En 1976, un hurluberlu rallume le four à bois d’un petit village savoyard pour y faire du pain bio au levain, à contre-courant de l’essor de la baguette vite fait-mal fait née de la mécanisation du métier. Aujourd’hui, la recette n’a pas bougé d’un iota : de la farine, de l’eau, du sel et une patience à faire pâlir une seconde fois la mie industrielle.
Sur la route qui serpente à travers le Parc naturel régional des Bauges, bienheureux ceux qui décrocheront furtivement leur regard des cimes enneigées. Dans le village d’École, blotti sur ce massif savoyard, il faut ouvrir l’œil pour saisir la Boulangerie savoyarde, que les locaux et voyageurs avisés pénètrent désormais par l’arrière-boutique.
En 1976, l’établissement, pionnier du bio en France, propose son premier pain demi-complet à l’heure où les baguettes à mie blanche sont légion. Sa miche de 800 g n’a pas déserté la vitrine, ni le creux de l’avant-bras des clients, qui l’emportent toujours comme un nouveau-né.
Pierre, cheveux grisonnant et front fariné, met la main à la pâte depuis 3 heures du matin. Et depuis trente ans. Le four à bois ne refroidit pas du jour ni de la nuit, excepté le samedi, entretenu par son équipe de vingt gaillards. Chaque semaine, les flammes lèchent et parfument 10 tonnes de pain, fabriqué sans mécanisation industrielle malgré les quantités.
Les jeunes apprentis formés en CAP pour dompter les machines doivent ici réapprendre un tour de main, explique le boulanger. Il n’y a pas de tapis roulant autonome jusqu’au four, mais la pâte à sortir à bout de bras du pétrin, puis à diviser, peser et façonner à la main. Pas par folklore, mais pour mieux sentir la bête, dont la pousse est dictée par le levain maison, le même utilisé et entretenu depuis vingt ans.
À l’origine, c’est le fondateur de la boulangerie Patrick Le Port qui a instauré l’utilisation de ces levures sauvages, captées grâce à un simple mélange d’eau des montagnes environnantes, de farine et de sel non raffinés, riches en nutriments et minéraux. À l’appel de son ami Jean Hervé, réduisant déjà en purée ses oléagineux dans le feu moulin attenant, il rejoint l’association sur place destinée à véhiculer la macrobiotique. Pour compléter l’offre d’aliments sains, l’audacieux remet en fonction le four à bois du village quand partout l’électrique, le fioul ou le gaz signent leur destruction. Depuis, les hommes et le centre ont disparu, le four s’est agrandi, mais le flambeau n’a pas vacillé.
Les nourrices du levain
Malgré une production quatre fois plus importante qu’à l’époque (destinée en majeure partie aux magasins bio), travailler avec le vivant impose un tempo lent. Le pétrissage, moitié moins rapide que la normale, est actionné par un bras qui reproduit le mouvement humain (un équipement rare en France, déniché au Pays-Bas) : Pour éviter de maltraiter la pâte, de la charger en air. Le levain qu’elle contient lève au préalable cinq heures, contre deux à trois pour la levure boulangère : Pour développer les arômes.
Le patient levain entraîne une fermentation lactique qui transforme les amidons pour les rendre plus digestes.
Une fabrication express implique aussi d’utiliser des farines chargées en « améliorants », plus riches en gluten, pour supporter ces poussées éclair. Le patient levain entraîne quant à lui une seconde fermentation, dite lactique, qui transforme les amidons pour les rendre plus digestes. Mieux, il neutralise l’acide phytique, qui empêche d’assimiler les minéraux du pain.
Rien d’étonnant alors à ce que chacun veille au grain pour la survie de ce qui constitue l’essence du pain. Le levain est réalimenté en farine et en eau toutes les six heures, c’est son cycle, pose Nicolas, parmi les plus jeunes. Sans levain, il n’y a pas de vie. Il est prêt quand il a doublé de volume et qu’il rebondit encore, dit-il pendant que Pierre illustre en tâtant du bout des doigts la surface alvéolée, qui se meut aussi lentement qu’un oreiller en plume.
L’odeur acide qui s’en dégage tranche avec le dernier né contenu dans un bac proche, de dix heures son cadet. Ce n’est pas exclu qu’on puisse le perdre, s’il a trop froid, trop chaud, ou si on le délaisse trop longtemps, avertit-il. C’est un gros bébé qu’il faut entretenir, résume Laurent, vingt-cinq ans de maison. Au début des années quatre-vingt-dix, une farine défectueuse l’a fait sombrer, et il a fallu se fournir auprès d’un boulanger voisin pour relancer les fournées.
Rien ne sert de courir, il faut sentir le pain
Si l’emploi du temps est un protocole rodé depuis quarante ans, mener le pain est une affaire de sensation. D’abord pour « bouler » le pâton, lui transmettre l’énergie de gonfler encore avant la cuisson, grâce à un vigilant tour de main adapté selon la texture, le plus long à acquérir. Les recettes punaisées au mur ne musèlent pas les instincts des boulangers, attentifs aux réactions incertaines. Les levures se nourrissent de l’amidon du blé puis du gluten. Il faut enfourner avant leur second repas pour que la pâte ne retombe pas comme un soufflé, illustre Pierre. En été, avec la chaleur, elles sont en général bien plus agitées. On peut ralentir leur appétit en mettant la pâte dehors en hiver, ou au contraire en réchauffant l’atmosphère pour la booster. On avise selon, puisqu’on n’a pas de chambres de pousse contrôlées qui opèrent à notre place.
Même gestion complexe pour le four, qui doit longuement chauffer en amont. Rien d’instantané ni de constant. Sitôt le pain enfourné à 250 °, il absorbe progressivement la chaleur accumulée, cuisant à cœur au fur et à mesure que la température décline. Pour une seconde fournée, le boulanger doit compenser cette énergie transmise, en allumant un nouveau feu. Comme l’échange entre la force de la paume et le pâton, celle du levain face à la pâte, la chaleur du feu gonfle la mie et fait croustiller la croûte. Sans minuterie directive pour interrompre les festivités. Là encore, la cuisson juste relève des sens des boulangers, aux aguets depuis quatre décennies.
Bonjour,
Appétissant article qui donne l’eau à la bouche !
Toutefois, il n’est pas mentionné la(les) variete(s) de blé utilisee(s), et autres graines. Est-ce une production savoyarde ancienne ?
Bonne journée
Cordialement
C’est magnifique
Très bel article qui retranscris très bien la passion de ce boulanger qui exerce un magnifique métier et perdure les gestes ancestraux.
L’odeur de cuisson pourrait arriver jusqu’à nos narines si l’écran ne l’en empêchait pas…
Me donne envie de le rencontrer pour apprendre quelques gestes techniques ancestraux…..
Bonne continuation au boulanger…..et merci à la journaliste.
Superbe sacerdoce boulanger que celui de ce solide savoyard dont le pain manifestement pétri de passion et de sincérité fait s’animer les papilles, même à distance !
Mais en région parisienne également, dans les Yvelines plus précisément et à quelques encablures seulement de l’A13 et de la centrale électrique de Porcheville, un autre paysan-boulanger poursuit la même quête du Saint Graal de la panification à la ferme d’Heurteloup !
À découvrir sur place, dans la boutique parisienne du 9ème et déjà ici > https://vimeo.com/heurteloup
Gloire au vrai (et forcément bon) pain !
bonjour
c’est très intéressant,voir passionnant et dame santé doit être heureuse de consommer ce pain qui me semble délicieux.
je suis de Noisiel , où puis-je trouver ce pain pour en acheter ?
merci de votre réponse et belle journée à vous
Bernard
bernard.brunet@orange.fr