Samedi 21 Mars, la « Marée du siècle » est annoncée. Enfin, pour une marée du siècle, elle revient tous les 18 ans quand même, donc si j’en crois mes calculs, h(t)=Z0+∑Ai cos (Wit+Voi-G2i), il y en a environ 5 par siècle… Quoi qu’il en soit, cette marée de coefficient 119 sur une échelle allant de 20 à 120 est tout de même un phénomène qu’il ne faut pas manquer, alors, ni une, ni deux, je prends ma panoplie de pêcheuse à pied : bottes, griffe, seau, panier, crabe toiseur, et en avant Guingamp comme on dit.
Quoi, vous ne savez pas ce que c’est, un crabe toiseur ? C’est un objet qui permet de mesurer les prises, inventé par Béatrice Chassetuillier, une passionnée de pêche à pied, résidente de Combrit Sainte Marine dans le Finistère (29). Regardez plutôt…
La pêche à pied se pratique à marée basse et les forts coefficients nous permettent d’accéder à des zones habituellement immergées, car comme tout le monde le sait, « plus la mer descend, plus les rochers montent ». Direction tout d’abord l’île Chevalier à Pont l’Abbé. Un petit coup d’œil sur le panneau d’affichage afin de réviser la législation.
C’est donc, guidée par l’air iodée que j’emprunte ce chemin.
Avant d’atteindre la grève, je traverse un rempart composé de rochers et d’algues, entrecoupé de vase. Attention, ça glisse….
Pas très appétissants pour certains mais en bonne pêcheuse, je m’y attarde car c’est ici que l’on trouve les moules, les crabes et les bigorneaux. La technique est simple, on retourne un rocher, on soulève les algues pour découvrir toute la vie qui s’y cache. Afin de respecter le milieu naturel, je remets bien les algues soulevées et les rochers en place.
Armée de ma griffe, je me dirige ensuite vers cette grande étendue sableuse qu’offrent les grandes marées. Telle une pionnière à la conquête de l’Ouest, je gratte le sable breton en quête de coquillages.
Et les voilà qui apparaissent ! Coques et palourdes s’offrent à moi comme des pépites d’or.
Au détour d’une mare, je parviens à surprendre une crevette.
Après une heure de recherche, notre seau est déjà bien rempli. Constatez par vous même…
De retour à la maison, ces coquillages seront mis à dégorger dans l’eau puis cuits à feu vif avant d’être dégustés. Ouch !
L’assiette typique du pêcheur à pied se composera de palourdes farcies, de coquillettes aux coques, de moules à la crème et de tartines de pain beurré aux bigorneaux. Hmm… Maintenant que j’ai ouvert votre appétit, allons profiter des autres ressources que nous offre la mer. C’est à Lomener (56) que l’Association Cueillir nous permet de découvrir les algues.
Ces cheveux qui couvrent le rocher, on les appelle haricot de mer ou spaghetti de mer. Ils sont encore très jeunes sur cette photo.
Voici le Laurencia Pinnatifida, très apprécié pour son goût poivré et ses belles ramifications.
Ci-dessus, du Pioca, du Chondrus Crispus et de très jeunes haricots de mer.
Ça, c’est une laminaire – Laminaria Digitata.
Ci-dessus nous voyons la fameuse salade de mer ou algue verte, Ulva Lactuca de son nom scientifique, avec d’autres qui forment un beau tapis de couleurs.
Ces différentes algues, hachées avec de l’huile d’olive, de l’ail, du jus de citron et du cumin constituent un délicieux tartare. Cela ne vous suffit pas ?
Alors pour les plus aventuriers, il y a aussi la pêche aux pousse-pieds. Vous me suivez ?
Ce crustacé vit fixé aux rochers battus par les vagues, autrement dit, il faut aller escalader les rochers, parfois au péril de sa vie, armé d’un marteau et d’un burin pour le détacher. Ardu, n’est-ce pas ?
Mentionnons également l’Ormeau, aussi appelé Foie gras de la mer. C’est un met raffiné très recherché, tout comme sa nacre qui est par exemple utilisée pour les rosaces de guitares. Comme il est assez rare, son prix est élevé et cela entraîne une surexploitation des stocks. L’Ormeau a donc disparu sur une grande partie des littoraux fréquentés par des pêcheurs amateurs ou professionnels, voire des braconniers. On le trouvera accroché aux rochers dans les eaux peu profondes. Pour le consommer, il faudra attendrir sa chair avec quelques bons coups de maillet de bois. Par hasard, j’ai pu en dénicher un ! Le voici, petit, discret, et flou…
Pas très impressionnant, n’est ce pas ? Mais attendez un peu que je le retourne et le vide, pour vous montrer sa belle coquille nacrée…
On comprend mieux qu’il soit si demandé ! Mais ce n’est pas tout. Les eaux peu profondes cachent encore quelques surprises pour le pêcheur amateur…
On peut y trouver des homards, entre les failles des rochers. Là aussi, c’est à vos risques et périls, il en va de même pour les tourteaux et autres araignées. Car ils ne se laisseront pas faire. Et leurs pinces ne sont pas décoratives.
Ainsi, la pêche à pied, certainement pratiquée depuis la nuit des temps par nos ancêtres, permet de se régaler d’un bon plateau de fruit de mer sans se ruiner…
De plus, saviez vous que les grandes marées nous dévoilaient aussi quelques mystères archéologiques ? Par exemple, à Plonevez Porzay, des visages sculptés dans la roche sortent de leur sommeil, laissant resurgir la légende du roi Gradlon, de sa fille Dahut et de la ville d’Ys, cité engloutie à cause des pêchés de Dahut. La légende rapporte que la ville d’Ys s’élevait dans la baie de Douarnenez…
Ajoutez à cela une forêt fossilisée découverte lors des tempêtes de 2014, et la cité d’Ys prend vie sans qu’un effort d’imagination ne soit nécessaire ! On dit qu’elle était la plus belle capitale du monde et que Lutèce fut baptisée Paris car « Par Ys » en breton signifie « pareille a Ys ».
Les scientifiques ont bien leur idée là-dessus. Ces arbres dateraient de 4.500 à 6.000 ans, quand la mer n’arrivait pas aussi haut et qu’à la place se trouvait la forêt antique de Borth. Aujourd’hui encore, il arrive que, par temps calme, les pêcheurs de Douarnenez entendent sonner les cloches sous la mer… Ils disent qu’un jour Ys renaîtra. Plus belle que jamais.
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