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Les pieds sur terre, la tête dans les étoiles

Dans la Drôme, là où brebis et chèvres sont reines, ne pensez pas être en plein délire si, randonnant dans les collines qui jouxtent la Provence, vous croisez une vache paître sous les oliviers… C’est qu’ici se joue une fable que l’on pourrait intituler : Pierre, ses vaches, leurs cornes et l’olivier.

Texte et photos : Anne-Lore Mesnage

À Mirabel-aux-Baronnies, Pierre Trollat est un aficionado de la terre, un amoureux de l’humus, un homme aux rêves simples. Il se réjouit chaque jour du chant des oiseaux qu’il observe avec joie à l’aube se délecter des quelques gouttes de rosée, quand le soleil ardent de la Drôme ne leur impose pas de se réfugier très tôt à l’ombre. Ainsi batifolent-ils dans ses oliveraies et ses vignes cultivées selon les principes de la biodynamie, grâce à quelques bovins qu’il élève pour la viande. Olives de Nyons, huile d’olive AOP, tapenade, côtes-du-rhône (tous bios !), on ne s’ennuie pas à la table de Pierre. Installée depuis 1978 sur un terrain familial, sa ferme située entre 210 et 500 mètres d’altitude appelle à l’expérimentation tant les propriétés des sols sont variées : des limons de la rivière qui coule aux pieds des collines nyonsaises au safre des cimes qui surplombent les lieux.

Pierre a fait le pari d’activer la fertilisation de ses sols avec des moyens encore peu répandus. Choisissant de s’entourer de bovins dans un paysage aride, il élève un troupeau qu’il fait paître sous ses oliviers au printemps, puis dans les cultures de ses voisins quand l’herbe commence à manquer sur ses parcelles. Les vaches mangent les olives au sol, celles où se trouvent les larves de la mouche de l’olive (un fléau pour les récoltes de ces dernières années dans la région), et de leurs lourds sabots, elles écrasent les chrysalides, appelées pupes. Leurs excréments enrichissent les sols en azote, un composant dont Pierre a besoin pour ses cultures.

Ne lui parlez pas de labour ! Pierre est un acharné du travail et préférera passer la débroussailleuse sous les rangs d’oliviers autant de fois qu’il le faut plutôt que de sacrifier la biodiversité de son terroir. Côté vignes, il loue les services de chevaux de trait pour le décavaillonnage, une étape indispensable en conduite biologique. Cette technique de désherbage permet de retirer les mauvaises herbes au plus près du cep, sans risque d’arrachage et sans tasser le sol.

Depuis qu’il applique ces méthodes, des vers de terre ont trouvé chez lui un coin de paradis. La couche d’humus qui recouvre le sol argilo-calcaire est belle et bien vivante et les vers se tortillent à souhait. En échange, ils aérent la terre (à la place de la charrue) en venant chercher en surface la matière organique. Ils sont une alternative au labour classique qui diminuerait considérablement leur présence et impliquerait de combler leur action.

L’agriculteur, qui a plus d’un tour dans son sac et des idées à revendre, a tissé des liens avec la brasserie artisanale de Nyons dont il récupère les résidus du brassage de céréales non OGM pour réaliser un compost riche qu’il laisse maturer une longue période de l’année. Il en récupère un nectar puissant qu’il épand ensuite sur ses terres, suivant une recette savante, qu’il agrémente d’une tisane de bouses de cornes.

La bouse de cornes est une recette 100 % biodynamie qui pourrait passer pour un remède de sorcier de campagne. Cette mixture est obtenue en hiver par l’enfouissement de bouse introduite dans des cornes de vaches, qui, sous un épais manteau terreux, entrent en fermentation. Quelques mois plus tard, le dimanche de Pâques (jour défini selon le calendrier lunaire), Pierre déterre son trésor. La bouse a alors pris des propriétés puissantes. Elle doit impérativement sentir le sous-bois pour être exploitable. Diluée et épandue, cette mystérieuse « tisane » devient un puissant régénérateur pour les sols.

L’olive noire de Nyons, première AOC de France (désormais AOP), est récoltée lorsqu’elle est fripée, en hiver, une fois les premières gelées venues. Elle se savoure quelques mois plus tard, lorsque la magie de la saumure aura opéré. C’est ainsi que Pierre la prépare, mais aussi nature ou piquée (percée, saupoudrée de sel fin, puis mise en caisse pour qu’elle s’égoutte et perde son amertume), comme d’ailleurs la plupart de ses voisins nyonsais. L’olive noire de Nyons est la variété emblématique locale, l’unique variété qui a su s’acclimater à ce territoire.

Pierre, qui du haut de ses 10 ans se rêvait déjà en éleveur bio, veut aujourd’hui transmettre ses valeurs et son savoir pour mieux inspirer les prétendants à l’agriculture, et les inviter à adopter des pratiques plus respectueuses de l’environnement. Soucieux de transmettre ses connaissances et ses pratiques alternatives, il invite chercheurs et curieux à venir découvrir son domaine.

La biodynamie conçoit chaque ferme comme une entité autonome et individualisée qui vit selon ses propres règles. L’humain, l’animal et son environnement y fonctionnent ensemble, en synergie, dans un système agricole durable. Prochain projet secret de Pierre, pour continuer dans le bon sens : faire paître quelques ovins dans ses vignes, comme les vaches broutent sous ses oliviers. Il semble que l’on n’arrête pas un homme qui se joue des planètes pour cultiver ses rêves.

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