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Jade Lindgaard : l’écologie qui marche

Auteure du livre Je crise climatique, journaliste chez Mediapart, militante écologiste, Jade Lindgaard organise également des sorties touristiques d’un nouveau genre : les Toxic tours. Ou comment faire prendre conscience des enjeux climatiques de demain par des promenades sur le terrain. Visite.

 

Nous avons rencontré Jade Lindgaard un dimanche après-midi de février– il y a tout juste un an. Nous nous trouvions alors, avec une cinquantaine d’inconnus, à la sortie de la station de métro La Courneuve, dans la banlieue Nord de Paris. Comme eux, nous venions participer à une balade organisée par une association énigmatique, Toxic tour détox 93, dont nous avions découvert par hasard l’existence en nous baladant sur Facebook

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A l’heure précise du rendez-vous, une jeune femme à l’air doux s’est emparée d’un mégaphone : « Merci d’être venus à ce nouveau Toxic tour Détox 93 consacré aux data centers de La Courneuve [ce sont des centres de stockage des données produites sur le web, ndlr]. Aujourd’hui nous allons découvrir et parler de ces entrepôts géants qui consomment une énergie incroyable et créent une vraie nuisance pour les riverains. Un gros data center, c’est la consommation électrique d’une ville de 20.000 habitantsLa Courneuve et les villes voisines du 93 concentrent 10% des data centers de France. En dehors de tout débat public… »

C’était Jade, un « guide touristique » un peu particulier, qui nous a expliqué être spécialisée dans les lieux pollués de Seine-Saint-Denis. Pendant près de deux heures, elle nous a ainsi guidés à travers les rues et les zones industrielles de La Courneuve, sur la trace invisible mais bien réelle, de la pollution engendrée par l’essor du web.

Au cours de cette marche, la militante a longuement expliqué les conséquences environnementales mais aussi fiscales et sociales – ce qui était plus inattendu-, engendrées par cette nouvelle activité économique : saturation des réseaux électriques au détriment des résidents, effondrement de la taxe pro en raison de l’automatisation des tâches, effondrement de la valeur des biens immobiliers voisins, etc.

A ses côtés, des habitantes témoignaient, au micro, de leur quotidien au voisinage immédiat d’un data center, de leurs préoccupations ou interrogations. C’est d’ailleurs en les croisant en 2013, au moment où les premières « fermes de serveurs » géantes sortaient du sol, que Jade Lindgaard a eu envie d’agir : « C’était la première fois que je rencontrais des habitants mobilisés, qui se demandaient ce qui se passait dans leur quartier. Et comme je savais par ailleurs que le sujet des data centers était sérieux, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. » Restait à trouver la bonne manière – en dehors des traditionnelles conférences militantes qui n’attirent que les convaincus.

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Le mouvement mondial des Toxic tours. C’est la philosophe écolo Emilie Hache, une amie de Jade, qui lui a soufflé  l’idée des « Toxic tours » dont elle enseignait l’histoire à la fac. Les « Toxic tours » ? Le phénomène protestataire est né dans les années 90 aux États-Unis dans des quartiers pauvres qui un jour se réveillaient avec des décharges industrielles clandestines, des sous-sols pollués en douce aux métaux lourds et des maladies « exotiques » en pagaille. Aujourd’hui, le mouvement s’est répandu dans le monde entier, Brésil, Bolivie, Afrique du Sud, etc. Le mode opératoire est toujours le même : des habitants révoltés par la passivité – ou la complicité – des pouvoirs publics et des médias locaux, organisent des excursions dans les lieux pollués afin de mobiliser leur quartier et d’attirer l’attention.

C’est ainsi que Jade Lindgaard, journaliste chez Mediapart, la philosophe Emilie Hache, le pasteur protestant (et ancien responsable des jeunes chez les Verts) Stéphane Lavignotte et Mathieu Glaymann, ancien élu Les Verts et associatif multicauses dans le 93, ont lancé à l’automne 2014 les Toxic tour détox 93, afin de « faire ensemble l’expérience concrète d’un cadre de vie pollué », indique Jade. « Marcher le long d’une autoroute en pleine ville, d’un quartier voisin d’un aéroport, c’est parlant. Ensemble, on est moins seul, on constate plus facilement un problème, on peut en parler… » Idéal aussi quand on veut faire se rencontrer, en dehors des réseaux militants, des habitants de quartiers populaires en général peu informés et sensibles aux sujets environnementaux.

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Depuis 2014, les quatre amis ont organisé des marches dans différents endroits du 93. Autour d’un ancien abattoir situé en pleine ville, dont la fermeture a posé le problème de la dépollution des sols ; le long de l’A1, une autoroute urbaine qui fait passer tous les jours 200 000 voitures sous les fenêtres de centaines  d’habitants ; du triangle de Gonesse, une zone de 100 ha de terres agricoles du 93 bientôt transformées en centre commercial, le fameux EuropaCity ; autour de l’aéroport privé du Bourget, symbole d’une pratique d’hyper riches qui polluent l’environnement des territoires les plus pauvres d’Ile-de-France… Ils ont aussi reçu des militants emblématiques comme, en septembre 2015, le new-yorkais Kali Akuno, ancien détenu devenu travailleur social et qui a coorganisé en septembre 2014 une manif écolo monstre dans les quartiers noirs de la grande Pomme.

A nos morts

De l’écologie à la justice environnementale. Evidemment, l’Etat d’urgence a mis un léger coup d’arrêt aux Toxic tours Détox 93. Les manifestations prévues dans le cadre de la COP 21 organisée au Bourget – un aéroport du 93, on le rappelle – ont dû être annulées, enrayant un peu la dynamique de départ. Mais il y a des signes encourageants : en octobre 2015, la justice a annulé l’arrêté préfectoral qui autorisait l’exploitation du fameux data center de La Courneuve, celui que nous avions découvert quelques mois plus tôt. Et de nouvelles balades sont prévues pour le printemps, autour de causes toujours locales, toujours environnementales et toujours sociales.

« Ce qui compte, explique Jade, c’est à chaque fois de faire le lien entre inégalités environnementales et inégalités territoriales. » Un sujet de fait très sensible dans le 93 : « En 2003, lors de la canicule qui fît 15 000 morts en France, la Seine-Saint-Denis fut le deuxième département le plus touché. La surmortalité y fut plus forte qu’ailleurs, pour un ensemble de raisons que les pouvoirs publics sont toujours en train d’analyser plus de dix ans plus tard : mauvaise qualité de logement, échec de la diffusion de l’information, vulnérabilités de santé… »

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Cette convergence des préoccupations est d’ailleurs à l’image de celle qu’elle a personnellement vécue. Militante altermondialiste préoccupée de politique et de sujets sociaux, elle dit être « venue à l’écologie en 2005, avec l’ouragan Katrina. J’ai alors découvert qu’un événement lié au réchauffement climatique était connecté à des questions sociales. »

La lecture en 2007 du rapport du Giec mais aussi le visionnage du film d’Al Gore finissent de la convaincre que le climat lie définitivement les enjeux écologiques aux enjeux politiques, sociaux et géopolitiques. Puis, dans les années 2010, elle a découvert le concept de justice environnementale. « Tout d’un coup, mes sujets de prédilection se sont raccordés à la nature.  Avant, je disais des horreurs sur l’écologie. Je pensais que c’était une préoccupation de privilégiés. » Depuis, elle en est certaine, les mouvements sociaux ont fait leur jonction avec la cause environnementale. Un symptôme de notre entrée dans l’anthropocène, dont elle s’attache à montrer et à combattre les effets à hauteur d’homme, dans « son » 93.

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A lire pour poursuivre…
Emilie Hache, Ce à quoi nous tenons. Propositions pour une écologie pragmatique, Ed. La Découverte.
Jade Lindgaard, Je crise climatique, Ed. La Découverte.

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