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Bonbons de tradition

Charlie et la confiserie

La confiserie.
La confiserie.

Tout le monde rêve de visiter une usine de bonbons – surtout s’il s’agit de bonbons artisanaux. Alors imaginez la joie du jeune Charlie Bucket quand il décrocha son ticket d’entrée pour la confiserie Cruzilles ! À l’intérieur, il allait découvrir le cœur encore palpitant d’une tradition locale vieille de dix siècles…

Tout le monde connait la pâte de fruit... Mais d'où vient-elle ? © Thomas Louapre.
Tout le monde connaît la pâte de fruits... Mais d'où vient-elle ? © Thomas Louapre.

Charlie Bucket était un petit garçon et sa famille était très pauvre. Il vivait avec ses parents, ses grands-parents, ses arrière-grands-frères, ses petits oncles, ses cousins par alliance et ses nombreux animaux de compagnie dans une minuscule maison de bois en bordure de Clermont-Ferrand. Tous les matins sur le chemin de l’école, Charlie passait devant la Confiserie Cruzilles et les odeurs qui montaient des cheminées ensorcelaient son imagination…

« C’est la dernière usine de c’genre en Auvergne », affirma son arrière-beau-neveu. « Au nord d’la ville, y’a la terre la plus riche d’Europe, dans la plaine de la Limagne. Le sol y est basique, c’est grâce aux volcans. Dans l’temps, la Limagne était toute couverte de vergers, on y produisait des tas d’fruits. Les confiseurs se sont installés dans l’coin : l’idée c’était de vider les fruits d’leur eau, puis d’remplacer cette eau par du sucre pour les conserver toute l’année. »

– « Mais dis moi, pourquoi il n’y a plus d’arbre dans la région ? » l’interrogea Charlie.

– « Brave p’tit, va ! C’est toujours la même vieille histoire… Les fruits, à partir des années 1980, on est parti les faire au Sud et dans les pays où les gens coûtent moins cher. Aujourd’hui dans la Limagne, on fait des céréales comme en Beauce. À la façon des autres industries, le secteur d’la confiserie s’est concentré. Tous les artisans de la région ont fusionné en 1886 pour fonder l’usine Cruzilles. Depuis elle tient bon. J’ai toujours rêvé d’y voir à l’intérieur, mais j’crois bien que je suis trop vieux maintenant… »

Les vapeurs donnent le tournis... © Thomas Louapre.
Les vapeurs donnent le tournis... © Thomas Louapre.

Un jour de novembre, dans l’emballage d’une pâte de fruits, Charlie découvrit un ticket d’or : il n’en crut pas ses yeux. Il avait gagné la grande loterie de la confiserie Cruzilles ! Seuls quatre enfants au monde, dont lui, auraient donc le privilège de découvrir l’usine de l’intérieur… Toute la famille de Charlie se réjouit pour lui. Son demi-père-germain par alliance l’encouragea même d’une tape dans le dos, les yeux mouillés de larmes.

Les petits visiteurs furent accueillis tôt le matin par Tony Capizzo, le directeur commercial, qui les fit entrer dans un immense espace de 5 000 m². Quel spectacle s’offrit à eux ! Alors que le groupe zigzaguait entre les chaudrons fumants, les tapis de triages et les tuyaux énormes, Tony égrainait des chiffres impressionnants : « Voyez-vous, chez Cruzilles nous fabriquons 1 000 tonnes de produits par an, et nous consommons 600 tonnes de sucre ! Nous avons 55 salariés à l’année, mais à l’approche du réveillon, nous doublons presque nos effectifs, car les fêtes représentent 80 % de notre activité ! »

Les fruits sont confits dans des solutions plus ou moins concentrées en sucre. © Thomas Louapre.
Les fruits sont confits dans des solutions plus ou moins concentrées en sucre. © Thomas Louapre.

Intimidé par le bruit des machines et l’effervescence des ouvriers, Charlie se cramponnait à la main du guide. Celui-ci s’arrêta pour détailler les deux grandes activités du lieu : « À ma gauche, chers amis, vous pouvez voir les pâtes de fruits, qui constituent la moitié de notre volume d’affaire. Pour simplifier, il s’agit d’une confiture mais un peu plus sèche et avec légèrement plus de pectine comme gélifiant. Tout commence logiquement avec la pulpe de fruit que l’on cuit dans un chaudron de cuivre. On laisse la pâte refroidir, puis on la découpe en carrés, ou bien on lui donne des formes fantaisie grâce à nos moules en amidon. C’est un peu comme des moules en farine que l’on peut réutiliser plusieurs fois, en leur imprimant des motifs différents. C’est pour cela qu’en plus de sentir le fruit, notre usine sent la boulangerie ! » Les enfants s’approchèrent des moules en salivant.

Tony continua : « À ma droite, chers amis, vous pouvez voir les fruits confits. C’est l’autre moitié de notre chiffre d’affaires. On peut confire presque tous les végétaux imaginables : les mandarines, les prunes, les abricots, les marrons, les melons, les piments, les citrons… Ce sont des produits semi-finis que nous vendons aux petits artisans qui s’en servent ensuite pour leurs créations. Nos clients sont surtout des pâtissiers ou des chocolatiers, mais vous pouvez aussi retrouver nos fruits confits dans les créations d’un fromager ou celles d’un producteur de foie gras. Nous avons 2 500 clients et plus de 800 références : nous faisons presque du sur-mesure ! »

Les bâtonnets d'orange sont triés à la main ; aucun défaut n'est toléré. © Thomas Louapre.
Les bâtonnets d'orange sont triés à la main ; aucun défaut n'est toléré. © Thomas Louapre.

Pour confire un fruit ou un légume, il faut l’immerger dans un sirop puis le cuire lentement pendant deux semaines entre 50° et 75°. Cette cuisson peut se faire dans une étuve, une cuve, ou même plusieurs cuves de plus en plus concentrées en sucre. Tout dépend du produit de base : c’est une vraie science. Face à ce spectacle, n’en pouvant plus de gourmandise, un des garçonnets du groupe s’approcha dangereusement d’un immense récipient avec la salive aux lèvres. Il glissa, tomba dans le liquide, fut confit en un clin d’œil puis transformé en bâtonnets. Tony piocha dans l’accidentelle production pour la goûter. Il rendit son verdict en grimaçant : « Ce n’est pas bon. Décidément, les petits garçons sont très difficiles à confire. Tout comme le raisin, d’ailleurs, qui n’a pas de structure propre une fois débarrassé de son eau. La banane nous pose également de vraies difficultés. »

– « Et quelles nouveautés imaginez-vous pour les mois qui viennent ? », demanda une petite fille curieuse.

– « Eh bien, ma chère, nous imaginons 30 nouveaux produits par an, alors c’est dur à dire… En 2017 pour nos pâtes de fruits, nous travaillerons sur le citron-vert, et même des goûts cocktail comme le mojito. Faire autant d’essais, ça comporte des risques. Notre smoothie à la guimauve, par exemple, n’a pas rencontré le succès. »

Le piment d’Espelette confit : un rubis de table qui magnifie les fromages frais. © Thomas Louapre.
Le piment d’Espelette confit : un rubis de table qui magnifie les fromages frais.

La petite fille curieuse exigea de goûter ce fameux smoothie sur le champ. Tony répondit que c’était une mauvaise idée car, quand un produit n’est pas aimé des gens, il n’aime pas les gens en retour. Mais la petite curieuse n’en fit qu’à sa tête, vola la sucrerie sur une étagère et l’avala d’un seul coup. Soudain, tout son corps prit une consistance chamalloweuse, ses jambes ne la portèrent plus et la pauvre s’aplatit comme une chiffe au sol. La visite put donc continuer.

Il ne restait plus que Charlie et un autre garçonnet, qui était très arrogant et manifestement trop gâté. Tony les fit entrer dans la pièce où étaient stockées les matières premières. Il insista sur le fait que l’origine des fruits était très importante. Il fallait toujours aller les chercher au plus proche, en France idéalement. Il énuméra. « Nos fraises sont d’Auvergne, nos poires des Alpilles, nos abricots du Luberon… Par contre, nos agrumes sont d’Europe du Sud. » Rien n’était laissé au hasard : la variété du fruit comme son stade de maturation pouvaient avoir un impact sur la confiserie finale. C’est d’ailleurs pourquoi Tony devait se rendre la semaine suivante en Corse pour y choisir les meilleures clémentines.

– « Et le sucre ? », lança le petit garçon trop gâté.

– « Le sucre vient du plus près », fit Tony, « car la sucrerie du Bourdon se trouve seulement à quelques mètres d’ici ; ils travaillent avec des betteraves. »

La pâte de fruits, encore chaude, est coulée dans des moules en amidon. © Thomas Louapre.
La pâte de fruits, encore chaude, est coulée dans des moules en amidon. © Thomas Louapre.

Pour terminer la visite, Tony montra la salle où les produits finis étaient emballés. Il expliqua que les fruits confits s’exportaient dans le monde entier, depuis la pâtisserie Pierre Hermé de Tokyo jusqu’aux hôtels de luxe des Émirats ; par contre la pâte de fruits restait une pratique bien française plutôt réservée aux seniors (bien que, chez Cruzilles, on essaye de secouer cela). Le petit garçon trop gâté voulut cacher dans sa poche des confiseries au sirop d’érable, mais sa manche se prit dans la conditionneuse. Il fut empaqueté puis immédiatement exporté jusqu’au Québec. Il ne resta donc plus qu’un enfant : Charlie.

– « Alors, j’ai gagné l’usine, c’est bien cela ? », fit Charlie gonflé d’espoir.

– « Ah non, pas du tout » s’étonna Tony, « c’est une entreprise familiale et ça le restera. »

– « Mais toute cette visite n’était pas un test pour choisir l’enfant le plus méritant ? »

– « Non, tiens, mais ça ferait un bon roman, ton histoire ! »

Charlie rentra chez lui le cœur lourd. À la maison, toute sa famille l’attendait impatiemment dans le salon. En le voyant entrer, sa mère-jumelle-adoptive joignit les mains : « Alors, t’as gagné l’usine ? »


Pour voir plus de photographies de l’usine, consultez l’album entier !

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