La ferme est située dans le Thymerais Drouais, une belle région située aux confluents de la Normandie, du Perche, de l’Ile de France et de la Beauce. Un territoire mal connu, considéré de loin comme la Beauce, car on y retrouve un modèle agricole céréalier basé économiquement sur le marché mondial et sur l’export de céréales.
À quelques encablures de Dreux, pourtant, deux frères ont décidé de revenir sur la ferme de leurs parents pour écrire une histoire toute différente. Adrien et Benjamin sont jeunes trentenaires et comptent bien apporter leur petite graine pour semer l’avenir. Ils s’installent sur une cinquantaine d’hectares et les certifient bio directement. Ils font les investissements nécessaires pour installer un fournil ainsi qu’un moulin sur l’exploitation. Avec ce projet, ils ont l’ambition de fabriquer un grand pain paysan, à l’ancienne, cuit au four à bois, et surtout, pouvoir en vivre.
Vivant ces dernières années dans le Jura, Benjamin découvrît le métier de boulanger et prît goût aux longs hivers passés devant la chaleur du four à bois – four qu’il avait lui-même construit. Car en plus de façonner les pains, il aime inventer ses propres outils et ce talent s’exprime partout dans l’atelier. La pâte est trop dure à pétrir ? Aucun souci, Benjamin convertit un malaxeur à béton en auxiliaire de boulangerie ! Il est fastidieux de répartir jaune d’œufs sur les brioches de façon homogène ? Pas de problème, Benjamin détourne un spray mécanique pour remplacer le traditionnel pinceau !
Adrien, avec sa formation d’ingénieur agricole, a passé plusieurs années à conseiller de grandes exploitations biologiques en Haute Normandie, en Alsace et dans le Rhône. Il a également rencontré de nombreux agriculteurs innovants et spécialiste sur l’agriculture de conservation, les semences paysannes, l’agroforesterie… Une fois le sac rempli de projets, une seule envie le motivait : les mettre en place sur sa ferme ! A force d’accompagner et de constater des réussites écologiques, il avait lui aussi acquis la volonté de mener la sienne. Petit à petit, au fil des discussions avec son frère, ils décidèrent de revenir sur la ferme familiale. L’ancienne bergerie, qui n’était plus utilisée à des fins agricoles, semblait toute indiquée pour la création d’un atelier du grain au pain avec un fournil moderne. Fin 2012, les deux frères s’installent pour de bon.
Il y a quelques mois, une troisième personne les rejoignit. Elle s’appelle Hélène. Biologiste de formation, infirmière reconvertie, elle entend poursuivre son rôle social en offrant de l’alimentation saine plutôt qu’en accompagnant des malades. Dans le trio, sa spécialité se fera sur la partie boulange commercialisation. Vente à la ferme ou AMAPs, le contact direct avec les clients la passionne.
Un mot, tout de même, sur le fameux pain. La Rolls Royce du pain. Toutes les miches lèvent grâce au levain naturel et sont issues de farines moulues à partir des céréales de la ferme : blé, petit épeautre, seigle et sarrasin. Les pains rustiques pèsent jusqu’à trois kilos et se conservent près d’une semaine. Benjamin résume l’ambition : « on cherche à retrouver le pain-aliment, à l’ancienne, celui qui nourrit en une seule tartine ! »
C’est un travail à l’ancienne, certes, mais un travail qui ne se satisfait pas du statu quo pour autant. Le trio est en liaison permanente avec les chercheurs de l’INRA pour faire progresser la discipline. La première partie concerne la sélection variétale, qui devrait permettre d’obtenir de meilleurs blés, bien adaptés au terroir et à l’agriculture biologique, tout en offrant les meilleures qualités pour le travail du boulanger. C’est pourquoi sur la ferme on peut trouver une vingtaine de micro-parcelles de quinze mètres carrés chacune, où poussent des blés plus ou moins hauts, plus ou moins barbus. Dans la région Centre, c’est le plus grand essai scientifique de ce genre. Par ailleurs, l’INRA mène des analyses microbiologiques sur les levain dans l’objectif de mieux comprendre leur fermentation. Le dernier rapport fait d’ailleurs état d’une bactérie spécifique au levain de l’Orvillier. Hélène s’exclame : « D’où provient elle ? Des blés, de la terre, de nos mains ? Personne ne sait encore ! » Les recherches se poursuivront jusqu’à percer le mystère.
Le projet Fermes d’Avenir doit notamment permettre au trio de lancer une nouvelle activité s’inscrivant dans le temps long : l’agroforesterie. Adrien s’imagine déjà planter un arbre tous les dix mètres, sur quatre bandes de cinq-cents mètres de long, soit deux kilomètres arborés en tout. Son choix se porte sur les bois d’oeuvre que sont le merisier, le cormier, l’alisier torminal, le noyer hybride ou le poirier. Leurs essences précieuses pourront servir aux ébénistes ou aux sculpteurs. Au delà des aspects écologiques et économiques, le paysage de plaine céréalière sera transformé en « forêt céréalière » ou les arbres côtoieront les blés populations et les abeilles.
Le reste des financements serviront à l’installation de transformation. Le trio prévoit de s’équiper pour stocker les céréales avec des cellules de stockage, trier les graines avec un trieur-séparateur de graines ou encore décortiqué le petit épeautre avec une décortiqueuse. Ils prévoient également améliorer la fermentation de la pâte à pain avec une chambre de pousse où les pâtons pourront lever dans des conditions optimales. L’objectif ? Améliorer les qualités qualitatives, nutritionnelles et gustatives du pain, encore et encore.
Finalement, les deux frères sont fiers de leur territoire. « Le grenier à blé de la France », c’est leur patrimoine et ils entendent le valoriser, le propulser dans l’époque moderne. Leur crédo : valoriser au maximum leur production localement. Ils sont la cinquième génération à vivre sur cette ferme. On parie que ce ne sera pas la dernière.
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(1) Sophie Landrin, Dans la Beauce, cinquante ans de pollution agricole, Le Monde.fr, 12 mars 2012
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