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Acteurs de la biodiversité

Alexandre et Jonathan, yes we graine

Ils voulaient faire un film sur les semences, ils ont réécrit la loi sur la biodiversité ! C’est tout à fait par hasard qu’Alexandre Lumbroso et Jonathan Attias, deux jeunes réalisateurs de documentaires ont, entre juin 2015 et mars 2016, écrit, défendu et fait voter au Sénat puis à l’Assemblée nationale un amendement qui autorise les paysans et les maraîchers à planter des « semences paysannes », c’est-à-dire  « des variétés non hybrides, libres de droit de propriété et qui peuvent être ressemées et sélectionnées par l’agriculteur sur sa ferme. »

Derrière ces termes techniques, il y a des enjeux aussi simples que fondamentaux : Depuis 1961, la loi interdit aux agriculteurs de produire leurs propres semences. À la place, on leur impose de cultiver des variétés brevetées et inscrites à un catalogue officiel, tenu par le ministère de l’Agriculture. Par ailleurs, les graines produites sont stériles et ne peuvent être donc replantées d’une année sur l’autre, racontent les deux réalisateurs – qui sont aussi cousins. Seuls les jardiniers amateurs ont le droit de planter ce qu’ils veulent, et notamment des variétés anciennes, non tripatouillées en labo, non stériles. Ouvrir ce privilège aux maraichers et aux agriculteurs était l’objectif de leur film. Ils vont aller bien plus loin !

Tout le pouvoir aux jardiniers !

Leur quête commence au printemps 2014. Les deux  gars des villes, qui confessent n’avoir jamais planté un radis de leur vie, lancent la production de Jardiniers, levez-vous , une web-série didactique de sept épisodes de quelques minutes chacun, sur le sujet des semences. Alors que personne ne leur a rien demandé, qu’aucune chaine TV ni aucun producteur ne leur a donné le moindre euro, ils partent, caméra à l’épaule, rencontrer des jardiniers alternatifs, spécialistes des semences « paysannes ». Qui tous disent la même chose : l’autonomie du jardinier, la qualité de la production maraichère, la préservation de la biodiversité, c’est avant tout une affaire de graines.

Dans le premier épisode, nos deux Candide découvrent cette histoire de semences paysannes grâce à un membre de Kokopelli. Dans « Embellir la ville », ils visitent un jardin partagé à Courbevoie puis un jardin maraicher à Beauvais où binent des SDF et des retraités (« Semer c’est résister »). Et c’est dans le sixième épisode, « La montée en graines », que deux maraichers du Lubéron mettent sur le tapis toute cette histoire un peu complexe mais centrale de catalogue officiel. « La clef, c’est de faire de la semence », dit l’un d’eux. Tout est là.

En juin 2015, « après avoir produit et diffusé le dernier épisode de la série on s’est dit qu’on pouvait aller plus loin dans la préservation des semences…Et comme on passe notre temps à signer des pétitions sur Internet, l’idée nous est venue de lancer la nôtre ! » Ce sera « #YesWeGraine Pour que les maraîchers aient le droit d’utiliser des semences reproductibles et de produire les leurs ! » Et là, surprise ! En une semaine, plus de 20 000 signataires – dont une sénatrice qui a manifesté son soutien en envoyant le texte de la pétition en recommandé au ministre de l’agriculture (qui n’y répondra pas…)

« On a d’abord exulté, on s’est congratulés puis on s’est demandé ce qu’on allait bien pouvoir faire avec ces signatures sachant que ni Alex ni moi n’avions jusqu’alors impulsé une quelconque action politique, » s’amuse Jonathan. Se sentant complètement dépassés par les événements, ils frappent à la porte d’experts de la com’ associative et militante, pour glaner des conseils.

Du web-doc à la loi, via la pétition !

C’est ainsi qu’en juillet dernier, les deux cousins rencontrent un sénateur écolo, Joël Labbé. Et c’est le déclic. L’élu leur suggère d’utiliser Parlement et citoyens, une plateforme web de démocratie participative, pour transformer leur pétition en projet d’amendement à la loi pour la « Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages« , que le Sénat devait examiner en janvier 2016. Formidable hasard du calendrier législatif !

Epaulés par des militants de Kokopelli, Graines de troc, Colibris, Terre de liens, Incroyables comestibles… et par la communauté des 70 000 signataires de la pétition qu’ils mobilisent en un vaste e-brainstorming, Alexandre et Jonathan mettent rapidement en ligne deux propositions d’amendements, bientôt parrainées par le sénateur vert. Le premier texte évoque, sans surprise, le droit donné aux agriculteurs d’échanger librement leurs semences (Libre utilisation des semences « traditionnelles » entre maraichers.)

Le second amendement, plus inattendu, tape fort : « Des semences reproductibles en milieu naturel » a pour objectif d’interdire les semences qui ne sont pas reproductibles en milieu naturel – c’est-à-dire les semences hybrides, dégénératives, qui ne peuvent être réutilisées d’une année sur l’autre. Les motifs exposés aux sénateurs par les deux cousins visent clairement l’agro-business : L’autorisation des graines non reproductibles favorisent une organisation oligopolistique du marché des semences et rendent dépendants des semenciers industriels, les agriculteurs obligés de racheter chaque année des semences  pour leur production agricoleLes graines non-reproductibles sont adaptées à des modes de cultures industrielles consommatrices d’intrants, mais ces modes de productions agricoles sont responsables de l’érosion des sols et de la biodiversité cultivée. On ne saurait être plus clair…

La guerre des graines a bien eu lieu

Au final, ces deux amendements sont les seules propositions publiées sur la plateforme de démocratie participative à être validés et soumises au vote des sénateurs, fin janvier. Ils seront intégrés à la loi au terme d’un rocambolesque feuilleton dont les acteurs sont deux ministres, des élus de tous bords qui décident de ne pas suivre les recommandations de leurs familles politiques, et une action de lobbying citoyen parfaitement huilé… Happy end ? Pas encore ! Car la loi votée par les sénateurs doit encore repasser devant les députés, avant d’être adoptée définitivement. En mars, une commission de députés, réunie en huis clos, fait tout simplement sauter les deux amendements… Après le palais du Luxembourg, les deux cousins s’attaquent donc au Palais Bourbon. Ils mobilisent la communauté des pétitionnaires qui inondent de mails leurs députés :

« Ces deux amendements citoyens issus des revendications communes de la pétition #YesWeGraine contribuent à favoriser la pratique de l’agroécologie. En tant que membre des 68 000 signataires de la pétition #YesWeGraine, je vous invite à vous positionner sur les réseaux sociaux, et à voter favorablement à ces propositions d’amendements lors de sa lecture dans l’hémicycle. »

L’amendement sur la reproduction des semences en milieu naturel ne se relèvera pas de son passage devant les députés. Seul rescapé de la bataille menée en coulisse par les lobbys industriels, celui qui autorise les maraichers et les paysans à utiliser des semences paysannes est voté le 16 mars. «  On va quand même vous avouer un truc : malgré tout ce que l’on peut dire, en France la démocratie participative a du plomb dans l’aile ! », lancent Alexandre et Jonathan. Pas découragés pour autant. D’ailleurs, de ces aventures ils ont décidé de faire un film, qui devrait sortir en salle d’ici la fin de l’année. « Make a better place with my own two hands… », la chanson que Jonathan fredonne au générique de Jardiniers, levez-vous, ces deux obstinés en font une réalité.

6 commentaires

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  1. Pas d’accord avec vous Guillaume.
    Cet amendement voté est important pour que Monsanto et autres semenciers n’obtiennent pas la mainmise sur l’agriculture européenne. En effet, il existait bel et bien une restriction à l’usage des semences, prévue par un règlement européen datant de 1994, et intégrée en droit français en 2011. Le tout sous couvert de sécurité alimentaire.
    Il faut quand même aller regarder qui est à la tête de la puissante FNSEA et quel est son métier principal.

  2. bonjour, tout d’abord bravo même si rien n’est encore gagné!
    j’aimerais savoir comment me procurer des graines du « potager d’un curieux » du Lubéron?
    une « amateur avertie »

  3. vous devriez vérifier vos informations avant de publier ce genre de bêtises !
    Un agriculteur a le droit d’utiliser ses propres semences.
    Toutes les lignées (variétés non hybride, issues de l’amélioration variétale) sont reproductibles « en milieu naturel », nous n’avons pas eu besoin de deux parisiens pour le faire….

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