Et si l’on brisait les chaînes alimentaires qui détruisent la planète et appauvrissent les paysans ? Alors que l’Union Européenne vient de signer un accord de libre-échange historique avec l’Amérique latine, nous faisons le bilan d’un modèle de production qui allonge toujours plus les distances.
« À l’heure actuelle, l’Union Européenne exporte beaucoup de bœuf et en importe beaucoup aussi : ça n’a pas de sens ! s’agace Morgane Ory. Autant consommer localement ce que l’on produit localement. Le transport des marchandises produit d’énormes émissions de gaz à effet de serre », poursuit cette maraîchère française, coordinatrice générale de Via Campesina. Ce mouvement d’organisations paysannes regroupant 200 millions de membres à travers le monde est inquiet du traité commercial que l’Union européenne vient de signer avec le Mercosur, qui éliminerait la majorité des droits de douane vers l’Argentine et le Brésil, deux grands producteurs agricoles.
Cet accord de 5 ans pourrait générer, pour son seul volet agricole, près de 50 millions de tonnes de CO2 supplémentaires, l’équivalent des émissions annuelles de la Suède ou du Portugal !
Une limite de plus franchie par un système agricole mondialisé où l’on étire toujours plus les distances entre le champ et l’assiette. Et ces kilomètres alimentaires ont un coût : Pour le climat, la biodiversité, les paysans, et même notre santé.
Réactions en chaîne
« Derrière le commerce alimentaire mondial, les modèles agricoles doivent produire le moins cher possible pour être compétitifs, explique Morgan Ory. Ça veut dire plus de monoculture et un élevage plus industriel, dans une chaîne mondialisée. La production de poulets en Bretagne, la région où je vis, est typique de ce modèle : on importe du soja transgénique du Brésil et des petits poulets des Pays-Bas que l’on fait grossir avant de les exporter en Arabie Saoudite. Et à chaque maillon de la chaîne, les entreprises agroalimentaires tentent de réduire les coûts de production et les salaires des paysans ».
Attention, il est important de souligner que ce n’est pas le transport lui-même qui pèse le plus lourd dans la balance écologique d’un aliment, dont les kilomètres alimentaires ne représentent que 20 % du coût carbone. Le reste appartient aux conditions de culture. Les émissions des tracteurs, la production des engrais, la déforestation, les émissions de méthane des vaches, l’emballage, etc.
Et justement, les aliments qui voyagent le plus, ce sont ceux de la chaîne décrite par Morgan Ory et qui coûtent le plus cher à la planète : Alors qu’un tiers des substances actives autorisées dans les pesticides au Brésil sont interdites dans l’UE, des résidus de pesticides interdits ou strictement réglementés ont été retrouvés dans les trois quarts des pommes et plus de la moitié du riz et des haricots importés de ce pays !
L’élevage est aussi une des principales causes de déforestation, qui augmenterait de 25 % en Amazonie en cas de signature du traité de commerce avec le Mercosur, soit environ 1 million d’hectares !
Vivre libre et nourrir
La lutte contre les kilomètres alimentaires est aussi celle pour la survie des paysans, que ce système d’import-export met en concurrence, au détriment de leur mission de nourrir le monde : “Ce que l’on défend, c’est un modèle où le rôle des paysans est d’abord de produire de la nourriture pour les populations alentours”, assure Morgan Ory.
« Le Brésil exporte énormément et c’est pourtant un pays où beaucoup de gens ont faim. Il faut que la terre serve à produire de la nourriture pour la population et pas pour l’agrobusiness. Il n’y a pas de problème à ce qu’on importe du café d’Amérique latine et à ce qu’on exporte par exemple du Roquefort. On peut avoir un commerce où chacun exporte le meilleur et le plus spécifique de sa région vers les autres régions. Non pas pour détruire les autres productions, mais pour faire profiter les gens de la diversité qui existe dans le monde».
Mais avec quels outils peut-on réduire les importations de nourriture bon marché ? Marta Messa, secrétaire générale de Slow Food, a son idée : « Les produits alimentaires importés doivent répondre aux mêmes normes de sécurité, de durabilité environnementale et de bien-être animal que ceux produits au sein de l’UE », explique-t-elle. Son organisation, qui revendique plus de 2 000 groupes locaux de producteurs et militants dans 160 pays, plaide pour l’introduction de « clauses miroir » : « Cela signifie que si une substance est interdite ou si les résidus chimiques sont strictement limités dans les aliments produits dans l’UE, les mêmes règles devraient s’appliquer aux produits importés. L’UE pourrait ainsi garantir une concurrence loyale et sauvegarder l’environnement».
Des bonnes pratiques plein le panier
Ces mesures de protection doivent s’accompagner du développement de productions locales vertueuses : « L’agroécologie a été identifiée comme un catalyseur essentiel de la transformation des systèmes alimentaires, assure Marta Messa. En donnant la priorité à la production alimentaire locale et régionale, les systèmes agroécologiques favorisent les relations directes entre producteurs et consommateurs, réduisant ainsi le besoin d’intermédiaires et de transport sur de longues distances. Cela améliore également la transparence et garantit des prix équitables pour les agriculteurs et des aliments abordables, frais et de saison, pour les consommateurs. »
Sur ce point, le continent européen ne part pas de zéro, comme en témoigne le professeur Fedele Colantuono, de l’Université de Foggia en Italie, qui a coordonné les programmes SKIN et COREnet, rassemblant des scientifiques de tout le continent depuis 2018 : « Nous avons repéré de nombreux acteurs européens impliqués dans les chaînes d’approvisionnement courtes et collecté une série de bonnes pratiques, certaines d’entre elles avec un indice de réplicabilité très élevé. Ce sont des cas d’école qui sont devenus de nouveaux outils d’apprentissage et d’inspiration pour les agriculteurs et les décideurs politiques. » Une boîte à outils que les dirigeants européens seraient bien inspirés d’utiliser plutôt que d’ouvrir la boîte de Pandore d’un commerce international dévastateur.
Aurélien Culat
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