Au milieu des étangs de la Dombes, paradis du canard souchet et de la cuisse de grenouille fricassée, Denis et Yves ont imaginé la Voie maltée, une microbrasserie la tête dans les étoiles et les pieds bien sur terre.
Le chef d’oeuvre de leur brasserie trône au milieu du hangar. Bien culottée, capable d’accueillir plus de 1500 litres, la belle cuve au teint cuivré est un peu la Joconde de la visite. « On l’a récupérée dans une fruitière coopérative du Haut Jura. Pendant des années, elle a servi à faire du comté. » Depuis 4 ans, l’eau et le malt ont remplacé le lait des Montbéliardes mais la production reste tout aussi artisanale comme dans ces microbrasseries qui moussent un peu partout dans l’Hexagone. « Il existe aujourd’hui 442 sites de production de bière en France, détaille Robert Dutin auteur de l’annuaire des brasseries françaises, dont 52 brasseries artisanales et 227 microbrasseries qui produisent moins de 1000 hectolitres par an. Ces dernières croissent à un rythme exponentiel. »
Il est vrai que dans le coin, les bières locales se multiplient presque aussi vite que les levures plongées dans la tisane de houblon. « Nous produisons aujourd’hui 500 hectolitres, confie Yves. Notre objectif est de doubler, mais on ne se met pas la pression. » Pas de stress à St-Jean-de-Thurigneux, si les deux hommes se sont mis à la microbrasserie, c’est pour le fuir justement. « Notre volonté n’est pas de créer une entreprise comme les autres, explique Denis. Pour nous cette structure doit être un moyen de nourrir ceux qui y travaillent, pas l’inverse. » En clair, les deux acolytes ont calculé les rentrées nécessaires pour vivre décemment et défini ainsi la production à atteindre pour y parvenir, évitant ainsi toute fuite en avant. « Nous souhaitons également que notre projet s’inscrive dans une démarche biologique à la fois respectueuse de l’environnement et de la santé des consommateurs. »
Denis vient de l’informatique, Yves est passé par l’industrie, l’éducation, l’insertion. Les deux compères se rencontrent en 2008 alors que Denis met à jour le service informatique de la boîte d’Yves. « On a très vite parlé bière, puis on a mangé ensemble, brassé ensemble. » Si Yves a l’habitude de boire de la bière (et du vin), Denis a pris un peu d’avance côté fabrication. Initié tout gamin dans la cuisine de sa grand-mère, il décide en 2000 de perpétuer la tradition familiale et commence à produire tous azimuts pour les copains. « Bières blondes, brunes ou ambrées sortent des casseroles. Les amis goûtent, parfois aiment, souvent en redemandent. »
En 2007, Denis souhaite approfondir sa pratique et part en formation à l’Institut français des boissons de la brasserie et de la malterie à Nancy. « On y parle sérieux, ça fait pro. Il y a pourtant à prendre et à laisser, certains sujets ne concernent que les très gros. Au final c’était plutôt une formation enrichissante, notamment les soirées à refaire le monde autour d’une bonne bière. »
Bientôt du malt local ? Fenotte (blonde et pas idiote), Reine claude (brune triple mais tendre), Ambrée (‘sane), Première gelée (blanche), la gamme de la Voie maltée comprend quatre bières toute l’année et quelques extras selon les saisons (la Mère fouettard à Noël). 17 malts belges ou germaniques entrent dans les recettes. « On travaille depuis peu avec une malterie en Ardèche, explique Yves : les Malteurs échos. Leur objectif est de cultiver et produire du malt local pour tous les brasseurs du coin. La région Rhône-Alpes comptant plus de 90 brasseries artisanales, il devrait y avoir de jolis débouchés. »
La dizaine de houblons qui donnent leur caractère aux bières vient quant à elle d’une coopérative d’Alsace. Dans certaines recettes, il est ajouté à cru, c’est-à-dire dans la cuve de fermentation après la première fermentation classique pour dégager de belles notes aromatiques. Enfin ne cherchez aucune gélatine de bœuf ni de colle de poisson (à base de vessies de poiscailles) utilisés par les grands de ce monde pour clarifier la bière, « ici on utilise seulement le froid. »
Rester libre, telle pourrait être la devise d’Yves et Denis qui n’ont pas emprunté un kopek pour monter leur affaire. Les premières bouteilles ont servi à financer les premiers équipements et la brasserie s’est montée à la vitesse des rentrées. « Les premières années, on est allés brasser dans la grange de La Franche dans le Jura, à quelques kilomètres d’Arbois. Nos copains Régis et Jean-Yves nous ont loué leur outil de production une semaine par mois. On ne savait pas au début, en 2010, que ça allait durer 3 ans. » Heureusement, le monde des microbrasseurs est plutôt accueillant. On achète le matériel en commun, on fait tourner les bonnes pratiques.
Dans un coin de la brasserie, une cuve étiquetée « La commune » témoigne de cet esprit de famille. Dix-huit brasseurs de l’Ain et des départements voisins se sont engagés à brasser chez eux la même recette avec les mêmes ingrédients et confronteront leurs productions à la fête de la bière de Poligny. « Elles seront sans doute très différentes car l’énergie du brasseur y est pour beaucoup, explique Denis qui caresse son malt à la main et encourage systématiquement ses levures d’un « Allez les filles, au boulot ! » Il est encore trop tôt pour goûter la cuvée de la Voie maltée mais on est prêt à parier qu’elle aura le goût de la rencontre, de l’ouverture et de l’humilité.
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