À l’heure où d’aucuns comme Thomas Brail, se lève pour sauver les arbres que l’on abat sans discernement, en campant notamment à leur cime, nous avons eu envie de rencontrer un arboriste-élagueur sensible…
Qui sont ceux que l’on nomme bien volontiers les « écureuils » et qu’ont à nous apprendre ces grands enfants qui passent le plus clair de leur temps sur un arbre perché ?
Rencontre avec le créateur de « Zuhaitzetan » (comprendre : « dans les arbres » en langue basque), arboriste-grimpeur de l’Euskal Herria.
Thomas qui s’adonnait déjà à la grimpe aux arbres, gamin, n’est pas passé par quatre chemins pour trouver sa branche. C’est à l’école d’élagage d’Hasparren qu’un professeur lui partage sa vision plus sensible du métier. Il se passionne dès lors pour la physiologie des arbres et comprend qu’une grande partie de l’activité consiste à faire co-habiter les exigences de l’homme et les besoins des êtres d’écorce.
« Je discute avec l’homme et je discute avec l’arbre. Quand j’arrive, le client évoque sa problématique. Or, bien souvent, c’est l’homme lui-même qui l’a créée par manque de bon sens, au moment de la construction de la maison par exemple, ne tenant pas compte des essences implantées à proximité des fondations ou comme cette fois où l’on m’a appelé pour un chêne devenu dangereux parce que l’on avait construit sous son houppier une aire de jeux ! »
« Chaque fois que tu abats un arbre, tu enlèves la mémoire du lieu. Mon métier ne sert donc à rien, sinon à répondre aux désirs des hommes. Voilà pourquoi j’ai décidé de le pratiquer en répondant d’abord au besoin vital de l’arbre et de sensibiliser mes clients à celui-ci, afin que nous trouvions ensemble le bon compromis. Et puis, on le sait aujourd’hui l’arbre, habitat de très nombreuses espèces, déclenche la pluie, apporte de l’oxygène, abaisse les températures, sans compter qu’il peut être un vrai compagnon de vie ou de sieste ! (Rires…) Alors quand je vois des gens abattre les arbres de leur jardin et installer quelque temps après des stores parce qu’ils veulent se protéger du soleil, je me dis que l’on marche sur la tête ! D’autant qu’on le sait maintenant du fait des temps de sécheresses, un arbre planté aujourd’hui mettra bien plus longtemps à devenir grand que ces prédécesseurs. »
Thomas commence ainsi toujours par un état des lieux et de santé des enracinés. Je le vois s’éloigner dans un premier temps pour avoir une vue d’ensemble. De retour au pied de l’arbre, je l’observe deviner la santé de la robe de racines, avant que son œil ne s’attarde sur la présence de champignons, de branches mortes… L’arboriste d’évoquer la souche, l’apex, le bourgeon apical, les risques de rupture, tandis qu’il s’équipe : baudrier, harnais, mousquetons, poignées d’ascension, manchettes de protection… J’admire le savoir-faire et la connaissance hors-pair de l’expert en frondaison qui parvient à lancer son petit sac dans la fourche. Casqué, harnaché, cordé, voilà que notre arboriste attaque son ascension.
« Pour comprendre, il faut connaître et pour connaître il faut apprendre à voir ce que l’on regarde ! L’arbre qui tâche de conquérir sa place au soleil a une logique qui n’est pas celle de l’homme. Cet être vivant est bien plus qu’un morceau de bois ! Il faut bien comprendre que l’arbre suit un rythme de croissance, une cadence de ramifications, qu’il déploie des systèmes de défense et de résilience… qu’il communique avec ses congénères… je commence donc toujours par « prendre le pouls » de celui qui me fait face. Je dis souvent aux gens que c’est à l’homme de s’adapter à l’arbre et non l’inverse. Il s’agit en réalité plus souvent d’élaguer les croyances des hommes que de couper les branches soit disant dérangeantes ! »
Notre amoureux de la Nature est maintenant amené à évaluer la situation depuis les hauteurs et à évoluer avec la souplesse et l’agilité d’un écureuil ! Le voici qui coupe une à une à la scie les branches sèches, tout en expliquant que chaque coupe doit être réfléchie, car une plaie à toujours un impact, l’objectif étant de pérenniser le plus possible la vie de l’arbre.
L’homme continue de m’en apprendre sur le sujet, évoquant notamment les coupes franche ou l’arrachage du lierre.
« Il y a des tonnes d’idées reçues sur l’arbre. Prenons celui des coupes. On croit, à tort, qu’une bonne taille va faire repartir l’individu, or si le sujet démultiplie ses repousses, il s’agit d’une grande réaction de stress, qui, si elle se renouvelle, va le fragiliser chaque fois un peu plus. Autre exemple révélateur de notre méconnaissance : le lierre. Étant donné que l’arbre s’adapte, cette couverture de lianes feuillues le protégeant du gel et du soleil, son écorce va « s’affiner » avec le temps. Arracher tout le lierre brutalement pensant que celui-ci étouffe l’arbre peut avoir des conséquences aussi désastreuses que si on vous obligeait à vivre du jour au lendemain sans vêtements alors qu’il neige !
C’est malheureux mais là où l’Homme passe, taille, coupe, fend, souvent l’Arbre trépasse…
En redescendant, Thomas me confie que quiconque monte à la cime de ces êtres à la peau rude et au cœur tendre, change de perspective sur le vivant et que la garde rapprochée pour laquelle il a fait vœu de s’engager lui a offert de grandir intimement. « L’arbre a le don de remettre l’homme à sa place ! Difficile de ne pas se sentir humble face à ces géants qui traversent le temps. »
Après avoir arpenté les branches du chêne, en long, en large (et en travers !), notre ami Thomas se laisse glisser le long du cordage pour avoir de nouveau les pieds sur terre. Je décide de l’emmener voir un être qui m’est cher, un chêne par 8 fois centenaire ! À quelques encablures du lieu où nous nous trouvions, j’escorte Thomas jusqu’au vénérable devenu bien vulnérable. L’arboriste de m’expliquer que la taille sévère qui a été faite par l’Homme des années plus tôt aura altéré la santé du grand-père. Il constate les attaques mycorhiziennes, la sècheresse gravée dans l’écorce, le tronc en cavité… Cette fois, c’est moi qui sens la corde sensible de Thomas vibrer
« On oublie trop souvent qu’avant d’être grand chêne, il a d’abord été gland. Imagine ce que contient celui que je tiens dans la main, fruit de cet arbre pluricentenaire ! C’est une vraie clef USB ! On n’a pas idée de la mémoire inscrite et du patrimoine génétique gravé dans cette « disquette » libérée par un beau matin d’automne par ce roi des forêts ! Il recèle pourtant un mystère grand comme l’univers, qui depuis la nuit des temps relie ciel et terre.»
Il est temps de dire au revoir à notre élagueur sensible, reparti avec le petit fruit du vieux chêne au fond de sa poche, témoignant d’un infini respect à la nature.
Quant à moi, j’ai envie de vous poser une dernière question à l’image de l’œuf ou de la poule, qui du gland ou du chêne serait apparu le premier ?
À méditer…
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