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Sous les pavés, la vigne

Les vignerons de la fac

On y étudie les mathématiques, la physique, l’anthropologie… Depuis peu, on pourra aussi s’initier aux sciences de la viticulture. Dans la faculté de Villetaneuse (Paris 13), trois passionnés réhabilitent la vigne de banlieue.

Et si la relance du vin de Paris venait d’eux  ? D’habitude, et comme l’indique leur nom,  les bergers de Clinamen  s’occupent de moutons. De ceux que depuis trois ans ces néo-paysans font paître sur la base militaire de Houilles, au-dessus du quartier d’affaires de La Défense  ; et sur quatre hectares du campus de l’université de Paris XIII à Villetaneuse (93), une banlieue pas vraiment favorisée du nord de la capitale.

Sous le soleil exactement : le plan des futures vignes.
Sous le soleil exactement : c’est ici que seront implantées les futures vignes.

En quelques années, les bergers sont devenus experts en entretien – écolo et économique – des terrains administratifs. Le rapport avec le vin  ? Un ou deux jours par semaine, ils lâchent le troupeau pour travailler à la création d’une vigne sur une parcelle du terrain que la fac leur a confiée. Une nouvelle étape de leur grand projet, celui de la réintroduction de l’agriculture en ville. Sous toutes ses formes. La fac leur a permis de passer du nomadisme à la sédentarisation du troupeau. Maintenant, ils attaquent l’étape suivante, celle de la culture. Un condensé de l’histoire de l’humanité…

Ce rêve d’un vignoble de banlieue est né en 2013, de la rencontre de deux des bergers – Guillaume Leterrier, un ancien animateur social passé par la Ferme du Bonheur, une friche urbaine culturelle à Nanterre (92) en banlieue parisienne  ; et Julie Dubreuilh, ex-conductrice de travaux de BTP qui a lâché le béton pour la terre – avec Marc Fèvre, ancien imprimeur et grand amateur de vin naturel, qui a décidé de devenir acteur de sa passion. C’est lui qui sera maitre de chais, un jour…

Après le potager à la fac, les vignes à l'université.
Après le potager à la fac, les vignes à l’université.

Leur projet ? Créer une vigne-potager, avec des raisins sur échalas, des légumes et des arbres fruitiers, et des animaux par-dessus le marché. Nous sommes entre la résurrection de l’agriculture traditionnelle, celle des métayers franciliens d’avant la révolution industrielle  ; et l’adoption des techniques d’avant-garde, comme la permaculture et l’agro-foresterie (qui sont d’une certaine manière des revivals de la tradition…)

Leur démarche est bien sûr en complète rupture avec la viticulture conventionnelle, qui est à leurs yeux synonyme de chimie  ; exit évidemment les techniques de «  vinification assistée  » qui permettent de fabriquer du vin en barrique grâce à des leviers chimiques comme la chaptalisation, les levures de laboratoire et les sulfites à hautes doses… A rebours de ce qui se fait dans la plupart des vignes de France, de Navarre et du monde, les compères ont une autre définition du vin  : ce breuvage est fruit de la convergence d’un cépage, de sols et sous-sols donnés, de la sensibilité du vigneron et des conditions climatiques qui d’une année à l’autre, varient. Ils veulent donc produire un vin qui exprime un terroir. Ici  ?…

Saute-mouton, vignes -béton.
Saute-mouton, vignes -béton.

Le fait est que le terroir d’élection des bergers n’est pas le plus bucolique qui soit. Pour y parvenir, il faut prendre le train de banlieue depuis la Gare du Nord, à Paris  ; direction Villetaneuse, une ville du 93 qui n’est connue ni pour la typicité de sa vie rurale ni pour la beauté de ses paysages. Une fois sorti du train, il faut suivre pendant dix bonnes minutes une départementale le long de laquelle s’alignent des restaurants spécialisés dans la viande de mouton reconstituée enrobée de sauce blanche  ; et des petites zones commerciales tristounes. Une carte postale de la banlieue, en somme… Aucune importance pour les bergers urbains, qui se fichent des images d’Epinal. «  La ville a toujours des dents creuses. Des réserves. Des espaces polyvalents.  C’est là que l’on peut renouveler l’agriculture.  » Point.

Au printemps et à l’été finissant, des amis sont venus mollir la terre – compactée faute d’avoir été travaillée depuis 40 ans – avec des chevaux de labour. La terre était tellement fermée qu’il a fallu s’y reprendre à deux fois. Des engrais verts plantés depuis ont permis de compléter cette entreprise de relance des sols, sur une langue de terrain de 0,8 ha qui pourlèche les abords de la fac – un de ces nombreux campus poussés en banlieue parisienne dans les années 60 et 70, cet âge d’or des boomers. Une époque à laquelle le diplôme universitaire permettait de prendre l’ascenseur social. Un temps aussi où l’on aimait beaucoup jeter des cubes de béton préassemblés dans les anciens vergers et maraichages de banlieue…

Opération labour, à l'ancienne.
Opération labour, à l’ancienne.

Et puis, il y a eu un avant le béton. Et c’est ce qui intéresse nos bergers. Sous la fac, sous les HLM de la cité Pablo Neruda, s’étendait la plaine des Vertus, réputée depuis le Moyen-Age pour la qualité de sa production maraichère. Pendant mille ans et plus, ce fut un des centres nourriciers de la capitale. Par hasard, par chance, une portion de cette plaine fertile a été sauvée grâce à la construction de la fac, qui est entourée d’un glacis de terrain. A l’été, on peut même venir y glaner quelques cerises sur des arbres que plus personne n’entretient depuis longtemps mais qui, dame nature est bien généreuse, continuent de donner. Voilà le terroir des bergers.

Et quand on écoute Guillaume vanter la qualité et l’histoire des sols, on se fiche tout d’un coup du bruit des jets privés qui, en approche au-dessus de l’aéroport d’affaires du Bourget, crament leurs derniers litres de kérosène. «  Ici, dans la Plaine des vertus, à l’époque maraichère, tu ne travaillais pas dans la délicatesse. C’est ici que l’on produisait le petit maraichage pour les Halles de Paris. Tôt le matin, les carrioles emportaient leurs cargaisons d’ail et d’oignons jaunes  ; ou encore les fruits des pruneliers et des cerisiers. Et les maraichers rapportaient de la ville les boues des rues  ; le crottin et les déchets humains.  Ici, le terrain qui entoure le campus n’a jamais été bétonné. Et n’a pas reçu de phyto depuis quinze ans au moins. C’est inestimable  !  »

L'agriculture urbaine comme on aime.
L’agriculture urbaine comme on aime.

Il y a le terroir. Et il y a la tradition, oubliée, du vin d’Ile-de-France. «  L’appellation (déjà contrôlée en 1416) des Vins de France, les plus recherchés du royaume, s’étend jusqu’à Sens où commencent ceux de Bourgogne. À la fin du Moyen-Age, les vignes sur les coteaux et le blé sur les plateaux font la richesse de l’Île-de-France.» Mais ça c’est de l’histoire ancienne… À la fin du 18ème siècle, il représentait alors le plus important vignoble de France. Aujourd’hui il couvre moins de 11 hectares. La majorité de ces vignes ont un caractère public et sont en général gérées soit par des collectivités locales soit par des associations «  patrimoniales  ». Comme les petits vins de Suresnes et de la butte Montmartre.  Pas de quoi réveiller les palais  !

Les premières analyses des terres argilo-calcaires du campus, ont permis d’établir un parallèle avec certaines appellations angevines. Y seront à leur aise des raisins de Chenin, Menu-Pineau, Riesling, éventuellement du Sauvignon. Les pieds seront fournis par des viticulteurs amis de Marc, qui produisent du (très) bon vin naturel. Le fruit, expression du terroir et du travail de la vigne, voilà la vérité… «  Nous sommes aidés par des vignerons naturels d’Anjou ou encore d’Auvergne car notre projet est pour eux à la fois original, et un bon champs d’expérimentation. Ils perdraient leurs appellations s’ils faisaient, comme nous, de la vigne-potager. Ici, comme nous sommes en banlieue parisienne, et que nous faisons de la vigne patrimoniale, nous ne sommes pas sous le coup des appellations et de leurs cahiers des charges drastiques,  » indique Guillaume. Qui en est convaincu  : «  les expériences d’agriculture urbaine peuvent servir les agriculteurs de la campagne, en réinventant des pratiques.  »

Vendanges de potimarrons (en attendant le raisin).
Vendanges de potimarrons (en attendant le raisin).

Et maintenant, quel est le programme  ? Premières vendanges en septembre 2019  !… D’ici là, pas mal de boulot. Rien qu’en 2016, l’emploir du temps est chargé. En février et mars, c’est le temps de la mise en pépinière des porte-greffes fruitiers. De mars à avril, plantation et semis d’engrais verts. La plantation des vignes interviendra de mars à août. Le greffage des porte greffe des fruitiers s’étendra jusqu’en octobre. A l’automne, le travail du potager, le binage et désherbage des vignes occupera tout le monde, avant la plantation des arbres fruitiers en décembre. Autant dire que la première gorgée de vin n’est pas pour demain.

Une dernière chose. En France il est interdit de rouvrir des vignes pour ne pas concurrencer les AOC / AOP. Sauf dans certaines régions, comme celle de Paris  ; et sous certaines conditions  : «  Toute personne, physique ou morale, désirant planter une vigne de raisin de cuve pour un usage personnel ou collectif doit en obtenir l’autorisation du ministère de l’agriculture. Les produits d’une vigne patrimoniale, lorsqu’ils sont dans la liste des produits relevant de l’organisation commune du marché vitivinicole, sont interdits de commercialisation.  » Dixit la loi.

Les bergers produiront donc pour eux, pour l’administration de l’université (qui a droit à 15% du vin à venir), mais aussi pour tous ceux qui les auront aidés lors de leurs chantiers participatifs, ouverts un dimanche par mois. Le dernier appel aux volontaires du dimanche était ainsi placardé, sur leur page Facebook  : «  A présent que les labours sont passés  ; alors que le temps s’humidifie, que la terre argilo-calcaire se gorge d’eau, en attendant que les prochaines gelées travaillent pour nous, et émiettent les profonds sillons laissés par les chevaux de labour, rendez-vous dimanche pour implanter les aillacées, poursuivre le paillage des parties du jardin potager vigne non labourées, et éclaircir grossièrement la pépinière de vigne.  » Alors, on y va  ?

2 commentaires

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  1. Votre paragraphe évoquant la « viticulture conventionnelle » est comme trop souvent à charge contre les vignerons et pleine d’idée extrêmes envers leurs méthodes. Vous parlez de personnes réelles, qui dédient quand même leur vie entière à leur terroir et qui privilégient un revenu minimum plutôt que la recréation du jardin d’eden.
    Ils n’ont pas 0.8ha, ils sont une famille à nourrir.

    Cela étant dit, excellente initiative ! On en veut partout des comme ça !!

    1. Bonsoir, désolé si mon commentaire concernant la viticulture traditionnelle vous a paru trop « à charge ». Il est dans tous les cas difficile – et même impossible ! – de généraliser. Par ailleurs, j’entends ce que vous dites sur la nécessité de faire « tourner » son exploitation. Il n’en reste pas moins que la « parkerisation » du goût n’est pas un fantasme…
      A bientôt

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