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Dans les coulisses du pâté Hénaff

Étudiant au budget serré, matelot voyageur et Breton pur beurre salé ont un point commun. Avoir goûté, au moins une fois, au pâté Hénaff. L’entreprise, installée depuis 1907 à Pouldreuzic (Finistère), non loin des éleveurs de cochons, vend chaque année 35 millions de boîtes bleu et jaune. Visée il y a quelques mois par une vidéo de L214, elle assure apporter une attention particulière au bien-être animal. Oui ! a pu visiter l’usine et son abattoir sur site. Portfolio.

Textes : Claire Baudiffier

Photos : Thomas Louapre

Dans ce coin du Finistère, la vaste plage de Pouldreuzic, où s’écrasent des vagues dignes des plages landaises, étonne. Le village de 2000 habitants, quant à lui, ne laisse pas de doute. Château d’eau aux couleurs bleu-jaune, place « Corentin Hénaff », panneaux de signalisation indiquant ici les expéditions, là le siège.

Nous sommes bien dans le fief du pâté Hénaff, entreprise familiale installée depuis 1907 dans cette petite commune située à une vingtaine de kilomètres de Quimper.

©Thomas Louapre

C’est Jean Hénaff, cultivateur, qui a l’idée de créer une conserverie de légumes. Petits pois et haricots verts récoltés par les familles des alentours convergent alors vers l’usine avant d’être mis en boîte. Il voulait contribuer à sa façon à la prospérité et à l’emploi de ce territoire pauvre et isolé, résume Loïc Hénaff (photo), arrière-petit-fils du fondateur et à la tête aujourd’hui de la société. Aujourd’hui, Hénaff emploie 230 personnes (ils étaient 40 au début du siècle dernier) et génère un chiffre d’affaires de 46,6 millions d’euros (donnée 2015).

©Thomas Louapre

Et si la marque bretonne est connue dans le monde entier, c’est notamment pour son pâté, qui a fait le tour du monde grâce aux marins qui le plébiscitaient. Quelques années après avoir lancé la conserverie (qui peinait alors à décoller), Jean Hénaff se rend compte qu’il y a un marché pour le pâté en boîte. Dans les environs, tous les paysans ont quelques cochons, mais en boucherie, seulement certaines pièces de la bête sont exploitées. Il décide alors de fabriquer un pâté avec toute la masse du cochon, même les morceaux les plus nobles. Du sel, du poivre, des épices et pas de conservateurs, détaille Loïc Hénaff. Une recette inchangée depuis lors… ou presque, puisque le sel nitrité a été retiré en 2012.

©Thomas Louapre

Les cochons sont bretons et proviennent d’une trentaine d’élevages situés à proximité. L’été dernier, la société a été visée par une vidéo de L214, qui indiquait avoir tourné les images dans deux élevages partenaires d’Hénaff. Ces images sont un concentré d’horreur à charge, montées de façon à choquer. On y voit une descente d’organes chez une truie. Oui, ça arrive. Elle avait été mise de côté pour être euthanasiée le lendemain. On y voit des animaux morts mis de côté dans un bac. Oui, ce n’est pas beau, c’est un bac d’équarrissage, réagit le directeur, encore très remonté.

©Thomas Louapre

Depuis quelques années, le doute plane sur le secteur de la viande. Ici, on fait confiance aux éleveurs avec qui on travaille. D’ici peu, on va passer de trente à une vingtaine d’éleveurs, cela va impliquer des contraintes, pour nous comme pour eux, mais c’est la pression sociale qui veut ça. On nous demande d’aller contrôler ce qu’ils font. Le risque est évidemment de rompre la relation de confiance établie. Quant au fait que les porcs soient élevés en bâtiment (comme 95 % des porcs en France), Loïc Hénaff assume : C’est la réalité de l’élevage breton aujourd’hui, mais nous avons un cahier des charges très précis. Pas d’utilisation d’hormones. Les antibiotiques peuvent être utilisés en curatif, mais jamais en préventif.

©Thomas Louapre

Chaque soir, 200 porcs d’environ 6 mois arrivent, après une heure trente maximum de transport (en janvier, une proposition de loi visait à limiter ce dernier à 8 heures au plus, ndlr), détaille le dirigeant. On sait toujours de quel élevage ils proviennent.

Les cochons passent ensuite la nuit dans un bâtiment sombre, la soue. Pour les déstresser, une petite pluie fine est déversée jusqu’au matin. Car la particularité d’Hénaff, c’est de posséder un abattoir sur site pour la fabrication du pâté et les saucisses fraîches.

Nous ne verrons pas la saignée mais les étapes d’après. Sept bouchers (tous des hommes), glissés dans des bottes blanches et une blouse de travail, charlotte et casque sur la tête, masque sur le visage et mains gantées, s’activent. Il fait chaud, plutôt humide et le bruit de fond — la scie électrique et la machine qui flambe les cochon — oblige à utiliser des bouchons d’oreilles et rend difficiles les conversations avec les collègues. 34 porcs sont tués à l’heure. Dans certains grands abattoirs, la cadence peut monter à 800.

©Thomas Louapre

Michel Bosser, responsable production abattoir et protection animale, travaille ici depuis près de trente ans. C’est physique, bien sûr ! On essaie toujours d’améliorer les conditions de travail des salariés, pour que les postes soient moins difficiles. Il y a longtemps, le cochon était découpé à la feuille, maintenant c’est à la scie, sur une plateforme (photo, ndlr), ce qui permet à l’opérateur d’être moins courbé. Pour ne pas faire toujours les mêmes gestes, il change de poste régulièrement.

©Thomas Louapre

À la fin de la chaîne d’abattage, l’inspecteur des services vétérinaires, présent sur place chaque jour, contrôle qu’il n’y a pas de souci. C’est le cas ce jour, les bêtes reçoivent un tampon. Elles peuvent rentrer dans la chaîne alimentaire. Chaque porc sera payé à l’éleveur en fonction de l’épaisseur de gras et de la carcasse, via un prix de référence fixé au marché au cadran, à Plérin. À Hénaff, 20 centimes de plus en moyenne que ce prix, affirme le dirigeant, qui précise valoriser plutôt des porcs un peu plus gras malgré la demande des consommateurs, qui penchent plutôt pour des jambons maigres.

©Thomas Louapre

Place désormais à la découpe, à laquelle le visiteur ne peut pas accéder. Notre savoir-faire, justifie Loïc Hénaff. Le pâté est ensuite mis en boîte, ou plus précisément en conserves — fabriquées dans le Finistère —, après une cuisson à haute température.À peine 48 heures sont donc nécessaires pour passer d’un cochon vivant à un pâté en boîte. Après avoir vieilli six semaines, il rejoindra ensuite les rayons des grandes surfaces. Il s’en vend chaque année (en France, aux États-Unis et au Japon notamment) 35 millions de boîtes.

©Thomas Louapre

C’est un produit très particulier, décalé, qui a réussi à plaire aux consommateurs. Les gens du Sud-Ouest vous diront qu’il est fade mais il est en fait subtil, estime Loïc Hénaff. Pour élargir sa gamme, l’entreprise propose aussi d’autres conserves, fabriquées elles à partir de morceaux de viande achetés (parfois avec les labels bio, bleu-blanc-cœur ou encore Label rouge), le plus possible en Bretagne ou à côté.

©Thomas Louapre

Certaines boîtes spécifiquement conçues partent quant à elle dans l’espace, comme ce fut le cas l’an passé pour l’expédition de Thomas Pesquet. Loïc Hénaff, revenu à Pouldreuzic il y a douze ans, se dit fier de perpétuer l’idée originelle de [s]on grand-père. C’est pas rien, de faire de l’industrie ici ! On est à 650 km de Paris. Sans faire de bien-pensance, on contribue à l’équilibre, attention, pas à la richesse, de ce territoire.

©Thomas Louapre

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