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Patrick Lombric, reporter au coeur de la terre (épisode 1)

Il y a deux semaines on m’a dit : Patrick, raconte-nous les sols de l’agriculture intensive. Alors j’ai pris mes cliques et mon sac pour enquêter incognito au coeur de la terre. Direction une exploitation plutôt balèze : 648 hectares de cultures de céréales cultivés depuis plusieurs générations. Comment ça s’est passé ? Je vous raconte tout. 

A mon arrivée, le paysage semblait s’être réduit à deux dimensions. Pas un arbre à l’horizon, juste des champs extra plats. Déprimant ? Sans doute un peu, d’autant que j’étais sûr de ne pas croiser beaucoup de cousins. Car à l’école des lombrics on vous l’apprend : la monoculture, c’est le nomansland des vers de terre. Dans ce genre de champ, on n’est que 103 kg par hectare et à peine 4 espèces différentes. Alors que dans une belle prairie permanente, on se retrouve à plus de 1450 kg par hectare et 11 espèces, c’est plus excitant. Oui, nous les vers de terre on nous compte en kilos, c’est plus simple et ça va plus vite. Mais il faut savoir que l’on peut être plus de 3 millions par hectare. Pour vous donner une idée, ça fait à peu près l’ensemble des Parisiens concentrés sur un terrain de foot. Vous voyez un peu le truc. Bon en même temps, là tout de suite dans mon champ, c’était un peu l’antithèse du stade de France.

Chaque fois que je croise Stéphane Le Foll, il me dit «salut et merci mon camarade» !
Chaque fois que je croise Stéphane Le Foll, il me dit «salut et merci mon camarade» !

Pour évaluer l’état de la terre, j’ai commencé à creuser. C’était dur comme du béton. Une sacrée semelle de labour comme disent les agriculteurs dans le coin. Moi je dis qu’il n’y a pas de quoi la ramener. Sur 30 centimètres, la terre était tellement tassée que j’ai eu un mal fou à fourrer mon nez. Même les racines du blé au lieu de filer droit dans le sol ont pris la tangente. Elles se sont mises à pousser à l’horizontal. Vachement naturel le truc. Au bout de 2 heures, j’étais lessivé.

Aussi j’ai choisi de sortir mon gadget numéro 1, l’attrape-lombric à la mode de Dijon. Un arrosoir d’eau dans lequel j’ai ajouté 2 grosses cuillères à soupe de moutarde. C’est un truc de naturaliste qui fonctionne à tous les coups. Un genre d’appeau à vers de terre. J’ai pulvérisé ma vinaigrette-maison sur le sol et attendu. D’habitude, c’est l’éclosion : tous les vers remontent à la surface pour prendre l’air. Ca permet de se compter et d’évaluer la qualité de la terre (plus on est, plus elle est riche). Là, le grand bide. Seuls quelques potes sont arrivés. « Ben alors les gars, la moutarde ne vous monte plus au nez ? ». L’ambiance n’était pas à la déconne. Sans rien dire, ils m’ont encerclé, ont commencé à parler, tous ensemble au début dans une cacophonie pas possible. Puis Dominique a sorti son drapeau CVT (la Confédération des vers de terre), est montée sur une motte et a résumé.

« Ici, on nous chasse chaque année un peu plus. Au début, ils sont venus avec leur tracteur et ils ont labouré la terre sur 30 centimètres, explique la porte-parole. On a perdu toute notre famille des Enchytréïdes, nos cousins qui aiment le sol de surface. Ceux qui ont survécu n’avaient plus une feuille en décomposition, plus un gramme de matière organique à se mettre sous la dent. Rien, nada. Alors on s’est réfugiés plus bas dans la terre au pays des lombrics et on a creusé à nouveau nos galeries, on a mangé la matière organique, avalé un peu d’argile et restitué le tout à la nature gentiment (je vous fais pas un dessin, hein ?). Grâce à nous, les plantes trouvaient de la nourriture prête à être absorbée. A nous tous on a réussi à boulotter jusqu’à 400 tonnes de terre par hectare les premières années. On faisait notre boulot. Toute la micro-faune était contente, les collemboles, les staphulins, les gloméris… Le sol était riche, brun, aéré. Ca sentait bon. Et puis ils ont recommencé. »

« Ils se sont mis à labourer à un mètre de profondeur ? » demandais-je ? « Pire, on nous a empoisonnés au compte-gouttes. Un désherbant par-ci, un engrais par-là. Et voilà nos parents malades, mourants, décimés. On a bien essayé de nous enfuir mais 100 mètres plus loin c’était encore pire. On était coincés.»

"Avant, notre vie elle était comme ça", sanglote Dominique.
« Avant, notre vie elle était comme ça », sanglote Dominique.

« Aujourd’hui on crève à petit feu, poursuit Véronique, la plus jeune de la tribu. On n’a plus rien à manger, il n’y a plus ni nématodes, ni protozoaires, ni rotifères, ni bactéries, ni champignons à se mettre sous la dent. Eux aussi ont été exterminés. Quand il pleut, on ne récupère plus une goutte. Normal, notre système d’écoulement des eaux ultra sophistiqué faits de broderies de galeries n’existe plus. Résultat, la pluie ruisselle sur le sol, charrie les résidus chimiques et se déverse dans les rivières. Sans nos couloirs, les racines du blé ne s’enfoncent plus dans le sol, il est trop dur. Elles stagnent à la surface. Et comment font-elles pour trouver les bons nutriments qu’on savait leur offrir par nos jolis cacas ? Potassium, phosphore, magnésium : terminé ! C’est bien simple, aujourd’hui, la terre ne respire plus, ne s’enrichit plus, elle étouffe ! Faut pas nous en vouloir, on n’a plus la force de creuser. Et on est si peu… »

Comme j’aime bien sortir ma science, je rappelle les propos de Darwin : « la charrue est une des inventions les plus anciennes et les plus précieuses de l’homme, mais longtemps avant qu’elle existât, le sol était de fait labouré par les vers de terre et il ne cessera jamais de l’être encore. » Ils l’ont oublié là-haut ?  L’assistance baisse la tête. Moi ça fait deux heures que mes yeux picotent et la moutarde n’y est pas pour grand-chose. La réponse est oui : certains agriculteurs intensifs l’ont complètement zappé.

En attendant, je commence à flipper. Que vais-je ramener au bureau à Paris ? Quelques images de vers de terre au chômage technique, des clichés d’épis de blé qui n’ont plus d’auxiliaire pour pousser, plus d’itinéraires balisés pour étendre leurs racines, plus de sol aéré, plus de nourriture facilement disponible. Le vide, rien que du vide. Pour un premier reportage, ça commence bien. I’m a poor lonesome wormboy…

 

Résumé de l’épisode pour expliquer la morale de tout ça à ses enfants
Patrick Lombric a été envoyé dans un grand champ bien uniforme pour mesurer l’impact de la culture intensive sur les sols. Les terres malmenées par des années de labour et de traitements chimiques ont détruit une grande partie de la faune du sol, vers de terre compris. Pour Patrick, c’est le choc car les lombrics de son espèce jouent un rôle majeur pour la santé du sol…

  • Ils aèrent la terre en creusant des milliers de kilomètres de galeries qui permettent : 1/ à l’eau de s’écouler dans le sol (au lui de ruisseler en surface des champs) 2/ aux racines de pouvoir s’étendre à la verticale et trouver à manger au fond de la terre.
  • Ils mangent matières organiques et argiles, les deux composantes du sol et restituent le tout dans des crottes hyper riches en potassium, calcium, phosphore… Tout ce que les plantes adorent.
  • Ils retournent la terre mille fois plus naturellement qu’un tracteur sans détruire les autres bébêtes qui vivent dans le sol.

Bref, Patrick est dépité. Saura-t-il retrouver son optimisme légendaire ? Vous le saurez dans sa prochaine enquête. A suivre…

 

 

 

4 commentaires

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  1. Il existe encore heureusement de gentils agriculteurs, comme mon compagnon, qui pratique le semi direct et a arrêté tout travail du sol malgré la pression familiale (béh oui, son père, son grand père et le père de son grand père labouraient). Avec quelques confrères, ils se réunissent régulièrement pour avoir un retour plus important sur le changement de type d’exploitation, et il n’y a pas photo, les amis les vers de terre se portent à merveille et les rendements sont beaucoup plus importants que ceux des voisins bornés.
    La morale à tous ça, c’est qu’il faut se remettre en question, raisonner et redonner sa place à la nature, parce qu’au final, elle gagne toujours (du moins, je l’espère).

  2. Vivement le prochain épisode !
    En maitre composteur que je suis (et donc très copine avec les lombrics !), j’apprécie le ton de Patrick. Sans être moralisateur, il fait passer le message qu’il faut. bravo. 🙂

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