Cet été, la loi Duplomb a été projetée à l’avant de l’agenda médiatique, questionnant sur l’avenir du monde agricole. Entre stratégies pour faire passer la proposition de loi, pétition et censure partielle par le Conseil constitutionnel, le scénario était digne d’une pièce de théâtre. La loi Duplomb a maintenant été promulguée par le Président de la République, mais que pouvons-nous en retenir pour la scène agricole française ?
Une loi critiquée
Cette loi “visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur” peut sembler être une bonne idée pour cette profession qui fait face à une crise depuis plusieurs années. Cependant, pour répondre à la racine du problème, il faudrait réussir à leur garantir un revenu décent et une protection contre la concurrence déloyale et le contrôle des intermédiaires, tout en prenant des mesures adaptées pour les exploitations touchées par des événements liés au dérèglement climatique.
Hors, cette loi ne propose pas de protections directes. Une question se pose alors, qui donc en profite ? Notamment soutenue par le FNSEA, un syndicat qui défend une agriculture productiviste et intensive, la loi Duplomb privilégie l’agro-industrie et les fermes usines, plutôt que les petits producteurs. En plus d’être inégal, ce modèle n’est pas durable puisqu’il s’oppose au respect des sols et à la préservation des ressources.

Concrètement, plusieurs articles sont considérés comme problématiques par la communauté scientifique. Cette loi prévoyait la réautorisation de plusieurs néonicotinoïdes, surnommés “tueurs d’abeilles”. Utile principalement pour la filière de la betterave et la noisette, les Français ont entendu le nom d’un insecticide en particulier cet été : l’acétamipride. Ce dernier est un danger pour les pollinisateurs, même en faible quantité, et présente de nombreux risques potentiels pour la santé humaine, comme des effets cancérogènes.
La possibilité de cette réintroduction est de loin la mesure qui a le plus fait parler d’elle auprès de l’opinion publique, sans doute au dépend d’autres articles tout aussi critiqués par les scientifiques. En effet, d’autres dispositions sont tout aussi inquiétantes. La loi Duplomb a également pour objectif de faciliter les projets de stockages d’eau, comme l’installation de méga-bassines, déjà très controversées. La construction ou l’agrandissement d’élevages intensifs sera simplifié, polluant ainsi encore plus leurs alentours.
Un mouvement citoyen historique
Le 10 juillet, l’étudiante Eléonore Pattery, inconnue du grand public et hors des cercles militants, lance une pétition sur le site de l’Assemblée nationale. Elle commente cette initiative en évoquant les rapports du GIEC, de l’OMS, de Santé Publique France et bien d’autres. Pour elle, cette loi est une aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire. Son message se conclut ainsi : “aujourd’hui je suis seule à écrire, mais non seule à le penser”. Sa popularité lui donnera raison.

Cette pétition réclamant l’abrogation de la loi a réuni plus de 2,1 millions de signatures en moins d’un mois. Il s’agit donc de la deuxième pétition la plus signée de France, après celle de “l’affaire du siècle”, contre l’inaction climatique de l’État, qui compte plus de 2,3 millions de signatures. L’ampleur qu’a prise cette pétition témoigne de la volonté de préserver notre environnement et notre santé tout en soutenant les petits producteurs. Ce mouvement a été inédit, car il a rassemblé les scientifiques, l’Ordre des médecins, les militants écologistes, les restaurateurs tout comme les citoyens lambdas.
Censure partielle et victoire à nuancer
Indépendamment de la pétition, le Conseil Constitutionnel a rendu sa décision le 7 août. Cette instance composée de 9 membres peut être saisi par des parlementaires suite au vote d’une loi, pour veiller à la conformité des lois avec la Constitution. La loi a été partiellement censurée, en considérant notamment que certains articles portaient atteinte au principe de précaution et aux droits fondamentaux à la santé et à un environnement sain, découlant de la Charte de l’environnement. La réintroduction de l’acétamipride est par ailleurs concernée, pour “faute d’encadrement suffisant”. Cette censure juste reste à savourer.

Cependant, le 11 août la loi Duplomb est promulguée, rendant officiel les autres mesures. Bien que le retour des néonicotinoïdes ait été supprimé, des questions éthiques autour des pesticides continuent de se poser. En effet, l’interdiction d’être à la fois conseiller et vendeur de pesticides prend fin. Concernant l’élevage, cette loi va permettre l’essor des méga-exploitations. Une autorisation pour la création ou l’agrandissement de bâtiments d’élevage ne sera nécessaire qu’à partir de 85000 poules contre 40000 aujourd’hui, et de 3000 porcs contre 2000 aujourd’hui. La France est pourtant déjà le deuxième pays d’Europe en matière d’élevages intensifs et compte plus de 3000 exploitations de ce type. La pollution de l’air et de l’eau sont des conséquences bien connues de ces élevages, sans parler du bien-être animal. De plus, cette loi vient affaiblir la consultation des riverains sur ces installations. Enfin, les projets de stockage d’eau agricole, incluant les méga-bassines, seront bel et bien simplifiés. Ces projets sont problématiques car ils privent les écosystèmes environnants d’une ressource vitale, en empêchant l’eau de pluie d’infiltrer les sols ou de ruisseler alors même que l’eau devrait être considérée comme un bien commun. Ces méga-bassines reposent également sur des opérations de pompage en hiver, dans des cours d’eau ou des nappes phréatiques. Leur efficacité est tout autant critiquée, puisque l’on mesure les pertes liées à l’évaporation pour ce genre d’ouvrage entre 20% et 60%.
Face à cette loi qui met en péril l’avenir des petits producteurs, la qualité de l’eau et des sols, le meilleur à faire est de continuer à être défenseur d’un modèle plus durable, qui soutient les agriculteurs et éleveurs locaux. En effet, chaque individu est acteur, par les choix qu’il effectue pour sa consommation alimentaire. Il est possible de privilégier un modèle agricole soutenable, qui respecte les saisonnalités et évite les intermédiaires.
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