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La tradition n'a pas que du bon

Labour ne dure pas toujours

Maximilien de Sully, ministre d’Henri IV doit se retourner dans sa tombe. Labourage et pâturage ne sont plus les deux mamelles de la France. En 2016, l’Hexagone n’a plus qu’un mamelon et cultive sans labour. Surtout dans les champs de ceux qui défendent l’agriculture de conservation. Jacky est l’un d’entre eux et compte bien entraîner du monde dans son sillon.

Jacky Berland vient dans son champ de maïs afin de compter les grains sur les épis pour savoir si la récolte à venir sera bonne ou non. © Thomas Louapre
La récolte à venir sera bonne ? Jacky lit l’avenir dans les grains des épis de maïs. © Thomas Louapre

Jacky Berland, 53 ans, marié, installé en Vendée depuis le 1er janvier 1991. Cultive 75,86 hectares de maïs, féverole, colza blé tendre, carottes, sarrasin, chou noir de Toscane… Engraisse chaque année 5000 porcs. Pratique l’agriculture de conservation des sols depuis 18 ans. En fait la promotion depuis au moins autant d’années avec un débit qu’il est difficile d’arrêter.

« Regardez ce paysage sympa et son petit étang, vous ne voyez pas un truc qui cloche ? » Sur la photo tendue, le paysage est bucolique, verdoyant, des vaches paissent tranquillement. On cherche mais on ne trouve pas l’intrus. « L’étang est tout marron. Cette couleur provient de l’érosion des champs travaillés. C’est devenu tellement courant qu’on n’y prête plus attention, se désole l’agriculteur. Pourtant le sol a besoin d’une couverture, d’une litière protectrice et nourricière riche en carbone. Dans les champs, il devrait être comme dans la forêt, jamais à nu.»

Jacky contemple un champignon qui a poussé dans son champ de colza. Ca veut dire qu'il y a de la vie. © Thomas Louapre
Jacky contemple un champignon qui a poussé dans son champ de colza. Il est content, il y a de la vie. © Thomas Louapre

Couvrir le sol en toutes saisons, cette prise de conscience a commencé chez notre Vendéen par quelques soucis mécaniques. « Lorsque j’ai débuté dans mon métier, mes terres étant pleines de cailloux, je n’arrêtais pas de casser ma charrue. Un jour j’ai découvert que je pouvais faire sans labour. » Dans les années 2000, Jacky remise donc l’outil et remplace la ferraille par du vivant. Soit des vers de terre, des épigés, des endogés, des anéciques, qui brassent la terre, la nourrissent et créent un formidable réseau de circulation de l’eau. « Leurs déjections, les turricules sont 5 à 10 fois plus riches en éléments minéraux que la terre. Pourquoi donc détruire ce réseau en labourant ? »

Jacky Berland entre sa parcelle de maïs (en arrière plan) et de tournesol. Il crée ainsi des ruptures de culture afin d'avoir une diversité végétale dans l'espace pour la faune sauvage et favoriser toute la chaîne alimentaire. © Thomas Louapre
Au premier plan des tournesols, au second du maïs. Ces ruptures de cultures permettent d’avoir une grande diversité végétale et de favoriser toute la chaîne alimentaire. © Thomas Louapre

En quelques années, Jacky change progressivement de pratiques. Terminé le travail mécanique du sol, il sème directement au milieu de ses cultures, favorise la prolifération des lombrics et confronte ses intuitions aux écrits des maîtres à panser la terre. Il cite Carlos Crovetto Lamarca, agriculteur chilien spécialiste du semis direct, le président Roosevelt qui en 1937 déclare « une nation qui détruit ses sols se détruit elle-même ». Ou Konrad Schreiber (de l’Institut de l’agriculture durable) qui bannit le labour et invite les agriculteurs à copier la nature.

« Toucher au labour, c’est toucher à quelque chose de profond, il va falloir 30 à 40 ans pour s’en défaire. »

Jacky en pleine discussion avec Gilles, propiéraire de la Crêperie Moulin de l'Autise à Nieul sur l'Autise, qui lui achète son sarrasin pour préparer la farine de ses galettes. © Thomas Louapre
Jacky en pleine discussion avec Gilles, propiéraire de la Crêperie Moulin de l’Autise à Nieul sur l’Autise, qui lui achète son sarrasin pour préparer la farine de ses galettes. © Thomas Louapre

« J’ai beaucoup lu, pas mal voyagé, rencontré d’autres cultures jusqu’à adopter il y a 18 ans l’agriculture de conservation. » L’agriculture de quoi ? La très sérieuse FAO donne une définition officielle  : « l’agriculture de conservation vise des systèmes agricoles durables et rentables et tend à améliorer les conditions de vie des exploitants au travers de la mise en oeuvre simultanée de trois principes à l’échelle de la parcelle : le travail minimal du sol ; les associations et les rotations culturales et enfin la couverture permanente du sol. »  

 

Si Jacky ne laboure plus ses sols, il utilise encore un peu de chimie. « « On ne se l’interdit pas. C’est notre outil pompier, quand ça dérape. » En 18 ans, il a divisé l’utilisation de pesticides et fongicides par 2 ou 3. Les cultures, la paille et la matière organique qui couvrent ses champs stoppent l’érosion et absorbent les produits phyto qui se retrouvent moins dans les cours d’eau.

 

Le sol ne doit jamais se reposer, il doit toujours être couvert et avoir des plantes en place comme dans la forêt. © Thomas Louapre
Le sol ne doit jamais se reposer, il doit toujours être couvert et avoir des plantes en place comme dans la forêt. © Thomas Louapre

Chez Jacky, les trois principes fondateurs sont respectés et font jaser ses agriculteurs voisins qui voient chez lui des champs plutôt anarchiques, mélangeant allègrement céréales et légumineuses, qui enchaînent les cultures, voient pousser 7 variétés de blé différentes en même temps. « Mon agriculture dérange parce qu’elle est intensive, elle produit beaucoup de plantes. » Chacune a pourtant une fonction bien spécifique chez Berland. La phacélie prépare le sol avant les semis, les grains de sarrasin finissent en farine prisée par les crêperies du coin quand les tiges retournent au sol pour le pailler et le nourrir. Les rotations sont étudiées au plus près pour, chaque année enrichir encore un peu plus les sols.

« Etre en agriculture biologique et en agriculture de conservation, ça serait le Graal. Mais comment fait-on pour désherber sans travailler le sol, sans sarcler ? Pour y parvenir, on teste sans relâche d’autres types de rotation des cultures qui pourraient étouffer naturellement les mauvaises herbes. On combine également des couverts végétaux à action désherbante et on teste des produits naturels. On va y arriver.»

En agriculture de conservation, les plantes et les vers de terre font tout le travail de restructuration du sol. © Thomas Louapre
En agriculture de conservation, les plantes et les vers de terre font tout le travail de restructuration du sol. © Thomas Louapre

En choyant la terre, Jacky sait qu’il peut donner de l’air et sauver un peu la planète. Car chaque centimètre cube de matière organique en décomposition dans les sols est une bouffée de gaz carbonique en moins. « Un taux de croissance annuel du stock de carbone dans les sols de 4 pour 1 000 permettrait de stopper l’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère, explique le ministère de l’Agriculture qui vient de lancer l’initiative 4 pour 1000. Ce taux de croissance est un levier majeur pour participer à l’objectif de long terme de limiter la hausse des températures à 1,5/2°C. »

Jacky Berland vient planter un piquet dans son champ de colza afin d'attirer les rapaces (buse, faucon crécerelle, etc.) pour régulariser la population de rongeurs détruisant ses cultures. © Thomas Louapre
Jacky vient planter un piquet dans son champ de colza pour attirer les rapaces (buse, faucon crécerelle, etc.) qui viendront se délecter des rongeurs qui détruisent ses cultures. © Thomas Louapre

Jacky pourrait être l’étendard du programme 4 pour 1000 et même carrément de la COP21. L’étude de ses sols par l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) de Dijon, prouve que ses terres comportent 6% de matière organique quand un champ moyen peine à atteindre les 3%. Jacky, Président !

 

Se promener sur les terres de Jacky, c’est par ici :

15 commentaires

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  1. Autre commentaire au sujet des rongeurs.
    Tout n’est pas parfait en semis-direct. La preuve nous avons à gérer les rongeurs (campagnols, mulot…), et aussi le limaces. Je me suis mis à m’en occuper vraiment que depuis un an. Pourquoi : parce qu’avant j’en avais mais je les laissais faire sauf que l’année dernière ça a vraiment dérapé avec de sérieuses chute de rendement. Bref pas tenable dans un contexte de prix de vente des céréales très bas. C’est aussi la preuve que la vie biologique du sol n’est pas perturbée par du travail mécanique, car un autre moyen de contrer les rongeur est bien sûr de labourer et travailler le sol intensément (avec tous les inconvénients que j’ai choisi de ne pas avoir). malgré les piquets, les haies et d’autres aménagements (nichoirs), il faut parfois agir pour aider les auxiliaires à réguler. La règle c’est de leur en laisser suffisamment pour qu’ils restent dans nos champs mais que les rongeurs n’explosent pas en nombre. Le meilleur prédateur du rongeur est la pluie abondante, ce qui se produit en ce moment et là on laisse faire. Le produit n’est mis encore une fois que quand ça dérape comme en septembre dernier et dans les règles de l’art. C’est encore une fois certainement provoquant de le dire comme ça mais la réalité est que le vivant ne fonctionne jamais en tout ou rien, il faut parfois y mettre sa touche mais de manière judicieuse.

  2. nbb ….vous n’avez raison que pour les rongeurs ….la nature a tout prévu et assure un équilibre pour la plupart des problèmes qui apparaissent en sans labour ….en ce qui concerne notamment le pb rongeurs l’équilibre est prévu avec par exemple les renards ; le pb c’est que les soit-disants chasseurs l’éliminent pour concurrence avec leur gibier d’élevage …..j’ai la chance de pouvoir intervenir chez moi sur la présence de renards et autres et je peux vous assurer que je ne connais pas le pb rongeurs ….ni d’ailleurs le pb de gibier d’élevage
    Pour le reste l’agriculture sans aucun travail de sol mécanique est en expansion très rapide dans le monde entier avec la découverte permanente de nouvelles techniques nous permettant de réduire considérablement tous les produits indésirables …ce qui d’ailleurs ne plait pas particulièrement aux grosses firmes multinationales
    Un paysan Nature qui vit correctement et fait vivre correctement avec la Nature……

    1. Bonjour à tous et merci de cette tribune. Je suis donc le paysan de l’article qui ne laboure plus.
      A Aurel : si on ne travaille plus le sol, on n’a pas de désherbage mécanique ( charrue, bineuse), il n’y a plus de possibilité de protéger le futur semis contre la concurrence contre les herbes déjà en place. La nature a horreur du vide. Donc si on est en bio on travaille le sol et on sarcle et en semis-direct on désherbe avec des herbicides. Vous auriez tendance à dire que c’est mieux en bio car il n’y a pas de produit, mais nous constatons que le travail du sol est au final plus destructeur sur le long terme que le produit mis correctement sur un sol non érosif et avec un bon taux de matière organique. Ce taux est le meilleur garant de la qualité de dégradation des éléments chimiques que le sol reçoit. Je sais que c’est provocateur de l’annoncer comme tel mais c’est une réalité que nous vivons. Mes indicateurs de vie du sol s’améliorent d’années en années. J’ai les chiffres. Cela dit, je ne m’oppose pas aux systèmes bios car ils répondent à une demande et portent aussi en eux des choses intéressantes (rotations, solutions plus naturelles…) qui m’intéressent aussi. D’où le graal de faire du vrai semis-direct en bio. On y travaille.

  3. Oui ne soyez pas naïfs, comme dit aurel23 le non-labour n’est pas que positif et le labour que négatif. Exemple ; sur la 4ème et 5ème photos l’agriculteur est entrain de mettre des grains empoissonnés dans les trous des petits campagnoles et non comme il est dit dans le commentaire pour faire fuir les rongeurs. Cela N’existe PAS des grains qui font fuir les rongeurs! Et le rapace qui mangera les rongeurs y passera aussi. Cessez de croire des histoires qu’on vous raconte où tout sera joli, beau et aucun inconvénient.

  4. et si on parlait du fait que le non labour consomme plus de pesticide que le labour et que les deux présentent des avantages et des inconvénients

  5. bonjour, je vous souhaite une belle année 2016 : pleine de projets, de rêves… à réaliser.
    Parmi les pionniers de la culture sans labour, j’aimerai que l’on cite le remarquable travail de Pierre Rabhi et de terre et Humanisme ; au pritemps si vous avez un peu de temps (ou si vous le prenez), vous pouvez aller visiter le jardin de l’association ; vous pourrez aussi faire des stages (il y a différents niveaux ( j’ai suivi le premier niveau du jardin agrobiologique) ; même à un petit niveau on peut à la fois jardiner en respectant la terre et du coup en parler avec des arguments convaincants et même proposer des repas convaincants car les résultats sont là !
    Terre et Humanisme essaime en Europe et en Afrique où elle forme des techniciens.
    En tout cas bravo ce vrai paysan qui aime et respecte la terre : encore un petit effort pour supprimer totalement la chimie : l’ortie, la consoude et quelques autres plantes et méthodes de dynamisation devraient l’aider à parvenir au top des méthodes de culture.

    1. à Sariette à propos des préparations consoude et autres purins d’ortie.
      Je suis en train de m’atteler à utiliser ces préparations. Sachez quand même que je les considère néanmoins comme des produits chimiques aussi car je sais que quel que soit le produit qu’on met, issu de l’industrie ou issu d’une pratique artisanale, c’est la dose qui fait le poison. C’est vrai aussi pour les produits de santé humaine d’ailleurs. Il faut que je regarde aussi le rapport prix/bénéfice. He oui j’ai un besoin et le devoir de gagner ma vie. Il ne faut pas non plus sortir d’une dépendance aux industries pour aller vers une autre même naturelle. Sachez que les industries agro chimique sont aujourd’hui en train d’acheter toutes les startup qui bossent sur les produits naturels. Et oui, ils veulent garder la manne financière que sont capables de laisser les agriculteurs!
      Je voudrais enfin dire que depuis que j’ai adopté ce virage dans mes pratiques agricoles, j’ai retrouvé goût et fierté au métier de paysan, et j’ai compris le rôle que j’avais dans l’organigramme sociétal dans lequel je vis. Je peux vous assurer que les quelques 1500 agriculteurs qui pratiquent l’agriculture de conservation en France, ont fait de l’environnement, de l’écosystème, un outil de travail et non pas une contrainte imposée par la règlementation. Ca les rend créatifs pour faire évoluer leur système agricole car ce sont eux les véritables pilotes de leur fermes. Mais pour cela il faut d’abord oser penser qu’on peut faire autrement, donc s’affranchir de tous les « oripeaux » familiaux, de voisinage, professionnels, comprendre les règles du vivant et s’atteler à la tache en acceptant parfois de prendre des risques car le vivant est continuellement en adaptation par rapport à ce qu’on lui fait subir. Ca rend le métier intéressant.
       » ce n’est pas parce que les choses sont difficile que nous n’osons pas, mais parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficile » sénèque

  6. absolument superbe cet article! il nous remonte bien le moral pour commencer l’année 2016! ce serait vraiment bien que les agriculteurs suivent cette formule qui leur éviterait en plus de se ruiner en emprunts pour l’achat d’engins agricoles coûteux…
    Bonne année 2016 à toute l’équipe, et merci pour votre bon travail!

    Mireille

  7. Bonjour, partagé sur Twitter
    même si c’est connu, mais il faut rappeler qu’il existe des solutions d’agricultures autres que celles préconisées ultra-intensive et pro-cancer de la terre
    Meilleurs vœux pour cette nouvelle année 2016
    A+ Steph

  8. Bonjour et très bonne année à tous..

    Je trouve ce genre d’article vraiment passionnant, moi qui n’est absolument pas un initié en la matière. Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi les Ministères concerné ne travaillent pas avec toutes ces personnes et associations éxistante en la matière pour faire avancer plus vite les choses….En tout cas, merci à tous ceux qui œuvrent dans ce sens, je commence personnellement à m’y mettre…tout petit, mais faut bien commencer par quelque chose..
    Cordialempent.

    1. Oui, bien vu. Moi j’aime beaucoup l’expression couvrir la terre. Comme si on lui mettait un manteau pour la protéger. Après tout, la terre est notre mère, non ?

  9. Bonjour,
    En effet, cette technique n’est pas nouvelle, mais c’est un excellent article quand même.
    Et c’est la première fois que je vois le récit d’une expérience sur une « grande » échelle et sur d’autres cultures que des plantes potagères.
    Merci donc pour ce très beau reportage.
    Toutefois, ce serait super sympa de mettre en note la traduction des termes spécifiques (donc certains sont d’ailleurs inconnus du CNTRL http://www.cnrtl.fr/), avec des exemples d’épigés ou d’endogés par exemple 🙂
    Merci beaucoup en tout cas

  10. Bonjour,
    à la lecture de votre article paru sur le blog de la Ruche qui dit oui, j’ai été étonné que le non labour et le semis direct soient presque présentés comme « nouveauté »… mais effectivement, proportionnellement parlant, il n’y a pas beaucoup d’agriculteurs qui le pratiquent. Sachez tout de même qu’une Association pour la Promotion de l’Agriculture Durable (APAD) existe et oeuvre efficacement au niveau national et local: elle était aussi présente à la COP21 où les membres des groupes locaux se relayaient au stand. Pour en savoir plus, je vous invite à visiter son site national: http://www.apad.asso.fr, ou de suivre les liens sur notre site http://www.lefebvre.e-monsite.com
    Merci de votre implication dans la diffusion d’informations, et bonne continuation dans votre travail!
    Une belle et heureuse année à vous et toute l’équipe du blog,
    bien cordialement
    M.Lefebvre

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