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L'aventure des néopaysans

Paysans d’un premier printemps

Déclinante, la population paysanne accueille de plus en plus d’exploitants qui ont décidé d’embrasser le métier sans être du sérail. Une relève bienvenue pour l’agriculture, mais un choix radical pour les intéressés. Témoignages de quelques-uns de ces convertis passionnés.

Lorsqu’on voit ses parents trimer pour un litre de lait vendu au rabais, l’appel de la terre finit souvent par résonner dans le vide. Refroidis, nombre de fils et filles d’agriculteurs prennent le large et leurs géniteurs la retraite, sans être remplacés. Mais à ce mouvement s’en superpose un autre, en constante croissance : l’arrivée d’exploitants sans lien aucun avec un milieu dont ils doivent tout apprendre. « Ils représentent aujourd’hui plus de 30 % des personnes qui s’installent, précise Jean-Baptiste Cavalier, animateur coordinateur national du Réseau national des espaces-tests agricoles (Reneta) dont l’objectif est de proposer aux futurs paysans de vérifier la viabilité de leur projet en grandeur réelle avant de se lancer. Ils sont même très majoritaires chez les plus de 40 ans. » Et, dans l’ensemble, deux fois plus nombreux qu’il y a dix ans.

Alexandre Hemet et ses nouvelles boucles d'oreille.

En quête de sens

Ils viennent de la ville ou de la campagne, avec ou sans diplôme. Souvent après une reconversion, toujours mus par une furieuse envie de (re)construire différemment. « J’étais cadre dans la logistique, raconte Alexandre Hemet, éleveur de chèvres anglonubiennes au sud de Toulouse. J’habitais un hameau. Tous les matins, je partais en costume-cravate et je croisais mon voisin qui allait dans ses champs. Ca m’a donné envie. » Quand il a fallu trouver un terrain pour le cheval qu’il venait d’acheter à sa femme, s’est fait jour le projet de devenir agriculteur. « J’en avais ras-le-bol du monde de l’entreprise. Je suis toujours tombé sur des patrons qui voulaient faire du chiffre, sans fibre humaine. Ça ne voulait rien dire. La recherche de sens est devenue extrêmement importante. Le sens et l’essence. C’est ça qui permet d’avancer, de garder la tête haute, de se lever avec le sourire. »

Les néopaysans représentent 30% des personnes qui s'installent en agriculture.

L’agriculture, Elodie Bertrand et Laurent Genevois connaissaient déjà. Mais vue du bureau. Conseillers agricoles, ils rencontraient alors nombre d’éleveurs, passionnés par leur travail, fiers de leur production. Ils se sont fait « mordre par le virus », lassés de l’abstraction d’un métier où ils recevaient davantage d’ordres que de reconnaissance. « Je voulais mettre en œuvre ce que je conseillais aux gens, précise Elodie. Faire du concret, aller jusqu’au produit final. »

David et Soizic, nouveaux paysans sur l'île de Quéménès.

Terre en vue

Mais quand on veut embrasser le monde de la paysannerie, encore faut-il savoir autour de quel corps (de ferme) serrer ses bras volontaires. Pas de parents agriculteurs, pas de terre en héritage. La première difficulté pour le nouvel arrivant reste donc de dénicher une surface financièrement accessible – presqu’une gageure lorsque se conjuguent diminution des surfaces disponibles et augmentation du prix du foncier*. Ce n’est heureusement pas toujours le cas. « Si vous acceptez une terre de coteaux, peu riche et sur de petits hectares, ça se trouve », nuance Alexandre Hemet, qui reconnaît toutefois sa chance d’avoir rapidement repéré une exploitation qui « n’intéressait pas grand monde ».

Corine et Claude Domin, eux, n’ont pas de projet agricole quand ils partent en quête d’un terrain. Un an après leur rencontre, ils cherchent juste à s’installer à la campagne. La découverte d’une pisciculture abandonnée depuis dix ans dans un village du Tarn leur fait l’effet d’un coup de foudre et, portés par la dynamique de leur nouvelle histoire, ils foncent. Une tournée des banques et un long défrichage plus tard, ils s’installent en tant qu’agriculteurs.

On a mis cinq ans pour arriver à comprendre comment gérer la ferme, anticiper les stocks, communiquer avec les vaches. Et il y a des erreurs qu’on paye très cher pendant un ou deux ans.

Sur le tas

Le rêve est atteint, place à la réalité. La terre, c’est un métier et les novices n’ont pas de famille pour les guider. Pour ne pas partir complètement de zéro, restent les formations. Pas franchement suffisantes pour ces néopaysans, conscients qu’il leur faudra avant tout apprendre sur le tas. De quoi se sentir seuls, parfois. Heureusement, les moyens d’information ne manquent pas : documentation sur Internet, forums d’éleveurs, vidéos Youtube et, surtout, agriculteurs voisins disposés à partager leur savoir, permettent de faire ses armes. On observe, on se lance… et l’on se forge sa propre expérience à coups d’erreurs.

Élodie et Laurent, désormais éleveurs de vaches laitières installés entre Orléans et Le Mans, mettent « cinq ans pour arriver à comprendre comment gérer la ferme, anticiper les stocks, communiquer avec les vaches. Et il y a des erreurs qu’on paye très cher pendant un ou deux ans. » Autour d’eux, les agriculteurs pur souche affichent une curiosité certaine. « Au début, beaucoup de gens passaient en voiture devant la ferme, plaisante Elodie. Ils venaient voir comment on se débrouillait. On était « les conseillers ». Depuis, ils ont fait leurs preuves, prouvé leur capacité à durer et même récolté un « on est fiers de vous ! » d’un paysan du coin.

Agnès Papone ou le bonheur de découvrir un nouvel horizon. © Matthieu Chanel

Il fait quoi, le nouveau ?

Pour durer, ils ont dû ajuster. Le manque d’expérience a ceci de bon qu’il incite à questionner sans cesse ses pratiques et chez les Papone, maraîchers bio installés à une heure de Nice après une reconversion improvisée, ça n’arrête pas. « Tous les ans, on remet tout à plat, explique Agnès. Comme une start up. » Plus modernes, les nouveaux ? « Peut-être pas plus modernes, mais ils ont une vision différente et assez innovante de l’agriculture, juge Jean-Baptiste Cavalier : traction attelée, autoconstruction de matériel, système de production plus agroécologique, circuits courts… Et le lien social avec le client leur est important car ils sont venus à l’agriculture en tant que consommateurs ».

Corine Domin approuve et estime les néopaysans « beaucoup plus agressifs sur la vente », avec flyers et utilisation assidue des réseaux sociaux. Il faut dire qu’ils n’ont pas de tradition à perpétuer. « Nous avons un voisin qui voudrait faire de l’agriculture raisonnée mais son père refuse, continue Agnès Papone. Nous, nous n’avons de compte à rendre à personne. On choisit ce qu’on prend et ce qu’on laisse. » Même son de cloche chez Élodie et Laurent, qui ont choisi la voie de l’énergie photovoltaïque et de la vente directe et n’ont aucun état d’âme à ne pas rejoindre une coopérative. Un petit vent frais qui permet de « redécouvrir l’agriculture par des gens de l’extérieur. »

Pâture, mécanique, laiterie, menuiserie… en agriculture, on découvre vingt métiers différents !

Alors, heureux ?

Pas de doute, la confrontation avec la réalité du travail agricole est rude. Beaucoup doivent oublier les vacances (pas tous !), découvrent le poids de l’aspect administratif et vivent difficilement de leur production. La foi d’Élodie a été mise à rude épreuve, mais elle sait aujourd’hui que ses yaourts ont bonne réputation. Du concret, enfin, et de la diversité : « Pâture, mécanique, laiterie, menuiserie… on découvre vingt métiers différents ! ». Agnès se passionne autant que lorsqu’elle s’engageait dans la recherche sur le Sida et envisage, avec son époux, des activités complémentaires – enseignement ou parrainage. Alexandre est un « converti convaincu et heureux » qui goûte sa liberté nouvelle et apprend, avec l’acceptation du rythme et des humeurs de la nature, « à moins s’en vouloir et à s’aimer un peu plus ».

Le bilan est plus mitigé pour Corine, en revanche. Si leur pisciculture naturelle (pêche de loisir et transformation des produits) a très vite décollé, le couple a la cinquantaine fatiguée. « Mon mari a mis beaucoup de temps à se voir en chef d’entreprise, il ne réfléchissait pas comme un patron, mais toujours comme un salarié » . Rattrapé par une charge de travail qu’il n’imaginait pas si lourde, il songe à lâcher avant de se reprendre. Et malgré le cadre idyllique, les sacrifices creusent des regrets – les amis et les enfants se font rares, les voyages ont été relégués au rang de souvenir et les investissements succèdent aux investissements. « C’est un paradoxe : nous sommes heureux de vivre ici, ce métier reste une belle découverte mais on se sent emprisonnés. Sans diplôme, on n’a aucune chance de faire autre chose aujourd’hui, on doit continuer ». Entre passion et obligations, le curseur vacille parfois.

 

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* Les terres et prés libres non bâtis sont passés de 4 690 €/ha en 1997 à 7 230 €/ha en 2015 en grandes cultures, de 3 680 à 5 620 €/ha en polyculture-élevage et de 3 030 à 4 500 €/ha en élevage bovin, source Terres d’Europe-Scafr d’après Safer.

2 commentaires

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  1. Très intéressant comme analyse, le travail de la terre c’est dur et c’est pas facile de s’installer et d’en vivre, ici dans le sud Berry (sud de l’Indre) de nombreuses petites fermes sont délaissées pouvant être transformées en structures de maraichage bio ou d’autres projet innovant. Avis aux amateurs…David

    1. Nous sommes justement en train de chercher un lieu, mais nous n’avons pas un budget correspondant aux offres que nous trouvons sur le marché, alors je réponds à David, nous sommes amateurs, comment faire. Voici l’annonce que j’ai posté sur plusieurs site…: »Couple avec un enfant de 5 ans recherchons une maison avec du terrain à acheter ou à louer. Artiste et art-thérapeute, 37 ans madame cherche à exercer son activité à domicile et pourra donner une plus-value artistique à la maison. Ethno-maraîcher en permaculture, 42 ans monsieur saura valoriser le terrain, l’enrichir et architecturer l’extérieur. Nos activités professionnelles sont pour l’instant en Alsace du Nord, mais nous sommes disposés à bouger. Notre projet professionnel à long terme est de créer un lieu de vie alliant culture de la terre et cultures artistiques. Nous sommes prêts à partager ce projet avec des personnes aux mêmes valeurs humanistes, dans le respect et la tolérance. (Maisons séparées, mise en commun du terrain et de structures collectives par exemple) » Si vous avez des conseils ou des tuyaux à nous donner, merci

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