Voilà quelques semaines, la ruche du 3e arrondissement parisien lançait une opération intitulée « Tu aimes ? Je sème ! » Son but ? Permettre à Mickaël, l’un des maraîchers de la ruche, d’innover en matière de semis sans pour autant… se planter. Lionel, responsable de la ruche et de l’initiative raconte.
Mickaël aime les choses bien organisées. Ca tombe bien, dans son coin, la Normandie, ses clients aiment que les carottes soient bien oranges et les tomates bien rouges. Tant pis s’il existe des tas de variétés de toutes les couleurs surprenantes et délicieuses. En revanche, les Parisiens qu’il livre chaque semaine, eux, préfèrent qu’on les surprenne. Les patates violettes, par exemple, ils adorent ! Comment faire pour que ce magicien du légume se sente suffisamment en confiance pour être incité à sortir de sa « zone de confort » s’est-on demandé à la ruche ? La réponse se voyait comme le nez au milieu de la figure, pourtant il a fallu un peu de temps avant de la trouver : demander aux gens, tout simplement.
En effet, la ruche qui dit oui dispose d’un avantage merveilleux. Il s’agit d’une communauté. Les gens qui y sont inscrits et qui la fréquentent sont habitués à être sollicités. Et qui donc mieux qu’eux-mêmes sont capables de dire s’ils ont envie de tel ou tel légume un peu, à la folie ou vraiment pas du tout ?
Belle idée. Reste à la mettre en œuvre. On s’est un peu cassé la tête. On s’est demandé si on allait pas faire un blog. Que voulez vous, quand on est pas très doué en informatique, on invente des solutions à la hauteur de ses capacités. Jusqu’au jour où un membre plein de bon sens propose… de poser la question aux membres de la ruche. C’est ça qui est bien avec les ruches, comme dans une famille, il y a toujours quelqu’un dans votre communauté qui s’y connaît un peu plus que les autres. En l’occurrence, notre sauveur s’appelle Anthony, webmaster de son état. On ne pouvait pas rêver mieux.
Il ne restait plus qu’à faire le travail. Ce qui n’a pas forcément été évident. En effet, le producteur ne vient qu’une fois par semaine, et l’air du rien, mener un dialogue qui permette la sélection des produits est moins évident que cela en a l’air. On vous explique. À ma droite, le responsable de la ruche (moi donc) qui parcourt le catalogue de semences comme un enfant un catalogue de Noël. Je veux ça. Et ça ! Hum, ce truc à l’air tellement bon ! À ma gauche, le producteur, l’homme de terrain. Il sait que telle variété, bien que joliment colorée, n’a que peu d’intérêt gustatif et pourrait s’avérer décevante in fine. Que telle autre est compliquée à faire pousser. Que celle-ci compte tenu de ses rendements coûtera cher à l’achat. S’ensuit une intéressante confrontation du principe de plaisir et du principe de réalité.
Un des intérêts de ce dialogue est qu’il permet à la fois au maraîcher et au responsable de ruche de mieux se comprendre. Quelques illustrations ? Le premier réalise par exemple que certains produits qu’il juge sans intérêt en ont en fait beaucoup aux yeux des membres de la ruche. Le second se rend compte que le maraîchage obéit à des règles de rotation, de rentabilité, de qualité ou d’organisation qui sont très… terre à terre. Et réalise à quel point les maraîchers qui participent à la ruche sont des hooligans de leur milieu. Non seulement, ils ne choisissent pas la facilité mais en plus ils cassent bien des codes ou des habitudes régionales, professionnelles voire familiales.
Une fois que tout le monde s’est mis d’accord sur les variétés à soumettre au vote, il faut réaliser le site. Avec un webmaster, fastoche, me direz vous. Pas tant que cela. Il faut en effet disposer des photos de suffisamment bonne qualité (et attention aux droits de celles-ci…). Il faut donc utiliser la fonction haute définition de votre portable pour photographier le catalogue, faire attention aux reflets sur le papier glacé, tout envoyer sur votre mail, tout télécharger sur votre ordinateur, tout mettre dans un joli dossier, nommer les photos, les envoyer une à une… Bref, ce qui peut sembler être une part contingente de l’aventure n’en est pas une. Opiniâtreté et rigueur sont exigées (mais cela ne dure pas trop, rassurez-vous) sans quoi la qualité finale du travail s’en ressentira. Ah, oui. Il faut aussi payer quelques sous pour l’hébergement du site, etc.
Reste deux étapes : faire vivre les votes et utiliser les résultats. Pour la première étape, on peut imaginer bien des choses : tracts, affiches, pourquoi pas contacter la presse. Pour cette première expérience, nous avons choisi d’en parler de vive voix et sur le mur de la ruche. C’est plus simple, plus direct, plus humain et sans doute la façon la plus immédiate de faire partager l’enthousiasme suscité par cette initiative.
A cet égard, le résultat a été tout à fait à la hauteur de nos espérances. Il y a eu environ 200 votes, une vingtaine de commentaires et beaucoup, beaucoup de bienveillance et de sourires de la part des membres de la ruche. Beaucoup avaient conscience de participer à une modeste et néanmoins très inventive aventure. Les retours des membres de la ruche ont été extrêmement positifs.
Ensuite, les votes ont permis de mettre en valeur des résultats significatifs véritablement utiles pour le maraîcher. La livêche (93 votes et 3 étoiles) et moins attendue que l’estragon (113 votes et 4,5 étoiles) qui l’est moins que la basilic (141 votes et 4,5 étoiles). Gros carton pour les tomates pigeon (155 votes et 4,5 étoiles), alors même que le maraîcher rechignait à les sélectionner. Les petites tomates ne l’intéressent guère. Enfin, un espace réservé aux commentaires a permis de remarquer que le cerfeuil tubéreux suscite l’enthousiasme de quelques uns alors qu’il n’était même pas proposé dans la liste.
L’air de rien, cet outil permet de construire quelque chose d’inédit : permettre à ceux qui consomment de co-élaborer avec ceux qui produisent. Un genre de Fablab du maraîchage. Et puis, cette expérience fait aussi tomber les barrières symboliques. Ce maraîcher est venu pour la première fois à la ruche par hasard, avec son GPS, sans avoir jamais mis les pieds à Paris. Aujourd’hui, il y croise des membres et d’autres producteurs. Tous ont plaisir à échanger. Mais cet échange n’est pas qu’amical. Il est aussi professionnel. Là où il pouvait y avoir hier de la méconnaissance, de l’ignorance, peut-être des a priori, il se tisse aujourd’hui des liens entre des univers éloignés qui ont trouvé leurs modalités d’échange. Ce qui compte tenu de l’épouvantable segmentation du monde dans lequel on vit est un joli pied de nez à tous les marketeurs dont le seul but est de créer des frontières entres les individus afin de mieux vendre leurs produits à leur micro-communauté.
En conclusion, ce qui peut sembler être commun (quoi de plus banal qu’un sondage, après tout), ne l’est vraiment, mais alors vraiment pas. Il s’agit rien de moins qu’une énième petite révolution permise par internet et une innovation née dans ce formidable laboratoire des pratiques de consommation qu’est la Ruche qui dit oui !
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Belle histoire !
J’aime bien en tant que responsable de ruche, donner la parole aux abeilles. Lionel, est-ce que le site permettant de vote pour les légumes existe toujours ? Est-ce que d’autres ruches pourraient l’utiliser aussi ?
Est-ce que les abeilles ont demandé du chou kale ? …
Cdt,
Isabelle (ruche de St Maur)