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PRÉS VOYANTS

Leurs pâturages dynamiques font tourner les têtes

Ces Hollandais cultivent peut-être la meilleure herbe d’Occitanie ! À la ferme des Gooskens, poules, vaches, ânes, chèvres et chevaux se relayent tous les jours dans un ballet bien coordonné pour optimiser l’or vert des prairies et limiter leur empreinte environnementale. Prenez votre élan, on se lance dans « l’agriculture en mouvement ».

Le Mont Bugarach veille sur les prés de Coume Sourde, où chaque centimètre carré d’herbe est valorisé. © Thomas Louapre

On ne voit pas tous les jours skier des poules. La manœuvre est pourtant exécutée avec la tranquillité née de l’habitude : alors que le soleil d’été est déjà bien levé au-dessus de la prairie et qu’une brise tente de rafraîchir l’atmosphère, Matthieu Gooskens démarre son tracteur. Accrochée à ce dernier, une imposante volière montée sur deux patins géants commence à s’ébranler et à glisser sur l’herbe. À travers le grillage, on voit les 240 pensionnaires captives du petit bâtiment suivre le mouvement en sautillant et voletant avec entrain : l’opération les mène à de l’herbe fraîche où elles peuvent s’adonner à leur loisir favori, la chasse aux vers de terre. C’est notre train-train habituel, commente Matthieu avec un brin de malice, une fois le poulailler déplacé d’une vingtaine de mètres. En été, on est à deux déplacements par semaine pour les pondeuses. Et pour les bovins, on rentre dans une période où on va faire deux déplacements par jour. Car à la ferme de Coume Sourde, on cultive l’art du mouvement. C’est ici, dans les contreforts des Corbières baignées du soleil occitan, que se développe un des rares exemples en France de pâturage tournant régénératif. Une révolution silencieuse mais agitée.

Attention à la manœuvre ! Les poulaillers mobiles construits sur la ferme sont déplacés deux fois par semaine pour offrir aux pondeuses de l’herbe fraîche en permanence. © Thomas Louapre

L’élevage pas si bête

« D’abord, tu as les vaches, puis les ânes et les chèvres, et les poules passent par dessus ça », explique Matthieu en pointant du doigt ses prairies clôturées en bandes de 25 mètres de large. Le ballet des animaux de Coume Sourde a un but bien précis : éviter d’épuiser la ressource, en jouant sur les forces de chaque espèce. Pour les vaches, le temps des repas est compté : elles ne pâturent que le temps de raccourcir l’herbe uniformément, avant d’être invitées à changer de pré. Les chevaux, ânes et chèvres passent ensuite éliminer les végétaux plus coriaces, ou bien servent à débroussailler les forêts où les vaches peuvent ainsi pâturer l’été, à l’abri du soleil. Viennent ensuite les poules pondeuses, qui vont se régaler des insectes grouillant dans les bouses et le crottin et vont elles-mêmes enrichir le sol de leurs fientes. Jamais mis à nu, le sol produit tout au long de l’année une pelouse appétissante. Dans un patchwork de verts éclatant en chaque saison, le vrai métier de Matthieu se dévoile : cultivateur d’herbe.

Les ânes et chèvres passent après les vaches et éliminent les plantes les plus coriaces. Les poules finiront le boulot. Ici, les animaux « travaillent » côte à côte. © Thomas Louapre

L’idée, c’est d’imiter les migrations des grands herbivores, type gnou ou bison, parce que les paysages les plus fertiles ont été créés comme ça, explique Jacqueline, la mère de Matthieu et son associée dans le GAEC familial. Une vache sur herbe crée son propre écosystème : elle fauche l’herbe pour toi, elle met le fumier pour toi… En fait l’élevage de bovins est plus économique si tu ne leur donnes pas de céréales. En 12 ans de pâturage tournant, l’agricultrice originaire des Pays-Bas a vu ses sols s’améliorer et ses prairies s’enrichir, mais elle partait de loin. Installée en 2008 dans ce vallon à quelques kilomètres de Rennes-le-Château, la ferme qu’elle cultivait avec son ancien compagnon était tout ce qu’il y a de plus conventionnel. Avant de faire du pâturage tournant, je trouvais l’élevage bête, mais je ne savais pas pourquoi, raconte Jacqueline. Je voyais le sol se dégrader. Je savais que quelque chose clochait, je me disais : « si je trouve pas une solution, j’arrête. » Mais quand tu commences à faire les choses autrement, ça devient fascinant. Parallèlement aux interrogations de sa mère, Matthieu est parti se former en Nouvelle-Zélande où le pâturage tournant est massivement utilisé, et il est revenu avec un regard neuf et une foule d’idées. Le plus gros changement, c’est dans la tête, explique Jacqueline. Il faut sortir de ton -sans doute trop gros- tracteur, marcher dans tes prés et regarder ton sol.

Les prés de Coume Sourde sont découpés en bandes de 25 mètres. Une logistique qui a un coût : les 42 kilomètres de clôtures électrifiées représentent un investissement de près de 180 000 euros. © Aurélien Culat

Ne pas en faire tout un foin

Il faut se retrousser les manches, aussi. Sans véritable modèle à suivre, Mathieu a réalisé ses poulaillers mobiles de A à Z, des plans à la dernière soudure, et il les améliore régulièrement. Le jeune éleveur est d’ailleurs en train de remettre en place les filets qui délimitent les parcs des gallinacés, en compagnie de Sander, l’employé de la ferme. 80% du boulot, c’est les filets, explique-t-il en plantant un piquet avec le dos d’une vieille brosse. La gestion des 42 kilomètres de clôtures électrifiées qui quadrillent l’exploitation est, elle, facilitée par l’usage d’une application mobile. Et les éleveurs sont toujours à la recherche de la race de vache parfaite pour leur modèle : c’est pour le moment une Low Line, une race courte sur patte dérivée des Angus écossaises, qui tient la corde. C’est la vache qui a la meilleure performance sur herbe, commente Jacqueline. C’est aussi celle qui, avec son faible poids, abîme le moins les précieux pâturages. Mais sa viande a du mal à se faire une place sur le marché local : Tous les abattoirs sont prévus pour des carcasses de 350 kilos, regrette Matthieu. Heureusement, Coume Sourde peut compter sur le succès de ses œufs bio, dont près d’un quart est vendu en direct et en libre-service, grâce à un réfrigérateur installé devant la ferme. Et la réussite des Gooskens a attiré l’attention de la Coopérative de Transition Ecologique du territoire, qui organise des visites et prend en modèle les pratiques agroécologiques de la ferme.

Malgré l’isolement de la ferme, la vente sur place cartonne ! Les œufs sont en libre-service dans un réfrigérateur et les clients ont pris l’habitude de faire leurs courses en autonomie. © Thomas Louapre

À quelques centaines de mètres des poulaillers, une prairie hirsute attire le regard et illustre le côté iconoclaste de nos éleveurs. Les fleurs, graminées et autres légumineuses qui y poussent naturellement sont allées au bout de leur cycle : ni animaux, ni faucheuse ne sont venus la visiter. Une hérésie, alors que l’année a été exceptionnelle pour le foin dans le sud de l’Aude ! La moitié de la ferme est en stock sur pied entre février et juillet, explique sans sourciller Matthieu, qui lâchera d’ici peu ses vaches au milieu des hautes herbes. La qualité est moindre par rapport au foin, mais il y a énormément plus de quantité. Et ça renouvelle le stock de graines du sol. Autres avantages : le sol reste à l’ombre du soleil estival, et l’eau des orages s’infiltre mieux dans le sol. Pour l’heure, le ciel n’est pas menaçant et Matthieu peut retourner à ses clôtures, déplacer son troupeau d’Angus et continuer à faire tourner la roue de ce qu’il appelle « l’agriculture en mouvement » : Bien gérer les pâturages, ce n’est pas un métier, c’est de l’art !

Les vaches Low Line de la ferme, courtes sur pattes, émergent à peine des prairies d’été. Vivant dehors toute l’année, elles ne coûtent rien en céréales ni en foin. © Thomas Louapre

Portraits de fertilisants naturels.
© Thomas Louapre

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