Jennifer est une urbaine béton de chez béton. Déconnectée de la nature, elle s’est offert une immersion dans les bois, sans eau ni nourriture pendant une semaine. L’objectif ? Se plonger dans cette réalité organique et faire corps avec notre écosystème. De retour sur le macadam, elle en a fait un livre La vie dans les bois. 240 pages nous invitent à l’imiter pour éprouver physiquement et émotionnellement les enjeux écologiques.
Jennifer, vous vivez pleinement la crise écologique actuelle. Vous avez ressenti le besoin de vous extirper de l’agitation urbaine et de vous immerger dans la nature profonde pour mieux comprendre les enjeux actuels, pourquoi ?
Cela fait des années que je suis éduquée aux questions relatives à l’environnement, pour autant, mon rapport à l’écologie demeurait intellectuel, presque scolaire. J’habite à Paris, la nature est absente de ma vie, étrangère à mes sens. Je voulais voir ce que cela faisait de se détacher du monde des humains. En tant qu’Homo sapiens, on est notre unique référence, on dépend forcément d’une perception à courte distance.
Aujourd’hui, notre cerveau rationnel est constamment mobilisé, mais échoue manifestement à bien prendre la mesure de ce qui se jouera dans les années qui viennent. J’avais envie d’écrire un essai sur la déconnexion des humains à la nature pour éclairer la catastrophe écologique actuelle. Le projet a évolué vers quelque chose de plus incarné : le récit d’une immersion.
Vous êtes partie en pleine nature pendant une semaine alors que vous ne saviez même pas faire un feu, pourquoi tant d’intrépidité ?
L’été 2018, ma décision de partir a été prise de façon assez impulsive, il fallait que je le fasse tout de suite. J’avais l’intuition que cette déconnexion de la nature nous privait de beaucoup de choses (au-delà du fait qu’elle est en train de nous tuer puisque nous détruisons aveuglément ce dont nous dépendons). En ville, on bloque tous nos sens parce que ça sent mauvais, qu’il y a trop de bruit. On se prend la tête pour des choses qui n’ont pas d’importance. En réalité, l’être humain s’adapte à ce qui lui nuit. Il devient un peu con quand il est privé de nature. Parce que le fait est que l’histoire de l’humanité est intimement liée à la nature, et que nous avons besoin de ce contact pour vivre convenablement. Nous en avons besoin physiquement, émotionnellement. De nombreuses études le prouvent scientifiquement.
Juillet 2018, vous voilà en gare d’Angoulême à retrouver votre guide François. Vingt-cinq minutes plus tard, vous êtes dans un canoë à descendre le cours de la Charente, vous vous sentez comment ?
La rupture a été rapide et radicale. Je me suis retrouvée dans un espace très préservé, luxuriant, comme une petite jungle avec des tunnels de vert tout autour de moi. C’était très doux. J’ai tout de suite senti une certaine quiétude. On s’imagine qu’on a besoin de partir très loin pour se reconnecter à la nature mais elle est un peu partout, disséminée. En revanche, très vite, j’ai perçu le déclin de la biodiversité, j’entendais peu les oiseaux.
Votre guide François était là pour vous enseigner les bases du survivalisme, c’est dur la vie de Robinson Crusoé ?
Il faut avoir les bases pour se lancer dans une aventure comme celle-ci mais elles sont très simples. Il faut savoir faire un feu sans briquet, savoir purifier l’eau, repérer quelques plantes comestibles et puis voilà. Pendant mes huit jours d’escapade, j’ai perdu du poids. Mon jean baillait quand je suis rentrée, mais je n’ai pas eu faim de tout le voyage, alors qu’avec mes 1,85 mètres je suis plutôt du genre à manger pas mal. Je me sentais robuste, en vraie forme physique.
Vous avez terminé votre expérience toute seule dans les Pyrénées, vous avez apprécié ?
C’est formidable d’être seule dans ces conditions, c’est revigorant, vivifiant. Bien sûr parfois j’ai eu peur, très peur même, notamment lorsque l’orage grondait. Mais être seule au milieu de l’immensité permet de se laisser voguer dans des pensées qu’on n’aurait pas eues ailleurs. La montagne, c’est fascinant. Ça a favorisé des rêveries et des réflexions inédites. La ville dégrade l’imaginaire, le champ des possibles, la largeur de vue. On a des visions étriquées entre humains avec des immeubles qui bouchent les perspectives. Être dans cette réalité organique, vivante, c’est très libérateur.
Vous aviez prévu ce périple pour mieux comprendre les enjeux écologiques, pour ressentir notre inclusion dans ce qui nous dépasse. Ça a marché ?
Je voulais ressentir ce lien avec ce qui nous fait vivre. En faire l’expérience physiquement permet de passer un cap. On se rend compte qu’on n’est rien, qu’on est tout petits, que la vie d’un humain est terriblement brève. Face à l’immensité des montagnes, de la voie lactée, rien ne semble grave en dehors de la destruction de ce qui nous fait vivre. Être dans l’instant était aussi une forme de libération. J’étais à ma place ici et maintenant à apprécier la beauté du vivant. Cela ne m’a pas rendue misanthrope, ça m’a donné furieusement envie de vivre.
Vous voici désormais de retour en ville avec votre livre, quels messages souhaitez-vous transmettre aux lecteurs ?
J’aimerais expliquer à quel point c’est une hérésie de se couper du monde naturel et qu’il est vital de réintroduire la nature dans les villes. Et puis dire aussi que partir est très facile. Il n’y a rien de courageux, tout le monde peut le faire. Aujourd’hui, quand je me prends la tête sur des choses insignifiantes, je pense à la Charente, à la montagne et à ce que j’éprouvais là-bas. Cette expérience n’a fait que renforcer mes croyances : en plus d’autonomie, en une société écologique, résiliente, en l’intelligence collective pour arriver à tout cela, en l’humain qui, stimulé, n’est vraiment pas idiot, au sursaut.
Aujourd’hui, on doit admettre qu’on s’est planté, que le système qui gouverne nos existences est mortifère et aliénant. Mais on peut encore redresser la barre et engendrer une société soutenable et plus épanouissante. On est à la croisée des chemins, ça passe ou ça casse. C’est terrifiant et exaltant. Et si ça passe, c’est génial. Toutes les solutions existent déjà, il suffit juste de les généraliser.
Pour approfondir
Références
Citadine assumée, Jennifer Murzeau est partie vivre une semaine dans les bois, sans eau ni nourriture, pour renouer avec la nature. Pendant 240 pages, on la suit dans son périple survivaliste.
Une amie m a offert votre livre j étais enthousiame mais au fil des pages j ai trouvé votre livre très négatif et trop critique. Je suis allée au bout par curiosité mais bof…
combien d’arbres coupés pour l’édition du bouquin ?
1 semaine d’expérience, 1 livre de 240 pages, c’est un peu opportuniste non ?