fbpx

AS DE TROPIQUES

Des fruits exotiques made in France pour garder la banane

Leur passion porte ses fruits. Papayes, mangues et bananes bio ont élu domicile chez Fred et Lili, qui ont réussi à acclimater une cinquantaine de variétés tropicales dans leurs serres froides à quelques kilomètres de la Méditerranée. Jusqu’à produire un rhum 100 % métropolitain.

Trois chefs, dont un double étoilé, ont passé commande cette semaine, ravis de servir des fruits de la passion et de la citronnelle issus d’un producteur local. © Thomas Louapre

Une nappe de nuages venue de la mer voile le soleil matinal, la température est supportable sous les serres. Du moins pour quelques heures, avant de monter dans les quarante degrés, comme les jours précédents. Dans la serre 4, Sylvain et Florian s’activent au-dessus des plants de citronnelle, dont la cueillette délicate ne souffre d’aucun faux mouvement. Frédéric Morlot coordonne la manœuvre : Vous prenez l’enflement, vous coupez là, où il y a le coeur. Je vous fais confiance, c’est pour des chefs étoilés, précise le patron. Car la ferme biologique Les Arts Verts, sise à Torreilles, à quelques kilomètres de Perpignan (Pyrénées-Orientales), attire l’attention des plus grandes tables : on y trouve pas moins de 56 variétés de plantes tropicales dont les fruits, feuilles et fleurs comestibles sont pour la plupart introuvables en France. Un bout d’océan Indien à deux pas de la Méditerranée, que Frédéric et sa femme Linda (appelez-les Fred et Lili) ont patiemment couvé de leurs attentions.

Cinq variétés de fruits de la passion sont cultivées chez Les Arts Verts. Ils sont tous cueillis à pleine maturité, contrairement aux fruits importés des îles.
© Thomas Louapre

Le fruit des fondus

Dans une salve d’aboiements, Papaye donne l’alerte : il y a de la visite. Véro et Catherine, anciennes habitantes de Mayotte et de la Réunion installées dans la région, viennent jeter un coup d’oeil aux serres. Fred est venu nettoyer un pamplemousse chez nous, et on a bien accroché, raconte Véro. Car avant d’être producteur de fruits tropicaux en milieu tempéré, l’entrepreneur a bâti son savoir-faire et sa solidité financière sur une activité de paysagiste. C’est Espace Déco qui paye les délires de monsieur Morlot ! s’amuse Fred en entraînant les visiteuses vers le principal objet de leur curiosité : les fruits de la passion. Ici vous avez la verte, la jaune, la mauve, la bourbon et la barbadine. Dans le commerce, elles sont fripées parce qu’elles sont cueillies vertes avant d’être transportées. D’un coup d’épuisette, le maître des lieux décroche un fruit lisse et bien mûr : C’est une edulis jaune, vous n’en trouverez pas en grande surface. Enfin si, maintenant que j’en fais ! Le fruit est partagé, Véro laisse échapper un soupir d’aise : Quel bonheur !

Un bananier émerge d’une des onze serres photovoltaïques. Cultivées en bio, elles n’ont pas de système de chauffage : les températures peuvent y être négatives en hiver. © Thomas Louapre

D’une simple pression sur un bouton, Fred déclenche l’ouverture des auvents de la serre. Ce sont des serres photovoltaïques pilote, les premières du département, il y en a 11. Non chauffées, elles profitent de l’ensoleillement et de la douceur de la côte catalane, mais aussi de la nappe d’eau située à seulement 2,5 mètres sous terre. En métropole, on peut avoir un pourcentage de production tropicale qui est intéressant, assure Fred. Il faut évidemment faire avec les contraintes locales : les températures légèrement négatives en hiver et les visites inopinées des voisins : Je suis souvent obligé d’attraper des perdrix rouges à la main pour les sortir des serres, et une fois, les sangliers ont mangé les cannes à sucre ! Ensuite, c’est le savoir-faire du chef de culture qui fait la différence. Fred prend en exemple une fleur de fruit de la passion qui dévoile ses couleurs aux visiteuses : Si en métropole vous voulez assister à ce spectacle, il faut maîtriser minutieusement la taille. Aujourd’hui, la seule personne qui gère la taille avec moi, c’est mon fils Sylvain. Dans la serre attenante, un autre best seller des Arts Verts est en fleur : le pitaya, ou fruit du dragon, qui pousse sur une liane hérissée d’épines. Dans son pays, c’est une chauve-souris qui vient la polliniser, car elle ne s’ouvre que la nuit, nous apprend Fred. Alors je suis obligé de faire la chauve-souris moi-même, comme la nuit dernière – et je mets une cape, bien sûr !

Mangues, avocats, bananes, goyaves : les grands hits de l’agriculture tropicale remplissent les serres et sont déjà à l’étroit : Fred a déposé un permis pour des serres-chapelle plus hautes. © Thomas Louapre

Jardin secret

Gingembre-mangue, tomate-arbuste, goyave-velours, poivron-chocolat et margose amère se dévoilent les uns après les autres, jusqu’à une serre remplie d’une autre spécialité locale : le bananier. On croit que la banane est jaune, mais elle peut être rouge ou verte, explique Fred, en cueillant une fleur immense. Ici, c’est une variété naine très productive et résistante au froid, qui a tenu à -7 en 2020. Et là, ce bijou de technologie nous sort une banane qui a le parfum de vanille, c’est introuvable ailleurs. Mais malgré son engouement, impossible de tirer le nom de cette variété à l’hôte du jour, dont le ton se durcit légèrement : Je me suis tu pendant 20 ans, je ne vais pas vous le dire aujourd’hui ! Si Les Arts Verts a de l’avance en métropole, c’est aussi grâce à des secrets de fabrication et un travail acharné pour dénicher les variétés les plus intéressantes. On a cherché pendant des années, il m’est arrivé d’attendre 10 ans pour avoir accès à une plante, assure Fred. Mon premier bananier m’a coûté 5000 euros ! C’est un gros boulot, ça ne rapporte pas, la banane. Quand j’aurais pris ma part du gâteau, je pourrai partager mes secrets avec les autres. 

Dans sa case en bambou tressé, Lili accueille les clients tous les matins. Sur les étals : ses bocaux et bouteilles de confiture, sirop et autres tisanes à base de la production de la ferme, dont le premier rhum 100 % catalan. © Thomas Louapre

Pour le moment, Fred distribue les petits cadeaux aux clients : Tu vas faire un complément de commande, glisse-t-il à Sylvain qui vient de remplir les cagettes pour les grands restaurants. Pour eux, on met une feuille de quatre-épices, une feuille de kombava et une de caloupilé. Et lui, tu lui mets une fleur de gingembre-mangue. Allez, maintenant, on va apporter des fruits de la passion à Lili. La matinée est bien avancée et le point de vente à la ferme est déjà ouvert. La patronne reçoit dans une cabane en bambou tressé importée de Bali, remplie de fruits frais et de conserves maison : piments cabri confits, acards de babafigue. sirop de curcuma, tisane de citronnelle… La vente sur place complète les ventes en Biocoop, à Rungis, dans les Ruches de Perpignan et sur leur site Internet. J’ai découvert que mon grand-père, docker à Nantes, déchargeait des fruits tropicaux au hangar à bananes ! s’amuse la maîtresse des lieux, qui engage la conversation avec Catherine et Véro sur les recettes de rhum arrangé. Sur une étagère trône d’ailleurs une fierté locale : le rhum 100% catalan, distillé à six kilomètres d’ici, avec les cannes à sucre produites par Les Arts Verts. 

La demande en jus de canne à sucre est telle que Fred peut se permettre de choisir ses clients. Il a pour lui une connaissance parfaite de sa culture et une diversité de variétés exceptionnelle. © Thomas Louapre

Un festival de cannes

En rupture de stock, le rhum « made in Pyrénées-Orientales » a un avenir doré devant lui. La distillerie Nitos me demande maintenant de cultiver un hectare de cannes à sucre, assure Fred. Et vous avez d’autres sociétés en France qui me supplient de leur vendre le jus ! On s’aperçoit que si on veut, nous Français, on peut refaire du rhum à l’ancienne. Outre la curiosité d’une canne française, la spécificité de la production de la ferme réside dans les variétés soigneusement sélectionnées et maintenues par Fred, intarissable sur le sujet : lontan, big tana panachée, tahitensis, tamarin, et d’autres variétés aux noms tenus secrets permettent aux Morlot de se distinguer des cultures des îles presque entièrement acquises aux hybrides. Et de continuer à cultiver leur grain de folie sur les rives de la Méditerranée.

Les fleurs d’alpinia zerumbet, aussi appelées fleurs de la vierge, sont cultivées dans les îles pour leurs propriétés médicinales. Leur délicate saveur plaît également aux chefs qui commandent chez Les Arts Verts. © Thomas Louapre

5 commentaires

Close

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  1. Comme ce sont des plantes tropicales, elles consomment beaucoup d’eau.!
    Les Pyrénées orientales n’ont-ils pas un gros soucis d’eau ?
    Pourquoi vouloir produire des fruits et légumes au détriment du reste de la Nature ?

    1. Au detriment de la Nature? Cet homme ne fait pas au detriment de la Nature cet homme cultive la variete et la diversite. Cet homme protege des especes qui ont ete oublie par l industrie agroalimentaire, qui s’occupe sur les chiffres et non la vie… cet homme limite l impact carbone des plantes tropicales! Cet homme cultive les gouts et les papilles… Il est important de rester ouvert aux changements et a l evolution… ce qui ne veut pas forcement plus de techmologie, mais plus idee intelligentes… C’est un travail extra ordinaire de cultiver et de comprendre des plantes en dehors de leur environment et encore darriver a les faire fructifier! Merci a eux!

Recevoir le magazine

1 newsletter par quinzaine.
No pubs, Pas de partage de donnée personnelle

Oui ?

Recevoir le magazine

1 newsletter par quinzaine.
No pubs, Pas de partage de donnée personnelle