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Aux portes de Paris : le plus grand laboratoire communautaire de biotechnologies d’Europe.

La Paillasse
La Paillasse

Nuit noire, on erre à tâtons, sous les grosses pattes du périphérique qui zigzague entre les hangars de Vitry-sur-Seine. On cherche notre chemin… Je suis au téléphone avec Thomas. Il me dit : « Une fois à la station service, tu prends le portail blanc à droite. Tu longes la voie ferrée, à côté du bâtiment abandonné. Et tu prends le troisième escalier sur la droite. On est à la cave. » Non, cet article ne porte pas sur fabrication des méta-amphétamines ni sur le trafic d’armes. Car dans la cave du troisième escalier sur la droite, on trouve un laboratoire communautaire de recherche en biotechnologies qui pourrait bien changer votre vie demain.

 

L'entrée du laboratoire (si si... sérieusement...)
L’entrée du laboratoire (si si… sérieusement…)

Quand on me parle de laboratoire de recherche, j’imagine une mer de faïence éclatante où des scientifiques en blouses blanches ont des discussions aussi aseptisées que le fond de leurs tubes à essais. Un peu comme les images d’Epinal que l’on peut trouver sur Internet. Tenez, je vous en ai sorti une pour l’exemple, juste en dessous.

Il faut savoir que le laboratoire dont nous parlons ici n’a rien, mais alors RIEN à voir avec cette description. Dans la cave nous sommes accueillis par des jeunes en majorité, certains encore étudiants, d’autres déjà entrepreneurs. C’est la soirée portes-ouvertes du jeudi : on boit des bières sur des canapés défoncés, entre les amoncellements de vieilleries électroniques qui rouillent jusqu’au plafond. On pourrait aussi bien se croire  chez les Lone Gunmen de X-Files que dans un vide-grenier de la Silicon-Valley. Jugez par vous même en voyant l’album photo de notre visite.

Selon Getty Image : "Research scientists looking at paperwork on clipboard"
Selon Getty Image : « Research scientists looking at paperwork on clipboard »

Allez, on rentre… C’est Emmanuel qui me parle en premier. Il est informaticien de formation.

Il me dit : « Ici, c’est La Paillasse, une association de loi 1901 autour de laquelle gravite une communauté. Avoir une structure déclarée nous permet d’être mieux reconnus et d’obtenir des dons de matériel. »

Des dons de matériel ? Donc tout le fatras qu’on voit n’est pas volé ?

« On sait que dans l’alimentaire, il y a beaucoup de gâchis, mais on sait moins que dans la recherche c’est la même chose. Une machine peut coûter plusieurs milliers d’euros. Certaines sont en état de fonctionnement et l’Etat paye pour les détruire. Nous, on les récupère et on leur donne une seconde vie. »

Et toi, au sein de La Paillasse, tu fais quoi ?

« Je suis arrivé récemment. Je travaille pour la campagne des bio-chineurs. On a déjà cartographié plusieurs milliers d’unités de recherche en France qui pourraient nous donner du matériel. »

Thomas (fondateur de La Paillasse), et Tito (co-fondateur de Bio-Curious, un hackerspace dédié aux biotechnologies à côté de San-Francisco)
Thomas (fondateur de La Paillasse), et Tito (co-fondateur de Bio-Curious, un hackerspace dédié aux biotechnologies à côté de San-Francisco)

Puis vient Thomas, étudiant de 28 ans passant sa thèse en bio-synthétique. Le fondateur de La Paillasse, c’est lui. Ébouriffant.

« La Paillasse est née de frustrations personnelles, en 2009. Je commençais ma thèse de doctorat. Ce n’était pas l’environnement idéal pour s’épanouir hors des gonds traditionnels. Il faut se justifier tout le temps, et si tu veux de la créativité, c’est très limité. Il y a des murs institutionnels entre les disciplines et les milieux. Je voulais créer un laboratoire gratuit où on laisserait les gens s’exprimer. »

A partir de là, tout s’enchaîne plus vite qu’une oxydoréduction. Thomas fait la connaissance du TMP Lab, le plus vieux groupement de hackers à Paris (très axé informatique et électronique). Pour lui, c’est la révélation : « Je veux faire ce que vous faites, mais pour la biologie. » De cette rencontre nait un précipité lumineux et caustique : La Paillasse. En place depuis mars 2012, l’association comptait alors une dizaine de membres. Aujourd’hui, il y en a une cinquantaine, venus d’horizons très divers : scientifiques, sociologues, designers, etc. Thomas me confie même que des artistes ont rejoint le groupe. L’un d’eux souhaiterait associer l’impression-3D avec le principe de corrosion sur matières organiques afin d’obtenir des sculptures. Thomas m’explique : « N’importe qui peut être membre. Si tu as un projet, tu as les clefs du laboratoire en libre service. Ici nous avons des valeurs fortes, comme l’open-source et le contre-pouvoir citoyen. »

paillasse, nom commun féminin, /pa.jas/ : Plan de travail dans un laboratoire de biologie, de chimie, etc., dans un atelier ou une cuisine
Paillasse, nom commun féminin, /pa.jas/ : plan de travail dans un laboratoire de biologie, de chimie, etc., dans un atelier ou une cuisine

Après avoir compris tout ça, on se pose forcément une question… ça marche, le biohacking ?

Ni-une ni-deux, Thomas bondit et me présente fièrement une boite de pétri apparemment bondée de moisi. C’est super Thomas… mais c’est quoi ?

« Ce sont des bactéries qui produisent des pigments qui permettent de créer de l’encre ; tu peux donc utiliser ton stylo indéfiniment sans jamais acheter de cartouches. On va commercialiser cette technologie et on ne déposera pas de brevets dessus, selon l’esprit de l’open-source cher à La Paillasse. On a aussi développé un transilluminateur qui coûte cent fois moins cher qu’un appareil commercial. Et puis on a mis au point une technique d’analyse ADN qui ne coûte que 3€. On appelle ça le DNA quick and dirty bar coding. C’est tellement simple qu’on organise des ateliers ouverts au public pour leur expliquer comment le faire. »

Loïc, un géant à la moustache proustienne, fouille une boite de circuits imprimés juste à côté de nous : « je travaille sur un projet de groupe. On essaye de créer un bioréacteur pour moins de 500€ alors que dans le commerce, ils coûtent au minimum 15 000€. »

 

Loïc, bio-informaticien de formation, bio-hacker de vocation.
Loïc, bio-informaticien de formation, bio-hacker de vocation.

Et si finalement, La Paillasse était bien plus qu’un laboratoire de biotechnologies ? Par exemple un laboratoire pour une société plus ouverte où la science est comprise comme étant une force émancipatrice, une discipline contestataire, et où la liberté de chacun étend celle des autres à l’infini ?

« J’suis grave heureux », me dit Thomas. « La mairie a très vite compris la puissance du projet. D’ici quelques mois, nous serons installés au cœur de Paris, et nous serons le plus grand laboratoire de biohackers au monde. »

N’espérez pas trouver le dernier Harry Potter par ici...
N’espérez pas trouver le dernier Harry Potter par ici…

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Pour voir l’album photo de notre visite à La Paillasse, cliquez-ici.

 

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10 commentaires

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  1. Bonjour,
    Quelle initiative intéressante !
    Pas de brevet ok, pourquoi pas une licence genre GPL comme celles des logiciels libres ?
    Bonne continuation.

  2. Bonjour
    super initiative.
    juste envie d’apporter un élément de réfléxion concernant les brevets. Ne pas vouloir rentrer dans la course au brevet est louable. Le grand hic que je vois, c’est que si une découverte est intéressante, ou va venir ’embeter’ certain procédé en place: cette découverte va être Immédiatement breveté-approprié par quelqu’un d’autre/ ou une société. Et toute diffusion de la découverte le rendra cet acte illégal.
    – Si le brevet (avec ses dérivés) est posé : même la découverte est reprise : elle ne pourra pas être ‘monopolisé’.
    – peut être un brevet avec ‘libre accès’ et développement ? (ou dont les cout de diffusion serviront pour valider les autres brevets)…

    1. Tout à fait d’accord avec cette remarque. Refuser de déposer le brevet, c’est se retrouver dans la situation de LAGUIOLE (la coutellerie réputée) qui s’est fait voler la marque et la réputation qui va avec, y compris le nom du village, avec l’aval d’un jugement de justice !
      Des escrocs qui s’enrichissent sur le travail et les découvertes des autres !

  3. Reportage intéressant. Les informations sur le fonctionnement de cette communauté sont documentés. On comprend bien le potentiel d’une telle approche. Mais on reste un peu sur sa faim, concernant le contenu concret de ces projets. Et puis, on aimerait un lien pour pouvoir les contacter, afin de créer des synergies au besoin.

  4. Bonjour,
    Votre idée est géniale.
    nous sommes à votre disposition pour partager nos connaissances avec vous parce tout ce que disons, nous le faisons et ce que l’on fait on le dit.
    Nos écrits, nos sites sont libres de droit, la science et les connaissances sont universelles, le seul droit que nous avons c’est des les partager pour les faire évoluer.
    L’agriculture et la médecine marchent sur la tête parce que tout est partie d’une fausse (?) orientation et que tout ce qui aurait pu la faire dévier a été censuré, a nous de rétablir les vérités et les bonnes applications.
    L’énergie peut être gratuite, par induction du champ,magnétique terrestre, stockage dans des condensateurs et c’est la libération du condensateur qui développe la puissance CQFD cela a été créé et réalisé par NikolaTesla.

    A votre disposition
    Michel Provost

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