ll aime par-dessus tout le comté, fidèle à ses origines franc-comtoises. Mais Jérémy Guerinot, fromager de 25 ans, est aussi un adepte de raclette, qu’il fabrique depuis trois ans, dont un an et demi dans une ferme alsacienne. Nous l’avons suivi tout au long de sa journée dans son laboratoire de production, de la cuve à la cave… d’affinage.
La journée commence par l’arrivée du lait fraîchement récolté dans l’étable voisine. La cuve, prévue pour accueillir 500 litres du précieux liquide, se remplit peu à peu, jusqu’à ras bord. « C’est fou quand on y pense, tu pars avec du lait, tu ajoutes des ferments, des températures et tu arrives à quelque chose de très différent, tu obtiens du fromage. Moi ça m’épate. » A 25 ans, Jérémy Guerinot est un fromager qui adore son métier.
« Je suis salarié à la ferme Vogelgesang depuis un an et demi, détaille-t-il, je travaille avec Anne-Marie Jost, qui dirige la production, et son mari Thierry est en charge de l’exploitation depuis sa création il y a vingt-cinq ans. Anne-Marie s’occupe du magasin de vente directe, avec Sophie qui est salariée comme moi. Sophie fabrique les yaourts, assure l’empotage, la mise en bouteille du lait, la faisselle et les fromages frais ». Tout ce qui est produit ici est vendu directement dans le magasin de la ferme qui fait partie du réseau Bienvenue à la ferme, via les circuits-courts et en particulier les Ruches, et la coopérative.
Avant de s’atteler à la fabrication, Jérémy prépare son matériel, vérifie les moules qui tournent dans le lave-vaisselle. Tout doit être propre, incroyablement propre. « Chaque chose doit être à sa place aussi, indique le jeune fromager, pour que rien ne trouble la production ». Car une fois le processus lancé, il ne faut pas perdre un instant parce que les petits grains de lait cuit s’amalgament très vite pour devenir fromage. Mais n’allons pas trop vite. « Ce matin, j’ai 440 litres de lait, compte-t-il, avec ça, je vais faire six marcheurs, un cendré et deux tommes. Pour un marcheur il me faut cinquante litres, pour un cendré quatre-vingts litres et seulement vingt litres pour une tomme ». C’est parti !
D’abord, Jérémy commence à chauffer le lait avec les ferments. Dès que le lait atteint la température de 34°, au bout d’un temps de maturation de trente minutes, il ajoute la présure, qui fera durcir le lait. « On aboutit à ce qu’on appelle le gel, explique-t-il, ce gel que nous allons trancher en cubes d’environ 1 cm2 ». Un bras métallique, fixé sur la cuve, se met en action : ses râteaux tranchants coupent le gel, d’abord en gros morceaux, puis de plus en plus petits à mesure que le bras tourne à grande vitesse.
Le processus prend un peu de temps, ce qui en laisse, du temps, à Jérémy pour raconter son parcours. D’abord, une précision : « On dit que les gens qui vendent du fromage sont des fromagers, ça m’agace un peu, le fromager c’est celui qui fabrique du fromage. » Ceci étant dit, Jérémy n’a pas toujours voulu être fromager. « A la base, je voulais être laborantin, raconte-t-il, je me suis orienté vers une filière pour faire des analyses, et finalement je me suis retrouvé en BTS STA en spécialité produits laitiers, à l’Exil de Besançon-Mamirolle, dans le Doubs.
Pendant ces deux ans, je me suis trouvé une passion pour le fromage. C’est super intéressant parce que ça allie technique, science, dosage, ferments… » Après un an et demi passé dans une exploitation dans le Doubs, Jérémy apprend que la ferme Vogelgesang à Dorlisheim cherche un fromager. Ca tombe bien.
Faire du fromage demande de nombreuses qualités ! Apprivoiser les températures, le degré de maturité, les bactéries, la consistance idéale des grains de caillé… C’est aussi physique ! Pour évacuer le petit lait, ou sérum, Jérémy déploie son énergie à coup de seaux. « Je prélève le sérum pour le remplacer par la même quantité d’eau, afin d’équilibrer en supprimant du lactose, explique-t-il en versant le contenu des seaux dans une canalisation spéciale au bord de son laboratoire. Le sérum ira rejoindre l’auge des cochons qui se régalent de ce liquide. En veillant aux mouvements du bras mécanique, Jérémy plonge la main dans la cuve pour tester l’avancée du caillé. « On pourrait tout automatiser, mais le fromage reste un produit vivant, qui évolue dans le temps, c’est moi qui le fait vivre ! » Le caillé est prêt : les grains ont à peu près la taille d’un grain de maïs. Le caillé tombe au fond de la cuve, il est temps de le verser dans les moules.
A la ferme Vogelgesang, Jérémy a les coudées franches pour transformer le lait des vaches de l’exploitation en fromage. Sa préférence va vers la raclette. « C’est un fromage que je connais bien. J’aime bien en manger aussi mais surtout le fabriquer. Une bonne raclette doit être faite avec du lait cru, c’est la base de tout. Le lait cru apporte un goût supplémentaire de prairie… » Chez Vogelgesang, la raclette se fait avec du marcheur, une belle pièce faite avec cinquante litres de lait, laissée nature ou aromatisée au poivre, au cumin ou… à la tomate, la dernière création de Jérémy. « On cherchait à donner à la raclette un petit air estival, la tomate c’est venu comme ça. Il faisait beau. J’ai testé une version tomate olive mais ça ne marchait pas. La tomate ça reste un ingrédient que beaucoup de gens aiment ». Ces essais, Jérémy apprécie de pouvoir en faire. « Ca fait partie du boulot, ça permet de développer la gamme… »
La chaleur monte dans le laboratoire. Une grande fenêtre vitrée donne sur le magasin de la ferme, pour permettre aux visiteurs et acheteurs de voir Jérémy en pleine fabrication. « C’est convivial, et ça permet d’être plus proche des clients », estime le fromager qui en a terminé avec sa matinée de travail : les moules sont tous remplis, la masse de fromage s’est amalgamée à toute vitesse, tandis que le petit lait s’échappe par un trou de la table en inox. Chaque fromage est bien emballé dans son tissu de coton, Jérémy ajoute une planche sur chacun d’eux, et un poids pour bien les former. Là, le temps fait son œuvre…
Après la pause de midi, Jérémy met de la présure dans des seaux de lait pour les fromages frais qui seront confectionnés le lendemain par Sophie. De retour dans son laboratoire, il retourne les fromages du jour pour les aider à prendre leur forme de beaux rectangles lisses. Une descente à la cave s’impose, pour vérifier la maturité des stocks. Chaque série doit être marquée du jour de fabrication avec un outil spécial qui creuse des chiffres dans la tranche du fromage. Et chaque meule doit être retournée, frottée de sel dès le lendemain de la fabrication, « pour donner du goût, récupérer l’eau et ainsi sécher le fromage et en faire une protection tout autour ». Avant de rejoindre la cave, les fromages sont lavés avec une solution salée contenant des ferments d’affinage et passent trois jours dans une « pré-cave » pour sécher. Enfin, leur séjour en cave dure plus ou moins longtemps selon l’âge qu’on veut leur donner.
Installé dans une chambre à part, le fromage fermier nécessite un tout autre traitement : il est lavé, un peu comme les munster, ces fromages typiquement vosgiens à croûte lavée qui font des ravages dans les cœurs des gourmands.
Juste avant de partir, à la fin de sa journée à la ferme, Jérémy retourne une dernière fois les fromages moulés le matin même. Le lendemain, il les démoulera pour les entreposer dans la cave. Certains soirs, il livrera lui-même ses fromages. « Et le plus formidable, c’est quand on me dit que les fromages sont bons. Là, c’est quand même… génial ! »
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