À quelques battements d’ailes de héron cendré du château de Courances, Valentine de Ganay ré-enchante 500 hectares de plaine céréalière. Depuis 3 ans, l’agricultrice à particule bouscule les cultures locales pour faire passer la sienne faite d’agroforesterie, de conservation des sols, de paysage, de littérature et d’audace.
Dans une pièce de la ferme de Chalmont, corps de ferme familial en déshérence, Valentine vient tout juste d’aménager son bureau. Tapis persan, bureau 1900, éclairage tamisé, fauteuils élégants : le charme discret de l’aristocratie. En ce jour glacial du mois de janvier, l’écrivaine-agricultrice ne renonce pas à l’élégance : longue jupe de cuir, grandes chaussettes de laine et l’indispensable rouge-à-lèvres coquelicot qui rehausse ses yeux couleur de lin. On s’assoit pour prendre un thé et écouter le récit de la ladyfarmer du Gâtinais…
« Depuis novembre 2012, je suis la gérante de deux sociétés d’exploitation agricole, ce qui signifie que je suis responsable de 500 hectares, » précise-t-elle comme pour rappeler à son âme de romancière sa responsabilité d’agricultrice d’aujourd’hui. Il y a 5 ans, celle qui pratique régulièrement le trapèze et la boxe hérite de la plaine avec ses cousins. Elle décide de lui redonner ses sols de noblesse et monte sur le ring du monde agricole. « La tâche était immense. Avec l’enherbement des parcelles on ne savait plus s’il s’agissait d’un champ de betteraves ou d’un couvert de chasse. Décharges sauvages dans les haies, une ferme qui ressemblait de plus en plus à une casse de machines agricoles surdimensionnées et en ruine. »
Ne sachant trop par où commencer, Valentine tanne Gilles Clément pour qu’il vienne évaluer l’ampleur des dégâts. « On a vu de pires catastrophes écologiques, confie alors le paysagiste. Je n’ai pas d’idées précises, je ne suis pas agriculteur, mais avec cette surface et à cette distance de Paris, vous devriez être exemplaires ! » « J’étais à la fois rassurée et démunie devant la sentence. » Au fil des mois, de rencontres en tâtonnements, de formations en agriculture en accompagnements techniques, Valentine décide de placer la plaine sous le signe de l’agroforesterie.
La fenêtre de son bureau donne sur la cour de la ferme et la cour sur la plaine, celle que son père aimait fouler les jours de spleen pour se ressourcer. On remet nos manteaux pour s’en imprégner de plus près. « Une vue aérienne donne à voir une plaine en forme de sablier couché, explique l’agricultrice, mais n’allez pas en déduire que le temps s’est arrêté. » A bord du 4×4 qu’elle n’a jamais réussi à faire rouler en mode safari, nous voilà chahutés sur les chemins de terre. A chaque ornière, notre chauffeuse nous assure dans un juron que ça passe.
Au ras des épis de blé, la vie bouillonne. Etourneaux, hérons, aigrettes ou faisans surgissent régulièrement des champs de céréales. Depuis quelques semaines, 2 345 tiges de chênes sessile, alisiers, noyers, poiriers sauvages… ponctuent l’étendue, savamment plantés tous les 39 mètres pour prêter main forte aux cultures. « Sur 67 hectares, nous avons planté des arbres en bande dans les parcelles afin d’accroître les rendements dans les champs en augmentant la matière organique dans les sols, » se félicite la jeune quinquagénaire.
Pratiquer l’agriculture d’une manière nouvelle, changer les habitudes et les perceptions, est nécessairement un combat.
Ré-inviter les arbres au milieu des cultures, la pratique peut sembler insolite tant les agriculteurs se sont acharnés à les faire disparaître du paysage ces 50 dernières années. Pourtant d’un point de vue cultural, il semblerait que ce soit la voie royale. Le pape de l’agroforesterie, Alain Canet ne jure que par cette pratique qui reconstitue les écosystèmes in situ et ré-invite les principes de la forêt dans les champs. « Les racines d’un chêne aèrent les sols, ses feuilles produisent de la matière organique, ses glands nourrissent les cochons qui y vivent en dessous, » explique le spécialiste. « Aujourd’hui on a planté les arbres, demain on verra quelles espèces animales inviter en dessous, prévient Valentine. Paris a-t-il besoin de bons poulets qui ont du goût ou de cochons noirs dans la forêt, on verra. »
Pour l’heure, la passionnée avance pas à pas dans un monde qui ne lui ressemble pas. « Les agriculteurs sont des taiseux, moi je digresse sans cesse, c’est mon défaut de romancière. Pour obtenir des informations je n’hésite pas à jouer à la gourde. » La battante n’hésite pas non plus à bouleverser les codes et à initier des pratiques innovantes. « Si les choses sont intelligemment faites, il en ressort de la beauté », explique celle qui aime écrire à la manière de Colette. En 2013, elle remet en activité le potager clos de murs du château de Courances et commercialise les choux kale et le reste de sa production au grand chef Alleno. Depuis le 1er janvier 2015, la production est estampillée bio. Ailleurs, elle prévoit de tester le maraîchage sans irrigation où le sort des légumes dépend du bon vouloir des cumulonimbus. Plus loin, elle destine 15 hectares à la culture biologique de plein champ.
« Je déteste communiquer sur le fait que ce que je fais sera bon pour les générations futures. Je préfère mettre en avant la qualité, le goût, le plaisir. »
Pour tout ce qu’elle entreprend, Valentine tient systématiquement à ce que ses entreprises soient au pire à l’équilibre, au mieux rentables. « Je veux montrer qu’on peut bien vivre de l’agriculture bio. Si ça ne marche pas, j’arrêterais, je ne suis pas maso. » Devant notre tasse de thé et tant d’enthousiasme, on a du mal à l’imaginer décrocher. « L’aventure des Jardins de Courances, le parc, le potager et la plaine est devenue une priorité dans ma vie et j’en suis la première étonnée. C’est que j’imagine, pardonnez ma prétention, que cette propriété de famille, grâce à sa dimension agricole, pourrait rencontrer son époque en répondant à certaines besoins de la terre et des hommes. » Et si Gilles Clément avait raison ?
Les projets d’agroforesterie de Valentine de Ganay sont très intéressants et je les suis depuis 2015. Il est dommage que des photographies plus actuelles n’illustrent pas votre article qui semble juste reproduit de 2015. Ce serait bien de voir le développement des parcelles complantées d’alignements d’arbres. Et je regrette que des panneaux explicatifs n’aient pas été installés au bord des champs de Chalmont ou près des cultures sur sol vivant en allant vers Moigny-sur-Ecole, le long de l’Ecole. Les nouvelles façons culturales restent énigmatiques pour le promeneur qui peut imaginer que ces terres sont abandonnées, s’il compare avec les champs retournés, « propres » et vides de culture durant l’hiver. Si l’on veut combattre l’agriculture conventionnelle et son lot d’engrais chimiques et de pesticides, il faut argumenter le système agroécologique et ses avantages pour la sauvegarde de la nature. Merci de nous donner bientôt à lire un état des lieux actuel. 9 février 2021
Nous assistions hier soir à une conférence donnée, dans le cadre de la foire bio de l’Albenc en Isère, par Mrs Pierre Rabhi et Fabrice Nicolino où il était justement question d’agriculture et de l’avenir de la planète. Ce fut très intéressant. ce Mr Rabhi est génial!
Alors bravo et merci pour votre démarche et votre courage à aller à l’encontre des règles établies et imposées par l’agro-industrie mondialisée!
Et prenons tous conscience , nous consommateurs, que nous avons le pouvoir (notre pouvoir d’achat justement) de changer les choses en privilégiant une agriculture responsable respectueuse de la nature et des hommes.
J’espère que beaucoup d’autres agriculteurs (trices) prendront le même chemin que vous.
oh, que cela fait du bien de lire ce bel article ! je vous avoue que je vous envie un peu ! beaucoup! je vous souhaite vraiment de réussir tout ce que vous entreprendrez – vous êtes dans le vrai – bon courage – bonne chance – je suivrai votre évolution … bien cordialement – Hélène
Bravo pour lancer l’agroforesterie en plaine … Exemple a suivre pour tout le Gâtinais et toute la Beauce.
Un jour on pourra marcher de Paris jusqu’à la Loire sans quitter les ombrages… et la vie diverse fera son retour.
Excellent! Quand on parle au ventre, tout est possible.
Que du bonheur, bravo car des émules naissent à la découverte et à la lecture de tout ce que vous faites.
Je suis moi même en pleine reconversion.
Informaticien en pré retraite, je me passionne pour l’agriculture et notamment l’élevage bio de volailles.
Je suis en quête de tout ce qui me permettra de bien et mieux avancer dans mon projet.
Merci à vous.
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Formidable et intelligent! Brava!
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Magnifique exemple… qui je l’espère inspirera beaucoup d’autres…. Je voudrais seulement signaler que « Le Champ des possibles » est le nom d’une association dont la vocation est d’être une couveuse de jeunes agriculteurs…. Rendons à César ce qui appartient à Jules… Merci Hélène!
MDR……………….!
POURQUOI ?
Je n’ai qu’une chose à dire: Bravo
Merci pour cet article, Cela fait plaisir de voir que Valentine va jusqu’au bout de ses idées. il faut beaucoup de ténacité pour aller se frotter au monde agricole, et surtout l’aborder sous une approche qui le dérange.
Anne Marie et Pierre Jean