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Renaissance dans nos vignes

Hervé Garnier, vigneron résistant

Dans les hauteurs du village de Beaumont en Ardèche, vit Hervé Garnier. Arrivé par hasard en autostop 30 ans plus tôt, il tombe amoureux du paysage cévenol. Il achète alors une propriété abandonnée et ses 78 hectares de vignes. Le cépage cultivé est le Jacquez, une variété américaine hybride, interdite en France depuis 1934. Il contourne l’interdiction en créant l’association Mémoire de la Vigne et produit depuis la « cuvée des vignes d’antan ».

© Julie Subiry

Quel est l’histoire du Jacquez ?  

Le Jacquez fait partie de la première génération d’hybrides venue des Etats-Unis, au même titre que le Clinton, le Noah, l’Isabelle, l’Othello et l’Herbemont. 

A l’origine, c’est un vinifera : une vigne européenne. A la fin du 17ème siècle, des Huguenots ont quitté la France, suite à la révocation de l’Edit de Nantes, pour migrer aux Etats-Unis. Parmi eux, il  y avait des vignerons de Loire et de Vendée. C’est ainsi que du Cabernet Franc se retrouve au sud de New-York, en Virginie. Pollinisé par une vigne sauvage, Vitis estivalis, il devient le Jacquez. Parce qu’il présente une très bonne résistance à l’oïdium, il est ré-importé en France en 1878.

© Julie Subiry

Pourquoi va-t-on chercher des vignes aux Etats-Unis à cette époque ?  L’oïdium est une des premières maladies qui arrive des Etats-Unis en bateau à vapeur : Quinze jours de traversée au chaud permettent aux champignons de se développer. Ces champignons vont faire des ravages sur le vignoble français. C’est pourquoi on va chercher des solutions aux Etats-Unis, où des vignes sauvages cohabitent depuis longtemps avec l’oïdium et ont développé une résistance à la maladie.  

Avant son interdiction, comment utilise-t-on le Jacquez ? 

Le Jacquez a du succès dans le Sud de la France. C’est un cépage qui aime la chaleur. C’est un très bon vin d’assemblage : il amène de l’alcool, de la couleur, des tanins souples. À cette époque, on l’appelle « le teinturier du bordelais ». Il fait partie officiellement de l’assemblage Châteauneuf-du-Pape. 

© Julie Subiry

Pourquoi le Jacquez ainsi que les autres hybrides américains ont-ils été interdits ? Pour le comprendre, il faut remonter à l’arrivée du phylloxéra aux alentours de 1880. Ce puceron va détruire la totalité du vignoble européen. Il faut alors reconstruire le vignoble français. Dans un premier temps, les vignerons ont le droit de planter ce qu’ils veulent : des plants de Vitis vinifera greffés sur des racines américaines ou hybrides. La France connaît une longue période où l’on manque de vin. Il existe même des recettes pour fabriquer du vin à partir de raisins secs ! Le vin devient rare et cher. Certains voient le vent venir : en Algérie, française à l’époque, les colons obtiennent des droits de plantation. Le climat est propice, la main d’œuvre pas chère. En Languedoc Roussillon, on plante de l’Aramon, un cépage très productif. La région obtient le monopole du vin de table. La production française atteint 91 millions d’hectolitres. Comme on n’exporte pas, c’est trop ! Pour réguler la production, le gouvernement Daladier interdit les hybrides américains. 

Mais pourquoi s’en prendre aux hybrides américains ?  

Les paysans, qui représentent 32 % de la population, ont le droit de produire du vin pour leur consommation familiale. Ecolos sans le savoir, ils se méfient de la chimie et des vinifera qui nécessitent des traitements, l’achat d’un atomiseur, de cuivre, de soufre… Le Noah en particulier est le vin des petits paysans, il est facile à multiplier, résistant aux maladies. Puisqu’ils le produisent eux-mêmes, les paysans n’achètent pas de vin. On interdit les hybrides en 1934 et on subventionne l’arrachage pour les pousser à moins produire et à acheter. La loi est très peu appliquée à cause de la guerre qui arrive. On la remet sur le tapis en 1956. 

© Julie Subiry

Que se passe-t-il alors ?  

Une vague de froid s’abat sur la France. La température descend à moins 20°C pendant trois semaines. Il faut de nouveau reconstruire le vignoble. Pour simplifier le problème et accélérer le processus, on va demander à chaque région de choisir quelques cépages emblématiques. Par exemple, dans le Bordelais, on choisit le Merlot, le Cabernet franc etc. 7ou 8 cépages contre une multitude de cépages avant. A partir de là, il y a une entité bordelaise, une entité côte du Rhône, Alsace etc. On impose une liste de cépages autorisés à la plantation par département. Les hybrides vont disparaître petit à petit.  

© Julie Subiry

Qu’est-il advenu du Jacquez ?  

Il y avait des centaines d’hectares de Jacquez dans les Cévennes. Ce cépage faisait vivre la région : on le vendait assez cher aux pinardiers. Il était recherché parce que c’était un vin améliorant, qui apportait de l’acidité aux vins qui en avaient besoin. Entre 39 et 56, on a continué en douce d’envoyer du Jacquez à Châteauneuf-du-Pape ! Le Jacquez est resté dans les Cévennes parce que c’était compliqué de l’arracher. Les vieux paysans sont attachés à leur terre, ils ne lâchent pas comme ça. Les caves coopératives ont continué de récupérer le Jacquez. Chaque vigne a une fiche d’encépagement détenue par les douanes qui notent les variétés qu’on trouve sur une parcelle. Quand on a repris la vigne, chez moi à Beaumont, la fiche ne mentionnait pas le Jacquez. Il était marqué « Aramon », alors qu’il n’y a pas un seul pied d’Aramon : l’administration fiscale trichait ! 

© Julie Subiry

Et toi ? Quelle est ton histoire avec le Jacquez ?  

Au départ, je ne connaissais pas le problème des cépages interdits. Quand je suis arrivé dans les Cévennes, tout un coteau était en vignes. C’était très beau. Je les ai vues se dégrader. Les anciens vieillissaient et abandonnaient leurs vignes. D’autres plantaient du Douglas, subventionné. Voir la vigne disparaître m’aurait crever le cœur. J’ai eu l’idée de monter une association pour la sauver. J’ai d’abord été soutenu dans cette démarche et obtenu des budgets : les vignes font partie du patrimoine et de l’histoire des Cévennes. Les problèmes sont apparus après : « Mais ce vin est interdit, il est dangereux ! Il rend fou, aveugle ! ».  

La première chose que j’ai faite, c’est de vérifier. J’ai fait analyser le vin, il n’avait rien de dangereux. 

Comment as-tu fait pour contourner l’interdiction ?  

Le but de l’association « mémoire de la vigne » est de sauvegarder la vigne. C’est pour ça que l’on fait du vin. On ne le vend pas, on le distribue aux membres fondateurs, actifs et usagers qui s’acquittent d’une cotisation équivalente au prix d’une bouteille de vin de l’année. C’est parfaitement légal ! 

Depuis, les mentalités ont évolué !  

Oui ! À une époque, quand on parlait d’hybrides, tout le monde sortait le fusil : « Pisse de renard, punaises écrasées » C’était du grand n’importe quoi ! Aujourd’hui, en dégustation, ça se passe plutôt bien ! Pour le futur, il est impératif de s’ouvrir au goût, d’avoir un panel plus large. Le goût est une affaire culturelle et personnelle, « le bon goût » n’existe pas. Un bon vin, qu’il soit hybride ou vinifera sera toujours le résultat du travail d’un vigneron !  

© Julie Subiry

Est-ce qu’on va vers une réintroduction des cépages interdits ?  

Les présidents d’IGP Cévennes et IGP Ardèche sont d’accord pour la réintroduction de ces cépages parce qu’ils sont résistants aux maladies et pour démarquent des vins cévenols. L’élément majeur, c’est la possibilité de se passer de traitements. Les jeunes vignerons sont très intéressés par les hybrides.  

Ces cépages interdits présentent un véritable intérêt environnemental …  Le problème fondamental de la viticulture, ce sont les pesticides et les fongicides. Certaines années, si on n’utilise pas de fongicides, il n’y a pas de raisin. Même en bio, avec le cuivre et le soufre, il faut traiter tout le temps. Le cuivre stérilise les sols à long terme. On ne peut pas imaginer continuer pendant des siècles. Les hybrides sont une des solutions. Ça évoluera, j’en suis convaincu. 

© Julie Subiry

Une dernière question … Te sens-tu l’âme d’un rebelle ?  

Moi, quand on me dit que c’est interdit, je veux savoir pourquoi. Quand j’ai compris que cette histoire de vins interdits était plutôt celle des gros qui mangent les petits, que c’était une stratégie économique qui n’avait rien à voir avec une notion scientifique, je me suis dit que ça n’avait pas de sens. Quand le règlement est absurde, je ne l’applique pas. Alors rebelle, oui ! 

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