« S’il avait fallu que je travaille seul dans mon coin, je n’aurais jamais choisi le métier d’agriculteur. » À quelques kilomètres de Lens (62), la coopérative d’utilisation de matériel agricole la Verloossoise (CUMA) compte parmi les plus belles réussites d’entraide agricole. Visite.
Imaginons que nous soyons un drone et que l’on survole les multiples champs autour de la ville de Lens. Ou que l’on monte sur le terril de Loos-en-Gohelle, le plus haut d’Europe. Que voit-on à l’horizon ? Du côté de Vermelles, un triangle isocèle fait de deux grands bâtiments agricoles. Lorsque l’on s’approche de plus près, le hangar du Sud scintille. Recouvert de 1250 m2 de panneaux solaires, il alimente en électricité une soixantaine d’habitations. Dessous, c’est un paradis pour les amoureux du boulon.
De magnifiques bécanes rutilantes attendent qu’on les emmène dans les champs : déchaumeurs, tracteurs au tableau de bord de boeing 747, arracheuse, planteuse, herse étrille, rotative, vibro 4 m (oui mesdames), épareuse, batteuse… Au total, plus de 80 machines agricoles que se partagent 31 exploitations, 35 agriculteurs pour cultiver 2000 hectares à moins de 20 kilomètres à la ronde. Thierry Baillet en est le Président.
N’imaginez pas un baba cool à dreadlocks ou un nostalgique des ashrams, Thierry, la petite quarantaine est un céréalier de son temps pour qui l’esprit collaboratif pousse aussi dans les champs. « Agriculteur, c’est le plus beau métier du monde mais je ne l’aurais jamais choisi si je n’avais pas pu travailler en équipe avec mes agriculteurs-voisins. » Ca tombe bien, chez les Ch’tis, l’entraide agricole est bien ancrée dans les pratiques. A Loos, l’un des bleds du coin, une banque de travail permet dès le XXe siècle d’échanger services et matériel. Je te prête mon tracteur, tu me fais ma compta ou je te file mon déchaumeur et tu viens faire les foins avec moi. Avec ce système proche d’un SEL (système d’échange local), chaque heure d’entraide est comptabilisée. L’objectif étant en fin d’année d’arriver à zéro.
« En 1992, lorsqu’arrive la politique agricole commune, 8 agriculteurs de la région décident de se regrouper pour créer la Cuma la Verloossoise, se souvient Thierry encore étudiant à l’époque. L’objectif premier étant de réaliser des économies d’échelle et de diminuer les coûts de matériel. » La Cuma investit alors dans 6 bécanes dont un tracteur. Rapidement, la coopérative grossit et rassemble de plus en plus d’adeptes. Le matériel est acheté en commun et garé chez les uns et les autres. Des groupes de travail se mettent en place pour les semis, la moisson ou les arrachages. « En 2012, nous avons franchi une belle étape en inaugurant notre hangar avec atelier, salle de réunion, aire de lavage et remplissage pulvé, phytobac, » se réjouit encore Thierry aujourd’hui.
« Le principe de notre Cuma : payer l’outil et son amortissement et s’engager pour 7 ans minimum. Mais on est sûrs d’avoir du matériel dernier cri et de qualité. »
C’est à ce moment du récit que Michel, la soixantaine, déboule dans le bureau avec son petit carnet qu’il remet à Christian secrétaire de la coopérative. Dedans, il a tout consigné, l’outil qu’il a utilisé, pendant quelle durée, dans quel état il l’a rendu à l’un des 3 mécaniciens… Il en profite pour parler de la pluie du beau temps, de la famille, des enfants. « Notre Cuma n’a rien à voir avec un loueur de matériel précise Thierry. Dans certaines, on rencontre parfois le syndrome Kiloutou, un grand nombre d’adhérents qui picorent dans les matériels sans s’investir. »
Ici, l’engagement s’inspire des histoires d’amour, il doit durer au moins 7 ans. Au minimum on s’engage sur l’activité déchaumage en cotisant pour le matériel idoine et depuis peu, tous les coopérants doivent contracter une part sociale de 150 €, en plus des 60% du chiffre d’affaires annuel requis pour faire tourner la boutique. « Ces deux artifices ne garantissent pas d’avoir des adhérents impliqués, précise le Président, mais limitent le nombre des pique-assiettes ce qui n’est déjà pas si mal. »
« Pour intégrer notre Cuma, il faut être accepté par tout le monde. »
Globalement, Thierry n’a pas à se plaindre, la machine tourne bien. Quand un agriculteur souhaite acheter un nouveau matériel, il monte un groupe de travail avec au minimum 2 à 3 autres collègues sur le sujet : pommes de terre, labour, fenaison, irrigation… La proposition est alors soumise aux votes. Comme dans toutes les coopératives, on applique le principe un homme une voix et à bulletin secret pour permettre à chacun de s’exprimer librement. Récemment, un groupe s’est monté pour développer l’agriculture biologique de plein champ. Thierry a raccroché son wagon, ravi de mettre en commun des terres pour les exploiter en bio et de bénéficier de l’expérience de Pierre qui a déjà converti une partie de son exploitation.
Pour assurer la vie en collectivité, Thierry a édité les 10 commandements de la Cuma, que chacun s’engage à appliquer. Le 8e porte sur la formation parce que sans mode d’emploi, n’imaginez pas faire fonctionner un tracteur dernier cri avec un seul permis B. En plus des séances de training organisées par les constructeurs,Thierry réalise des tutos qu’il met en ligne sur la chaîne Youtube de la Cuma aux 573 abonnés.
Et s’il est un commandement qui lui tient à coeur comme à la plupart des adhérents, c’est bien le dernier : « partager d’autres choses ». « Si le matériel attire, l’humain assure le ciment, » rappelle-t-il comme une évidence. Aussi, le barbecue de septembre fait partie des événements incontournables tout comme la messe des moissons célébrée chaque année sous le hangar avec plus de 250 personnes. Et il y a surtout tous ces moments informels où l’on échange, où l’on discute entre collègues. Souvent entre amis.
« Une Cuma, c’est un peu comme un psy. C’est un endroit où l’on parle de soi. »
Allez Thierry, une dernière question avant d’aller se jeter une bavette/bière/frite : fermez les yeux et imaginez les 30 ans de la Cuma (en 2023). Le passionné a tout prévu et nous renvoie sur l’une de ses vidéos, projection idéale dans le futur faite d’effets spéciaux maison. On y découvre la construction d’un bâtiment de stockage de pommes de terre, la mise en place d’une légumerie avec salle de conditionnement, l’approvisionnement des cantines locales et un magasin, la conception d’un méthaniseur, d’une unité d’épuration pour transformer le méthane en carburant… Vivement 2023 !
L’agriculteur de demain, sans aucun doute.
Et nous, les consommateurs devront les soutenir, comme consomm’acteurs, en payant simplement nos produits un tout petit peu plus cher peut-être, mais en direct de nos plus belles campagnes retrouvées.
que des bonnes nouvelles , ca fait du bien , à plusieurs il y a toujours une solution, bravo pour toutes ces initiatives.