Ingénieurs de formation, aux carrières épanouissantes loin de la France, Matthieu et Clémentine ont ressenti le besoin de renouer avec ce qui leur tenait vraiment à cœur : l’environnement. Il y a 2 ans, ils se sont lancés dans une aventure agricole hors du commun : une exploitation aquaponique en Dordogne, du nom de Nature et Saveurs.
“On était salariés au Maroc avec des postes sympas : j’étais chef de projet et j’ai travaillé en écologie en lien avec l’aquaculture, et ma femme était enseignante.”
Mais après un certain temps, ils ont eu un déclic : “J’ai pris conscience que je voulais revenir à des choses plus simples, mais beaucoup plus impactantes : la production alimentaire, qui est l’un des premiers besoins humains”, raconte Mathieu.
Cependant, ils n’avaient jamais travaillé dans l’agriculture auparavant. Seule la grand-mère de Clémentine était issue du milieu agricole. Au début, ils ont essayé de récupérer les terres familiales dans le Périgord, mais la mairie les a rapidement bloquées. Ils ont alors dû repartir de zéro en achetant de nouvelles terres grâce aux subventions, à Saint-Astier, une petite ville de Dordogne. “On a eu un très bon accueil lors du lancement de notre exploitation. On a vraiment été très bien accompagnés par tous les acteurs locaux, que ce soit la mairie, la commune, la région, et la chambre d’agriculture”, explique Matthieu.
Ça fait maintenant 2 ans qu’ils ont commencé à cultiver leurs premières salades grâce à l’aquaponie.

L’aquaponie : un mode de production innovant et durable
L’aquaponie est une pratique agricole relativement récente, qui combine l’élevage de poissons et la culture de plantes, le tout dans un circuit fermé. Concrètement, les poissons produisent des rejets (urines et déjections) qui, grâce à des bactéries naturelles, se transforment en nutriments pour les plantes. En retour, les plantes filtrent l’eau, qui est ensuite réutilisée pour les poissons. Ce système permet de produire des fruits, des légumes et du poisson tout en économisant de l’eau et sans utiliser d’engrais chimiques.
Dans l’exploitation de Clémentine et Matthieu, il s’agit d’une serre aquaponique de 2000m2 où poussent une centaine de variétés de légumes, de plantes aromatiques et de micropousses. Les poissons, quant à eux, sont élevés dans de grandes cuves situées à l’intérieur de la serre. Une pompe permet de traiter, reminéraliser et biofiltrer leurs déchets.
“Nous utilisons exclusivement de l’eau de pluie, ce qui en fait une méthode de production très écologique. Dans un contexte où l’accès à l’eau devient un enjeu majeur, notamment avec les bassins agricoles, notre approche est différente : nous produisons des végétaux et des poissons uniquement avec de l’eau de pluie, sans puiser dans les ressources naturelles”, clarifie Matthieu.

Ce choix leur permet de produire de manière respectueuse de l’environnement, tout en ayant un impact positif sur la biodiversité locale. “En plus de ça, bientôt, nous prévoyons d’exploiter le reste de la surface avec un projet de verger, conçu selon les principes de la permaculture”, raconte Matthieu. L’idée est de penser le design de la ferme de manière à ce qu’elle fonctionne de façon autonome, en intégrant des éléments comme des arbres fruitiers et des guildes forestières, agencées de manière à créer des microclimats spécifiques.
L’aquaponie est une science encore récente. Il est possible de produire de nombreuses variétés différentes grâce à cette technique, mais chacune demande des conditions spécifiques, ce qui peut rendre l’élaboration des plans de production un peu difficile. C’est d’ailleurs pour cela qu’il faut réaliser des tests pour savoir ce qui fonctionne ou non. Et Clémentine et Matthieu en réalisent de nombreux : “on a testé plus de 400 variétés la première année. Cette année, par exemple, on a testé le brocoli chinois. C’est hyper bon et ça marche super bien. J’ai fait goûter à un chef, qui m’a directement commandé 200 pièces par semaine”.

Même si des tests sont toujours en cours, Matthieu et Clémentine vendent désormais l’intégralité de leur production.
Construire un système alimentaire local et durable
Depuis le début, Matthieu et Clémentine ont dû faire face à de nombreux défis, qu’il s’agisse d’obstacles administratifs, de contraintes financières ou encore de l’adaptation aux réalités du marché.
Pour un « petit » producteur, il est difficile de rivaliser avec les prix des supermarchés, alors pour vendre leurs produits à un prix juste et viable, ils ont dû multiplier les points de vente. Désormais, ils se concentrent sur ceux qui sont le plus viable : restaurateurs, particuliers via circuits courts, et quelques collectivités. Pour ces dernières, le président du département a récemment décidé de passer à 90-95 % de produits issus de l’agriculture biologique pour fournir les cantines. “Sur le papier, ça peut sembler bien. Mais en Dordogne, seules 10 % des exploitations sont labellisées bio… Résultat : ce sont les gros groupes agro-bio qui livrent les cantines… avec des bananes du Guatemala”, constate Matthieu.
Une autre paradoxe est que l’aquaponie, bien qu’écologique, n’est pas encore reconnue comme une production biologique. Ce manque de reconnaissance, ajouté à la forte concurrence dans le secteur agricole, rend la situation encore plus difficile pour Clémentine et Mathieu.
Pour se démarquer, la visibilité et la sensibilisation des consommateurs sont des facteurs essentiels. Or, c’est un défi quotidien pour les producteurs, qui manquent souvent de temps pour gérer leur communication en plus de leur exploitation. Clémentine souligne le rôle clé des consommateurs dans ce système : “ce sont eux qui, par leurs choix, influencent le marché. Plus les consommateurs entendent parler d’alternatives locales et durables, plus ils sont enclins à changer leurs habitudes alimentaires. Et l’impact de cette prise de conscience est véritablement encourageant pour l’avenir de la planète et aussi, pour les producteurs et productrices locaux.”.

Aujourd’hui, Matthieu et Clémentine témoignent qu’il est possible d’agir à son échelle pour le bien-être de l’environnement, et que des alternatives durables dans le modèle alimentaire sont non seulement possibles, mais aussi pleinement viables.
Photos et interview de Sonia Altounian.
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