Le monde agricole va mal. Une crise qui annonce la fin d’un cycle ? Hervé Pillaud*, éleveur, militant actif de la cause agricole, en est convaincu. Pour lui, l’agriculture doit se réinventer et passer par les fourches du numérique. Internet est dans le pré et il s’agit de ne pas le laisser filer. Rencontre autour de son nouveau livre, Agronuméricus.
En 2015, dans notre société le numérique est partout. Peu de secteurs peuvent s’en passer. Il en est de même pour l’agriculture ?
Hervé Pillaud : Si l’on raisonne en termes d’usages du numérique, le monde agricole est bien positionné. Il y a dans notre métier plein de nouveaux logiciels, d’applications, de drones, de robots, de capteurs sur les animaux et les machines. C’est un secteur plutôt high tech qui ne s’arrête jamais d’innover. Tenez, vous connaissez le programme Farmstar ? Il nous donne des indications très fines sur nos parcelles via le satellite en fonction des caractéristiques du champ et de l’état de la végétation. Aujourd’hui, l’informatique embarquée est le nouveau must have des agriculteurs.
Grâce à ces outils, les agriculteurs collectent aujourd’hui énormément de données, qu’en font-ils ?
HP : Vous mettez le doigt là où ça fait mal. Aujourd’hui, on récolte une masse considérable de données mais on n’en fait pas grand chose. Le big data dans le milieu agricole, ça fait peur. On craint de se voir dépossédé. Pourtant, si on libérait les données des pratiques agricoles des agriculteurs qui cultivent autour des captages d’eau potable par exemple, on pourrait, entre autres, mettre en oeuvre des algorithmes permettant à la population de suivre de façon simple, transparente et pédagogique nos évolutions. Nous couperions ainsi court à toutes les supputations et interprétations. On a plein de données, partout. Il va falloir qu’on les regroupe pour optimiser les usages. Il y a urgence à créer une plateforme des données de l’agriculture.
Mais les paysans ont la réputation d’être un peu perso, chacun dans son champ. Sont-ils prêts à mettre en commun leurs données ?
HP : L’agriculture a longtemps été un modèle collaboratif, coopératif. Même si le temps a un peu remis en cause ces valeurs, elles sont toujours bien présentes. Les agriculteurs sont méfiants parce qu’ils sont pragmatiques. Si on leur explique l’intérêt de partager leurs données, ils le feront. Cela nous permettrait notamment d’anticiper et de gérer collectivement les risques, qu’ils soient sanitaires, climatiques, économiques ou environnementaux. C’est énorme. Nous ne devons laisser à personne d’autre la maîtrise de ce domaine. Il ne faut pas que les grands groupes s’en saisissent avant nous. Néanmoins, nos entreprises sont trop petites pour aborder individuellement ce domaine, c’est donc de la responsabilité des organisations professionnelles de s’en saisir.
Depuis quelques mois, on voit fleurir les food hackathons, les farmlabs, le monde du numérique s’intéresse désormais à l’agriculture ?
HP : Nous avons la chance de faire un métier qui intéresse tout le monde. Il suffit de proposer aux pros des nouvelles technologies de le faire avec nous. Les challenges qui nous attendent ces prochaines années vont demander un investissement considérable en termes d’innovations (nourrir 9 milliards d’êtres humains, préserver le climat…), il faut qu’on décloisonne l’agriculture, qu’on aille voir ailleurs, qu’on s’inspire les uns les autres. Le crowsourcing peut nous aider. Les designers, les créatifs et tous ceux qui fréquentent les bar camps et autres rassemblements innovants ont une nouvelle approche de la R&D. Ils sont capables de passer de l’idée à l’offre d’une autre façon. Nous avons beaucoup à apprendre d’eux.
Page 151, vous annoncez que le marché devient glocal par le numérique, ça veut dire quoi ?
HP : Le marché est glocal parce que le monde est devenu un village mais il doit être appréhendé par une approche très locale. Le consommateur exige la meilleure traçabilité des produits quel que soit l’endroit où il se trouve dans le monde. Le numérique permettra d’établir un lien digital entre le producteur, les différents maillons de la filière et le consommateur. Aujourd’hui, nous sommes trop souvent absents de la promotion de nos produits et quand nous sommes présents, c’est au profit de l’enseigne qui nous commercialise. Nous devons repenser la communication de nos produits et surtout nous en saisir. Les réseaux sociaux sont un magnifique haut parleur et le consommateur a besoin de créer des liens avec celui qui façonne sa nourriture.
Dans votre livre, vous expliquez que le numérique pourrait aussi faciliter vos finances, c’est-à-dire ?
HP : Jusqu’à présent, le financement de l’agriculture était patrimonial et l’acquisition de l’outil de travail par capitalisation était un des fondamentaux de l’agriculture française. Les choses changent. Les agriculteurs sollicitent désormais leurs communautés pour se financer. Le crowdfunding progresse aujourd’hui, tout comme le micro-crédit dans certains pays. Le numérique simplifie largement les procédures et les échanges et, de fait permet une vulgarisation de ces pratiques.
Aujourd’hui, l’agriculture comme le reste de la société est en train de migrer d’une économie de la propriété à une économie de fonctionnalité. A terme, on imagine facilement que le paysan ne sera bientôt plus propriétaire de son tracteur mais seulement locataire. Là aussi, internet devrait faciliter ces nouveaux usages. Enfin, je suis sûr qu’à terme, on aura notre place dans le paysage des monnaies alternatives.
Puisque le numérique permet de sauver l’agriculture, qu’est-ce qu’on attend pour foncer ?
HP : Il y a de l’évangélisation à faire, il faut dépoussiérer nos organisations. Les agriculteurs restent encore très observateurs. Seul un agriculteur sur 5 qui va sur les forums interagit réellement. Avec le numérique, on a une opportunité de donner une vraie image de ce que l’on est. Il faut faire changer les esprits. Cela dit, j’y crois. Cet été, avec la sécheresse et la crise que traverse l’élevage, j’ai vu un paquet d’agriculteurs se mettre à Twitter.
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* Hervé Pillaud est agriculteur, secrétaire général de la chambre d’agriculture et vice-président de la FDSEA de Vendée. Militant actif de la cause agricole, il tente de se projeter dans la société du futur. Il vient de publier Agronuméricus aux éditions de la France Agricole et a 3875 abonnés sur Twitter.
Agronumericus, c’est aussi : un site internet : http://www.agronumericus.com/, une page Facebook et un compte Twitter.
Hervé Pillaud, vice président de la FDSSEA de Vendée : « Il y a de l’évangélisation à faire, il faut dépoussiérer nos organisations. » Voilà ce que je retiens de cet article. « Dépoussiérons la FNSEA! »
Je n’arrive pas à comprendre comment un syndicat agricole peut être représenter par un agro-businessman. (C’est le cas de Xavier Beulin, si j’en crois certaines gazettes). Comment la majorité de mes collègues ont pu choisir d’être représenté par quelqu’un qui leur ressemble en bien peu de chose. Certes, il y a d’autres agro-businessman parmi les agriculteurs mais la loi du nombre n’aurait pas dû permettre que ce choix là sorte des urnes. Si?! Quel est le processus démocratique à l’œuvre? Peut-être pouvez-vous nous éclairer sur le sujet, monsieur Pillaud?
Hi, good article,
What are the current open-data inicitiatives regading food and agriculture?
J’ai lu dans XXI que Mossanto voulait justement être le numéro 1 en matière de numérisation de l’agriculture… il y a quelque chose de louche là dedans je vous le dis!
Heu… c’est quoi les food hackathons, les farmlabs, … ? J’ai arrêté de lire l’article.
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