Sa vie aurait pu ressembler aux autoroutes pour lesquelles il a longtemps travaillé. Une longue ligne droite jusqu’à la retraite. Mais Patrick Pellet a connu la bande d’arrêt d’urgence, celle qui fait bifurquer et retourner à l’essentiel. À 50 ans, le voici maraîcher bio dans ses Jardins du Moulin, à Mornas.
Sur la carte du chef Thierry Bonfante passé par Alain Ducasse, Michel et César Troisgros et Hélène Darroze, tout fait saliver. Au Temps de vivre, restaurant provençal de carte postale, les fleurs de courgette accompagnent un pavé de quasi de veau rôti, artichaut et tomates confites. Ces pétales délicats, encore accrochés à leurs cucurbitacées de la taille d’un pouce, ont éclos à 7 kilomètres de là, dans les Jardins du Moulin à Mornas. Je ramasse les fleurs de courgette tôt le matin sinon elles se ferment, explique Patrick qui les livre au chef dans la foulée. À 9 h, elles sont prêtes à être travaillées en cuisine et à midi, elles sont dans l’assiette.
Lorsque j’ai rencontré Patrick il y a quelques années, se souvient Thierry, chef du Temps-de-vivre, je lui ai apporté une liste de légumes et lui ai demandé d’essayer de les cultiver. Dans sa lettre au père Noël, le chef a glissé la betterave crapaudine, le radis asiatique, le navet boule d’or, la livèche, plante magique qui remplace le bouillon cube… J’ai réussi à en cultiver la plupart, constate fièrement Patrick aujourd’hui, sauf le persil, je rate toujours les semis. Il paraît que c’est bon signe, la légende raconte qu’il faut être un bon menteur pour faire pousser cette herbe aromatique.
Le goût du vrai
En effet, le quinquagénaire semble davantage appartenir à la catégorie des agriculteurs intègres, ceux qui fuient l’entourloupe, se méfient des effets de mode et gardent le cap même quand le vent se lève. Ma motivation de départ est de cultiver des légumes qui ont le goût du jardin de mon grand-père, rapporte-t-il. Je ne veux jamais m’éloigner de cette idée. Sur ses 3,5 hectares de terre, le maraîcher travaille sans concession pour obtenir la qualité potagère de son aïeul.
Ses légumes poussent en bio sans intrants chimiques, il n’y a pas de serres, pour éviter le plastique, très peu d’arrosage pour ne pas forcer la nature, on y trouve presque une centaine de variétés de légumes. Par ailleurs, le passionné teste différentes techniques pour couvrir le sol, comme le paillage avec des copeaux de bois (le BRF) ou le chanvre. Dans le coin, on m’appelle le fou, il y a sans doute un peu de vrai.
Fils et petit-fils d’agriculteurs, Patrick ne se destinait pourtant pas à la folie des légumes. Ingénieur informatique, il consacre la première moitié de sa vie professionnelle aux Autoroutes du sud de la France privatisées en 2005. L’informatique c’était une passion. Dans le service que je dirigeais, on a informatisé tout ce qui était possible. On a commencé à 15 et fini à 80, j’ai adoré ce métier. En 2011, à la suite de soucis de santé et d’un environnement de travail qui ne me correspondait plus, j’ai décidé de retourner à mes racines.
La suite, le gaillard nous laisse l’imaginer. Quand tu te retrouves sur un lit d’hôpital pendant plusieurs jours, tu as le temps de réfléchir. Il y a sept ans, j’ai dû choisir entre le bureau ou la clé des champs. Pour se relever, Patrick se courbe donc vers le sol et reprend une partie des terres de ses parents alors en location. Après vingt-cinq ans de bureau, quand je me suis retrouvé à gratter la terre, j’en ai bavé physiquement.
Bien dans ses bottes et ses idées
Heureusement, Patrick en a sous le pied. Il commence avec 1,8 hectare, vend chaque semaine sa production à ses anciens collègues ravis de commander sur un tableau Excel les légumes de leur camarade. Depuis, Patrick organise pour eux chaque année un séminaire « patate ». Au dernier, « La patate Pellet, mythe ou réalité », ils étaient plus d’une vingtaine à venir les récolter.
Quand j’étais plus jeune, j’ai toujours vu mes parents vendre leur production à un acheteur qui fixait lui-même les prix, ça m’a toujours dérangé, poursuit celui qui, dans son modèle, ne compte que sur les circuits courts pour écouler sa production : restaurateurs, vente à la ferme, Ruches, école du village voisin. J’ai travaillé trois ans avec la cantine du coin, je fournissais les légumes pour 110 repas par jour. Depuis, l’équipe municipale a changé et la collaboration s’est arrêtée. C’est vraiment dommage, j’y allais parfois pour 40 euros mais je m’en foutais, bien nourrir les jeunes générations ça a du sens.
Le sens, voilà le moteur qui a toujours fait avancer Patrick dans la bonne direction. Après sept ans de reconversion, il peut aujourd’hui s’appuyer sur une stagiaire et un apprenti, cultiver 6,5 hectares, être appelé par plusieurs restaurateurs de la région et presque se sortir un salaire. Récemment, il s’est même lancé dans la culture de lavande qui commence à manquer dans le coin. Je plante aujourd’hui pour avoir une activité pour ma retraite, sinon je vais m’emmerder, confie-t-il. On a du mal à l’envisager. D’ici là, le maraîcher aura sans doute trouvé mille autres voies à explorer pour mettre du bio dans ses Jardins du Moulin. Des chemins de traverse loin des autoroutes de la plantée unique et de l’industrialisation.
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> Découvrez en photos notre cueillette de légumes, concentrés de saveurs, de labeur et de couleurs.
Super cet article dommage que ce monsieur soit aussi loin de la Savoie
Bonne continuation pour toutes ces valeurs que vous portez
BRAVO également
Magnifique article et belles valeurs de ce MONSIEUR!
Bravo!
#espoir
Les photos sont magnifiques ! Il y a quelque-chose de divin dans les couleurs, les géométries et les odeurs de chaque végétal !
Bravo!