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L'agriculture bio est un combat

Champ de batailles

Vincent Hubert est un éleveur, boxeur amateur à ses heures. Entre deux traites, trois réunions et quatre enfants, il s’offre quelques crochets dans le club du village voisin. Vincent Hubert est un éleveur, boxeur amateur à ses heures et ça tombe bien, sa vie d’agriculteur biologique est un combat. Résumé des quatre premières manches.

Vincent élève 27 vaches (et leur suite) sur 40 hectares au coeur de l'Avesnois, une région où l'on tente de préserver le bocage. ©Thomas Louapre

Attaque : la famille

« À partir du moment où l’on est passé en bio, une partie de la famille et des voisins ne nous a plus parlé », témoigne Carole aux mêmes yeux bleu délavé que son mari. « Il y a un peu plus de 40 ans, Vincent est né ici au cœur du Parc naturel régional de l’Avesnois. Saint-Aubin : 374 habitants, 48% de votes Front National aux dernières élections, 17 kilomètres de la frontière belge. « Mes grands-parents, mes parents, mes oncles habitaient dans le village, raconte l’éleveur poids mi-moyen malgré son mètre quatre-vingts. Avec mon frère, on est la 4e génération d’agriculteurs, celle qui suit le déluge. »

Si tu mets rein, t’as rein, m’a dit mon père lorsque j’ai abandonné les pesticides.

Après-guerre, son grand-père fabriquait du beurre à la ferme qu’il vendait sur les marchés de gros à Avesnes. Au début, ça marchait bien, jusqu’à l’avènement du beurre industriel dans les années 60. « Mes oncles ont tout dilapidé, rappelle Vincent. On ne peut pas être éleveur et trop faire la fête, ça ne va pas ensemble. » Quand vient son tour dans les années 90, Vincent ne se voit pas pour autant prendre un autre chemin. Il s’installe en 1997 sur 3,5 hectares avec deux vaches et fabrique lui-même son fromage. Au fil des années, il grignote quelques morceaux de terre par-ci, par-là, s’associe un temps avec son père, se fâche avec lui dans la foulée, se marie avec Carole, s’embrouille avec son beau-père pour qui il faut être « intensif, performant, rentable sinon tu n’existes pas » et se convertit au bio en 2003. « Si tu mets rein, t’as rein, » m’a dit mon père lorsque j’ai abandonné les pesticides. Dans la région de Bonduelle et de McCain, une des plus intensives de France, les stéréotypes ont la vie dure. « À partir de ce jour-là, on a commencé à nous regarder de travers. Le monde agricole est un monde de castes, » se désole Carole.

Les vaches passent à la traite deux fois par jour après avoir brouté les prés et mangé les céréales produites sur la ferme. ©Thomas Louapre

Coup d’arrêt : la maladie

Au début des années 2000, avec son petit troupeau, Vincent essaie de redresser la barre de l’exploitation. Il a désormais 68 vaches et 40 hectares bordés de haies qui forment le bocage de cette verte région. Une vie d’éleveur classique avec ses joies et ses peines jusqu’en 2002. « Un jour, je me suis allumé au désherbant de maïs. » Vincent est alors sur son pulvérisateur quand, au milieu de son champ, le boitier explose et envoie dans la cabine un énorme jet de pesticides. « Je me suis caché les yeux, la bouche, mais il y en avait partout. » Un mois plus tard, l’éleveur saigne du nez, son foie a doublé de volume, certains matins, il est incapable de se lever.

« Au début, je me suis dit que c’est parce que j’avais trop fait le con dans ma jeunesse, que j’avais trop picolé et puis un vieux médecin a fait le lien : les pesticides m’avaient empoisonné. » A partir de ce jour, et sans transition, Vincent jette aux orties tous les produits chimiques. « J’ai pris un grand virage sans rien préparer, c’était un peu une connerie parce que certaines bêtes n’ont pas supporté mais c’était pour moi une question de survie. » Dix huit mois plus tard, son exploitation est estampillée AB, Normandes et Montbéliardes se partagent les prés, Carole fabrique de délicieux fromages. Aujourd’hui, Vincent n’a pas retrouvé toutes ses plaquettes et les médecins refusent de l’anesthésier, même pour enlever des dents de sagesse, mais au quotidien, ça va plutôt bien. Ce soir, il enfilera ses gants pour distribuer ses uppercuts.

Carole, ex-comptable, se charge de la fabrication des fromages. "Le moment que je préfère, c'est quand tu brasses le caillé à mains nues." ©Thomas Louapre

Balayage : l’administration et la banque

« Avant, on était marginal, aujourd’hui, on est minoritaire, s’amuse Vincent qui a vu dans sa région le nombre d’agriculteurs bio tripler en 6 ans. Depuis quelques années, la profession s’organise. En 2012, Carole rejoint la coopérative Norabio, une émanation du Groupement des agriculteurs biologiques du Nord, le GAB comme on dit dans le milieu, pour développer la crèmerie bio dans la restauration collective. Rapidement, collèges, crèches et lycées s’arrachent les yaourts de la ferme, près de 10 000 sont fabriqués chaque semaine.

J’aimerai mon métier quand on arrivera à en vivre, explique Carole. Le monde agricole, c’est dur. 

« J’avais réussi à sortir des yaourts nature à 26 centimes les 100 grammes, raconte Carole. Comme mon laboratoire n’était pas équipé en conditionneuse, je les préparais le week-end dans l’atelier relais du CFPPA de Lequesnoy à une vingtaine de kilomètres. C’était hyper fatigant, je ne voyais plus mes enfants, mais on y arrivait. » En novembre 2015, uppercut : le CFPPA arrête de louer son local. Impossible, donc, de produire les yaourts. L’ex-comptable n’est pas du genre à se lamenter devant son tank à lait. Ni une ni deux, elle dessine l’extension de la fromagerie, fait estimer les travaux et dépose un dossier auprès du Crédit Agricole pour créer un atelier à la ferme. « On nous a refusé l’investissement de 150 000 euros alors qu’il était amorti en 3 ans », se désole la fromagère. Aujourd’hui, Carole a dû jeter les pots de yaourts qu’elle avait spécialement imprimés pour l’occasion et, entre deux fabrications de fromages, repart à la chasse aux financements.

Esquive : la laiterie

Autour d’une carbonade flamande concoctée par les filles de la maison, Vincent raconte ses dernières péripéties. Une histoire de charte ou celle d’agriculteurs priés de ne pas faire de vagues dans le monde de l’agroindustrie. Voilà l’affaire : depuis 10 ans, l’éleveur vend son lait bio à la laiterie Ucanel (qui, elle-même, le revend à Lactalis) à 46 centimes le litre, un prix qui rémunère justement sa production. Chaque jour, comme dans toutes les exploitations, le collecteur passe récupérer les quelques 500 litres de la ferme et effectue une analyse des cellules pour savoir si le lait est conforme. « Lorsque j’étais en conventionnel, je n’avais jamais de problème de cellules, depuis que je suis en bio je suis régulièrement sanctionné, j’ai trouvé ça suspect. » Vincent, qui n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds,  monte au créneau, embarque dans sa course d’autres éleveurs, alerte le CRIEL (Centre régional interprofessionnel de l’économie laitière) et obtient gain de cause : la laiterie doit rembourser les pénalités aux éleveurs sur 2 à 3 ans. « A ce moment-là, un ami m’a dit : tu as eu raison de le faire mais tu vas le regretter. »

Les quatre enfants ont un fromage qui porte leur nom. L'aventure de la ferme, c'est celle de toute la tribu. ©Thomas Louapre

C’était peu de le dire. Depuis, Vincent est en ligne de mire de la laiterie. « Chaque laiterie a sa propre charte d’élevage et décide si, oui ou non, les fermes entrent dans son cahier des charges. Après 10 ans de bons et loyaux services, l’été dernier, la laiterie a décidé que nous n’étions plus chartables et, sans nous prévenir, nous a payé notre lait au prix du conventionnel, soit moitié moins. » Carole et Vincent décident alors de quitter la coopérative, de se tourner vers Biolait, tout prêt à les accepter. Mais c’était oublier le contrat de 5 ans qui les enchaîne à leur laiterie. « On n’a pas d’autres choix que de patienter jusqu’en décembre 2017 et, en attendant, de tout vendre en direct. Car ça, on ne peut pas nous le refuser. »

Depuis le début de l’année, Carole et Vincent ont divisé par deux leur production de lait et repris le chemin de la vente directe. Habitués aux coups, ils sont remontés sur le ring plus combatifs que jamais. Aujourd’hui, ils fabriquent des fromages dont certains portent le nom de leur tribu – Macrar (Marine, Crystal et Arthur) et Vicaro (Vincent, Carole et Robin) – et les vendent directement aux consommateurs. Vincent s’est même lancé dans le veau élevé sous la mère pour se diversifier. « Aujourd’hui, si l’on s’en sort, c’est parce qu’on est 6, se félicite Carole. Les enfants sont tous de la partie. »

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Pour voir l’album photos de la ferme, c’est par ici.

14 commentaires

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  1. Bravo pour votre travail et votre courage.
    Le monde agricole n’est pas facile et la solidarité entre agriculteurs pas toujours au rendez-vous !
    Ne parlons pas des banques qui ne sont jamais là quand on en a besoin !!!
    Pour certains produire bio c’est fantaisiste.
    Beaucoup d’obstacles pour défendre ses convictions.

  2. bravo pour votre courage et votre ténacité j’avais les larmes aux yeux en lisant votre témoignage , mais vous avez 100 fois raison de vous battre . il faut dire la vérité sur ces organisations proffessionnelles qui nous encèrent dans leurs règlements et apauvrissent les agriculteurs au lieu de les aider. la banque des agriculteurs en premier , je veux citer le crédit agricole qui a perdu tout son sens car ils ne veulent pas octroyer des prets aux structures modestes . encorebravo et bon courage continuation ,avec votre famille .

  3. Vous êtes tellement courageux, bravo ! C’est rassurant de voir que de plus en plus de producteurs prennent le chemin du Bio. Comme les autres lecteurs de cet article j’aimerais savoir comment on peut vous aider/ vous soutenir ?

  4. Respectueuses salutations d’un consommateur adepte de macrar et vicaro (surtout) parmi les nombreux autres fromages que j’apprécie aussi.
    Un vrai plaisir sinon de voir que le rouleau compresseur « civilisé » n’a pas tout le temps le dernier mot.
    Excellente poursuite vers des lendemains que j’espère fructueux 😉
    Et au plaisir de se recroiser un de ces jours lors d’une distribution !

  5. Merci à vous de vous battre pour que l’on puisse manger dans de meilleurs conditions! Ce monde est devenu absurde et grâce à des personnes comme vous, l’Espoir est toujours présent!

  6. UN GRAND BRAVO !!!! et quel courage pour affronter tous ces problèmes ! ne lâchez rien car il y a des consommateurs qui ne demandent que ça : de bons produits « naturels » sans produits toxiques dedans qui ont du goût et j’en fais partie !
    Oui, comme le message précédent, si on peut aider à notre petit niveau, faîtes-le nous savoir.

  7. Bonjour,
    votre aventure en bio m’a beaucoup émue. Votre force me rend admirative.
    Avez vous besoin d’aide et si « oui » comment puis-je vous aider ?

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