Les preuves scientifiques sont irréfutables. Pourtant, elles ne sont pas appliquées pour minimiser les conséquences des pesticides. Les premières études animales, dans les années 1990, ont mis en évidence des problèmes hormonaux ou démographiques dus à l’exposition environnementale aux substances toxiques généralement contenues dans ces intrants. Une relation extrapolable à l’humain, à travers l’exposition alimentaire.
En 2010, l’association française « Générations Futures » a analysé les aliments courants consommés par les enfants tout au long de la journée. Intitulée « Menus toxiques », l’étude a révélé « 128 résidus chimiques par jour, dont 36 pesticides différents, 47 substances suspectées d’être cancérigènes et 37 perturbateurs endocriniens », tous alors autorisés.

Quelques années plus tard, en 2023, une étude de l’INMA (Childhood and Environment) publiée en Espagne révélait la présence d’importantes quantités d’insecticides dans l’urine de garçons et de filles de moins de 12 ans. Elle allait plus loin en démontrant que l’exposition infantile aux pesticides est liée à une probabilité accrue de puberté précoce, avec les premiers symptômes à 8 ans.
Ces analyses nationales s’ajoutent à d’autres de nature européenne, comme la biosurveillance de l’exposition humaine dans 5 pays, qui s’est déroulée entre 2014 et 2021 et a montré que 84% de la population européenne présentait des traces d’au moins deux pesticides dans ses urines.
Cela montre que des résidus de pesticides systémiques passent dans les aliments. Ces produits chimiques, une fois appliqués sur la plante, soit directement sur les feuilles, par l’irrigation, soit par injection dans le tronc, se diffusent dans toute la plante, atteignant les feuilles, les tiges, les racines, les fleurs et les fruits. Autrement dit, si vous mangez une pomme issue de l’agriculture conventionnelle, il importe peu de la peler ou non. Seuls les pesticides de contact, qui restent en surface, ou les fongicides post-récolte destinés à prévenir la détérioration de la qualité, rendent l’épluchage et le lavage judicieux.

Les perturbateurs endocriniens modifient le message hormonal
Il existe toute une théorie fondée sur des données scientifiques selon laquelle les produits agrochimiques agissent comme des perturbateurs endocriniens. L’UE elle-même a reconnu ces risques dans sa réglementation depuis 1999 et les a expliqués en détail dans ce rapport de 2019.
Lorsque nous ingérons des aliments contenant des pesticides, des molécules artificielles, l’organisme ne les reconnaît pas et la ségrégation hormonale est déséquilibrée. Les hormones étant les messagers qui, par le sang, relient un organe à un autre, elles commencent à envoyer des messages erronés, ou à des moments inopportuns, comme lors d’une puberté précoce. D’autres pathologies, comme l’infertilité, l’endométriose, l’obésité et les problèmes de thyroïde, peuvent également être à l’origine de ces maladies, sans compter leurs effets importants pendant la grossesse, car elles peuvent traverser le placenta et atteindre le fœtus.
D’autres organisations environnementales comme Greenpeace, dans un rapport de 2015, ajoutent à la liste « des risques de retard du développement cognitif, de troubles neurologiques et immunologiques, ainsi que de certains types de cancer ». Toujours en 2015, l’OMS a classé le controversé glyphosate comme « cancérigène probable », le produit agrochimique le plus utilisé au monde, qui a fait l’objet de milliers de poursuites judiciaires liant l’herbicide Roundup au cancer. Et des études continuent de paraître après 20 ans, comme la plus récente, publiée en juin 2025, qui établit l’exposition au glyphosate, dès la phase prénatale, et une augmentation significative des taux de cancer chez le rat, même à des doses considérées comme « sûres » selon la réglementation européenne en vigueur.
Enfin, selon les informations de l’ONU elle-même, l’utilisation de pesticides est à l’origine « d’environ 385 millions d’intoxications accidentelles non mortelles et d’environ 11 000 décès dans le monde », dont beaucoup concernent les agriculteurs exposés quotidiennement aux pesticides. La Conférence internationale du Travail a reconnu en 2022 que la santé et la sécurité au travail étaient un principe et un droit fondamentaux ; un droit bafoué au vu de ces données alarmantes : à l’échelle mondiale, « on estime qu’un travailleur meurt au moins toutes les 30 secondes des suites d’une exposition à des pesticides dangereux et à d’autres produits chimiques toxiques ».

Une responsabilité politique en suspens
À la lumière de toutes ces preuves scientifiques et de l’augmentation des maladies, la Commission européenne a pris sa responsabilité politique en la matière et a lancé le Pacte vert (PVE) en 2019. L’objectif général pour 2025 était d’atteindre la neutralité climatique, qui consiste à équilibrer les émissions de gaz à effet de serre, et incluait, entre autres mesures pour y parvenir, l’urgence « d’agir contre les conséquences des pesticides sur l’environnement et la santé ».
Dans le domaine agricole, l’une des initiatives clés de ce Pacte vert a émergé : la stratégie « Farm to Fork » (de la Ferme à la Fourchette), qui visait à rendre l’ensemble du système alimentaire de l’UE durable d’ici 2030, en s’appuyant sur 3 points clés :
- augmenter la part de l’agriculture biologique de 8,5% à 25%,
- réduire l’utilisation d’engrais de 20 %,
- et, surtout, réduire de moitié l’utilisation de pesticides chimiques. Ce dernier objectif a été fixé dans le projet de règlement sur l’utilisation durable des pesticides (SUR), qui prévoyait également l’interdiction de tous les pesticides dans les zones sensibles, telles que les espaces verts urbains et les zones Natura 2000.
Enfin, les fonds de la nouvelle Politique Agricole Commune (PAC) devaient compenser les agriculteurs pour les coûts de mise en œuvre de cette stratégie.

La feuille de route était claire et promettait un véritable changement systémique. Si le pourcentage écologique des terres agricoles totales s’est amélioré, atteignant 10,4 % en 2024, l’objectif de réduction de moitié des pesticides chimiques est au point mort. Sous prétexte de répondre aux protestations des agriculteurs en février 2024, la Commission européenne a proposé le retrait du projet de règlement sur l’utilisation durable des pesticides (SUR).
Appelant à la nécessité de « davantage de dialogue et d’une approche différente », la Commission européenne a ensuite constitué un comité d’experts indépendants représentant divers acteurs de la chaîne agroalimentaire. De ce processus de réflexion est né, en septembre 2024, le Dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture dans l’Union européenne, assorti d’une série de recommandations non contraignantes. La Présidente Von der Leyen s’est engagée à les « examiner attentivement » et à les prendre en compte dans la Vision pour l’agriculture et l’alimentation pour les quatre prochaines années, de 2025 à 2029.
Cependant, tant le rapport du Dialogue stratégique que la récente Vision marquent un recul sur la question des pesticides, malgré les conséquences évidentes de ces produits chimiques, non seulement sur la santé, mais aussi sur l’environnement, comme la dégradation des sols, la pollution de l’eau et de l’air, et la perte de biodiversité. Aucun des deux documents ne mentionne le Pacte vert pour l’Europe (PVE) ni le Règlement sur l’utilisation durable des pesticides (SUR), pourtant piliers fondamentaux vers un monde sans pesticides et sans leurs conséquences pour les nouvelles générations.

Comme l’affirment certains scientifiques, « ce sont les entreprises qui vendent ces pesticides qui doivent prouver leur innocuité, et non les scientifiques qui, une fois les dégâts causés, doivent prouver leur dangerosité ». Ils ajoutent que si une industrie, comme celle des pesticides, est concernée par une éventuelle réglementation*, « elle ne devrait pas être présente à la table des décisions politiques ».
Aucun commentaire
Close