aimerais goûter leur munster, où le trouver à Lille ? Bonne continuation
    Evek

  5. Très beau reportage. Tous mes encouragements à cette jeune famille. Je penserai à eux la prochaine fois que j’acheterai du munster. A ce propos, où peut-on le trouver ? J’habite Mulhouse.

  6. Joli témoignage .
    C’est agréable de rencontrer des jeunes passionnés par leur travail.
    Ça donne envie d’aller vous rencontrer . !!!
    Vous avez l’air super organisé .
    Bonne continuation
    Françoise

  7. Bonjour,

    Combien de fois ces vaches laitières sont-elles inséminées artificiellement dans leur vie ?
    Que cet éleveurs fait-il des veaux mâles issus de ces fécondations forcées ?
    Combien de jours les mères beuglent-elle à s’en abimer le larynx lorsqu’on leur retire leur petit ? 3, 5, 6 jours ?

    Tellement de questions auraient pu compléter cet idyllique tableau…

    1. Pourquoi lire ce magazine et encore plus cet article si tu ne supportes pas cela. L’environnement ne sera pas Meilleur qu’avec des vegans, on tend vers la catastrophe en terme d’ecosysteme si cest cela que tu veux. Au contraire c’est des élevages comme celui ci qu il faut mettre en avant, les bêtes sont respectés et le travaille contribue à améliorer l’equilibre De l’écosystème.

    2. Encore un commentaire à l’emporte pièce !!! les veaux mâles sont vendus à 8 jours et les femelles gardées pour la reproduction. Les fermes démesurées sont montrées du doigt, ici, la ferme donne la part belle aux animaux, ça ne va encore pas, il faut arrêter de critiquer quand on ne connait le monde agricole qu’à travers des articles et photos de L214 et autres végans !!! Ces agriculteurs travaillent durement pour vendre des produits de qualité, alors félicite t’on les plutôt que de chercher la petite bête dans un reportage qui ne me parait pas idyllique.

  8. Photos excellentes et commentaire délicieux. Ce couple d’éleveur est vraiment courageux, en toute simplicité, et mérite de réussir. Merci La Ruche pour ces présentations de citoyens simples avec de vraies valeurs.

  9. Quelle vie, et quel choix de vie.
    Magique mais si dur.
    Quel courage et quelles récompenses au jour le jour.
    Bravo à vous.

  10. Tous mes encouragements et felicitations à ce jeune couple qui se donne sans compter et merci à la Ruche pour ce beau reportage !

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